Intervention de Léo Walter

Réunion du mardi 4 octobre 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLéo Walter :

Mesdames, messieurs, je salue le sens des priorités des députées du Rassemblement national. Alors que la réforme des retraites, dont elles étaient, disaient-elles, des opposantes convaincues, force les Françaises à travailler deux ans de plus, alors que l'inflation galopante et la stagnation des salaires jettent chaque jour un peu plus de nos concitoyennes dans la pauvreté, alors que les files d'étudiantes s'allongent à nouveau devant les distributions alimentaires, on eût pu penser qu'elles consacreraient leur niche à des propositions sociales, utiles aux classes populaires qu'elles prétendent défendre. Or elles ont préféré s'attaquer à un sujet autrement plus urgent : l'entreprise de déconstruction de la nation – excusez du peu ! – que constituerait l'utilisation de l'écriture inclusive. Ce qui les terrifie, c'est ce qu'elles appellent l'affirmation agressive d'identités communautaires, y compris féministe. Disons-le plus simplement : ce qui les terrifie, c'est le féminisme, qu'elles considèrent comme un communautarisme.

En utilisant les exemples de formes inclusives préconisées par le Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes (HCE), elles nous proposent d'interdire la double flexion, le point médian et les termes épicènes. Quelle panique, quelle angoisse pour ce point posé un millimètre plus haut en arial corps 12, pour cette double flexion qui permet de reconnaître dès les premiers mots un discours du général de Gaulle et pour ces formes épicènes que nous utilisons toutes quotidiennement ! La double flexion, c'est l'expression « Mesdames, messieurs » par laquelle j'ai commencé mon intervention et qui ouvre également leur exposé des motifs. Les termes épicènes sont, entre autres, « collègues », « parlementaires », « membres ». On en compte vingt-quatre dans ce texte de loi. Mais, miracle, monsieur la rapporteure, vos auditions et en particulier celles de la linguiste Éliane Viennot, vous ont amené à comprendre l'absurdité de votre texte et à déposer un amendement de réécriture ! Cet amendement se replie sur la formulation de la circulaire publiée par Édouard Philippe en 2017 et rend caduque votre proposition de loi, puisqu'il confirme que vous vous attaquez à un péril qui n'existe pas : personne n'oblige personne à utiliser le point médian ; les actes d'état civil en sont dépourvus ; aucune institutrice ne l'utilise. C'est tellement vrai que la seule photographie d'illustration de votre rapport est celle d'une campagne publicitaire pas concernée par votre proposition de loi !

Dans votre rapport, que j'ai lu attentivement, il est cocasse de noter que les quatre seuls noms « neutres » que vous avez trouvés pour contrer les arguments du HCE – « je », « tu », « nous » et « vous » – sont des pronoms personnels qui n'ont rien de neutre puisqu'ils changent de genre en fonction de la personne qu'ils désignent.

Cocasse, également, votre citation de George Orwell, dont le roman est une démonstration de la façon dont la langue façonne la pensée et le monde, soit la thèse exactement inverse de la vôtre.

Cocasse, enfin, que vous citiez l'Académie française pour tenter de prouver que ces grammairiens n'auraient pas façonné la langue à l'avantage de leur sexe. Je vous renvoie à ce qu'en disait, à la fin du XVIIe siècle, l'académicien François-Eudes de Mézeray, chargé d'en établir les règles. Il indiquait préférer l'ancienne orthographe, qui « distingue les gens de lettres d'avec les ignorants et les simples femmes ». Nous direz-vous encore qu'il n'y a aucun lien de causalité entre les formes de la langue et la hiérarchisation sociale ? Je vous conseille de lire son introduction au premier dictionnaire de l'Académie, en 1694, pour constater à quel point cette langue, qu'il était censé fixer de manière définitive, a évolué depuis.

Nul texte de loi ne pourra contrecarrer l'évolution des usages dont les Françaises, toutes les Françaises, sont les seules maîtresses. Notre langue évoluera donc malgré vous et nous allons jeter votre texte inexact, inepte et inutile dans la corbeille à papier de l'histoire.

Je signale à MM. Chudeau et de Lépinau que si mon intervention leur a parfois écorché les oreilles et s'ils se sont sentis exclus à plusieurs moments, c'est qu'elle est intégralement écrite au féminin générique – une petite expérience immersive pour découvrir ce que vit la moitié de la population française quand on utilise le masculin générique.

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