Intervention de Hervé de Lépinau

Réunion du mardi 4 octobre 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé de Lépinau, rapporteur :

On m'avait prévenu que ça allait secouer. Je ne suis pas déçu !

Madame Brugnera, vous n'avez de toute évidence pas lu mon rapport, qui montre qu'il est nécessaire de faire évoluer le texte initial de la proposition de loi. Cette évolution est le produit des auditions que j'ai menées, entre autres celle de Mme Éliane Viennot.

Plusieurs groupes font référence aux circulaires d'Édouard Philippe de 2017 et de Jean-Michel Blanquer de 2021. Je vous renvoie à la hiérarchie des normes. Une circulaire ne pèse pas grand-chose par rapport à un décret ou à une loi. Certains fonctionnaires ou agents investis d'une mission de service public s'assoient allègrement sur ces circulaires, la possibilité de les contraindre à les respecter étant limitée. Qui plus est, une circulaire émanant du Premier ministre n'est opposable qu'aux agents placés sous son autorité hiérarchique. Des pans entiers de l'administration ne sont donc pas concernés. L'observation vaut également pour la circulaire Blanquer. Le recours à la loi donnera une portée générale au texte d'Édouard Philippe, qui me paraît frappé au coin du bon sens, réglant ainsi le problème d'interprétation ou d'acceptation des termes de cette circulaire.

L'amendement de réécriture que je soutiendrai satisfait votre volonté de voir ce qu'a écrit très justement Édouard Philippe devenir la norme pour les actes administratifs. Je vous renvoie à l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui ne disait pas autre chose concernant l'utilisation du français. Une approche faussée de cette ordonnance prétendait qu'elle instituait le français comme langue officielle du royaume. En réalité, elle n'a pas mis un terme aux langues régionales. Elle ne concernait que les actes émanant de l'autorité royale, afin qu'ils soient compris partout et par tous. Ce rappel de la hiérarchie des normes est nécessaire pour dissiper quelques incompréhensions.

Vous avez également évoqué la liberté universitaire. Il n'est pas question de s'immiscer dans la liberté qu'ont les chercheurs-enseignants de présenter leurs travaux qui pourraient concerner l'évolution de la langue, en particulier celle dite inclusive. Le problème se pose lorsqu'une université utilise celle-ci dans la rédaction de ses actes, parmi lesquels les sujets d'examen. Un énoncé d'examen rédigé en écriture inclusive reflète un parti pris de l'équipe pédagogique, qui souhaite que la réponse le soit également. Celui qui ne le ferait pas prendrait donc le risque d'être sanctionné. Ce n'est pas une vue de l'esprit : des étudiants en droit ont été perturbés par un tel énoncé. Par l'écriture, on crée un traceur idéologique qui n'existait pas quand le français avait une vocation universelle. Une partie des étudiants français n'y sont pas favorables.

Par ailleurs, lorsqu'on est dyslexique un jour, on l'est généralement toujours – je sais de quoi je parle car je l'ai moi-même été. Les difficultés que rencontre une personne dyslexique à l'école ne disparaissent pas à l'université, qui nécessite en outre davantage d'agilité intellectuelle. Au lieu d'être inclusifs, vous serez éminemment exclusifs. Les travaux universitaires, indépendants, ne sont pas concernés par cette proposition de loi. En revanche, l'écriture est une norme qui doit être accessible. C'est la raison pour laquelle ce texte vise principalement les productions écrites de l'université, les notes réglementaires comme les copies d'examen.

Sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, La République en marche, par l'intermédiaire de M. Jolivet, avait déposé une proposition de loi visant à interdire l'écriture inclusive dans les actes administratifs. Certains collègues appartenant aujourd'hui au groupe Renaissance avaient compris le danger que celle-ci faisait courir à l'universalité de la langue française, sinon ils n'auraient pas déposé un tel texte. J'en déduis que vous êtes dans la posture. J'ai lu les déclarations de Mme Borne et celle de votre président de groupe. Par dogmatisme, vous voterez contre tous les textes présentés dans le cadre de la niche du Rassemblement national. C'est votre droit le plus absolu mais ne placez pas cette décision doctrinaire et partisane sous le couvert d'une certaine humanité dans l'utilisation de la langue : personne ne sera dupe.

S'agissant de l'intervention de la France insoumise, monsieur Walter je vous remercie d'avoir lu avec précision le rapport. Il renvoie, par un effet miroir, à la thèse que vous soutenez : la langue peut devenir un vecteur de luttes sociales et de lutte pour l'égalité telle que vous la concevez dans votre prisme idéologique – ce que je respecte. Toutefois, sur le fond, votre première partie était hors sujet. Je conçois que vous n'aimiez pas le Rassemblement national – c'est votre droit – mais votre longue introduction a parlé de beaucoup de choses sauf de l'écriture inclusive.

L'hommage national rendu hier à Hélène Carrère d'Encausse montre que la défense de la langue française est une priorité. La République est faite de symboles, parmi lesquels la langue. Je suis passé par l'école publique et il me semble que les hussards de la République, ces passionnés de la langue française, ces pédagogues ayant le souci de transmettre ce trésor national, ne seraient pas les premiers partisans de l'écriture inclusive.

Vous avez voulu placer le féminin dans votre intervention en employant la formule « monsieur la rapporteure », donnant ainsi l'impression d'écrire un acte supplémentaire des Précieuses ridicules. Votre mode d'expression montre combien notre texte tape dans le mille. À vouloir tordre la langue, on en devient ridicule. Je vous remercie, toutefois, pour l'exercice que vous avez pratiqué.

Nous remercions les Républicains, auteurs de propositions similaires, de souscrire à notre texte : ils évitent ainsi le parjure et restent dans le droit fil de leur logique.

Pour répondre à l'intervention du groupe Démocrate, je vous renvoie à la hiérarchie des normes. L'intérêt de cette proposition de loi est d'inscrire dans le marbre de la loi les termes de la circulaire Philippe de 2017. L'avocat que je suis rappelle qu'un contentieux, administratif ou judiciaire, résulte souvent d'un texte insuffisamment précis. J'en veux pour preuve une décision rendue par le tribunal administratif de Grenoble au sujet d'une délibération rédigée par une université en écriture inclusive. À défaut d'un texte précis auquel se raccrocher, le tribunal s'est fondé sur des principes généraux, notamment l'intelligibilité de la norme. S'il avait existé un texte législatif clair, cette affaire ne serait pas venue au contentieux. Lorsque j'ai auditionné Mme la secrétaire générale du Gouvernement, par ailleurs magistrat au Conseil d'État, j'ai senti, dans ses observations, que si le Conseil d'État devait se saisir de cette difficulté, il serait ennuyé. De fait, il serait obligé de « légiférer » là où le législateur n'a pas voulu le faire. Je ne propose pas une révolution copernicienne mais d'assurer la stabilité de la norme, administrative ou judiciaire.

J'ai du mal à saisir le rapport entre le propos du groupe Socialistes et le contenu de la proposition de loi.

J'en arrive aux observations du groupe Horizons. J'évoquais le parjure, même si le terme est un peu fort. Nous proposons d'inscrire dans la loi l'excellente définition faite par un de vos membres – M. Jolivet – et par celui qui a été votre fer de lance politique, en la personne de notre ancien Premier ministre. Dès lors, je ne peux pas comprendre que vous ne votiez pas ce texte, sauf à vous inscrire dans une posture, ce qui est regrettable puisque vos interventions ont révélé que le fait de ne pas intervenir représenterait un danger pour la stabilité de la langue française. Aussi, je vous exhorte à réviser votre position. Nous avancerons en fermant définitivement la porte à l'écriture que je qualifierais d'exclusive. Ceux qui ont commis l'effort de lire le rapport savent que j'ai indiqué que les termes épicènes et la double flexion devaient être écartés de cette loi. Étant attaché à la liberté d'expression, je considère qu'il n'était pas nécessaire d'être aussi restrictif que l'auteur de la proposition de loi, même si je pense que c'est davantage une erreur de plume.

À vous entendre, on croirait qu'on a ressorti la hache de guerre d'une lutte sexiste qui n'existe pas ! Celui qui vous parle ne s'est jamais inscrit dans une approche patriarcale. J'ai des filles et une épouse ; celle-ci m'a entretenu alors qu'elle travaillait et que je terminais mes études. J'ai un respect absolu pour les femmes et je ne vois pas en quoi le point médian permettra d'améliorer la condition féminine. La richesse de la langue française est une caisse à outils suffisamment fournie pour vous permettre de mener vos combats. Ne sombrez donc pas dans le ridicule !

Quant aux écologistes, qui ont évoqué l'égalité, je les renvoie à la Révolution française : il ne me semble pas que celle-ci ait voulu tordre la langue pour faire avancer ses concepts. Les textes de l'époque montrent d'ailleurs que la Révolution était éminemment machiste. Il ne me semble pas que la langue française soit intrinsèquement inégalitaire. De plus, j'ai déposé un amendement visant à exclure de la proposition de loi les termes épicènes et la double flexion. Je ne peux pas être plus clair.

Pour répondre au groupe LIOT, je reviens à la hiérarchie des normes, en espérant que vous avez saisi l'intérêt de légiférer sur cette question.

Nous avons tous le souci de protéger les plus faibles ; c'est légitime. Quelques chiffres devraient ramener certains à la raison : 2,5 millions de personnes sont en situation d'illettrisme, soit 7 % des personnes âgées de 18 à 65 ans ayant été scolarisées en France. Ces chiffres, publiés sur le site de l'Éducation nationale, émanent de l'Insee. À l'entrée en sixième, 27 % des élèves n'ont pas le niveau attendu en français, à peine un élève sur deux sait lire un texte avec aisance et la dégradation de l'orthographe est devenue préoccupante. Les évaluations menées dans le cadre de la journée défense et citoyenneté montrent que 9,6 % des Français de 17 ans et plus sont en difficulté de lecture, dont 4,1 % sont en grande difficulté, 60 % sont des hommes et 50 % sont au chômage. Ces chiffres dramatiques devaient vous amener à considérer qu'il ne faut pas rendre encore plus compliqué l'apprentissage de la lecture et de l'écriture en créant une nouvelle façon d'écrire qui heurtera le bon sens. J'espère que nous aurons l'occasion de travailler ensemble sur des textes visant à lutter contre ce véritable fléau national.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion