Sur ce dernier point, je pense que le débat mérite d'être approfondi. Récemment, nous avons discuté des conditionnalités introduites sur le RSA. Notre collègue Arthur Delaporte a examiné le formulaire de demande d'exonération des cotisations sociales qui comprend deux pages que le chef d'entreprise doit remplir une fois par an. Dans le même temps, un allocataire du RSA déclare ses revenus chaque trimestre. Le montant de son allocation est alors ajusté en fonction d'une situation très individualisée, comme la composition du ménage, etc. L'argument de la simplicité avait un peu présidé à la création du CICE : on conçoit un dispositif simple, on le met en œuvre et puis on examine les conséquences. À l'ère du big data, nous disposons de données fiables. La situation financière des entreprises pourrait constituer un autre élément de conditionnalité, bien que son utilisation puisse s'avérer complexe en raison du niveau d'emploi, de la qualité de l'emploi, etc. Quoi qu'il en soit, nous disposons désormais d'informations quasiment en temps réel. Dès lors, le débat politique reste ouvert et il portera sur la manière d'introduire ces éléments.
S'agissant de l'utilisation des sommes dégagées, Mme Caroline Janvier a fait écho à des échanges que nous avons eus et qui concernaient d'autres sujets. La proposition avancée par mon collègue Marc Ferracci il y a un an, réitérée aujourd'hui dans son avant-propos, consisterait à allouer la recette liée à la suppression de cette exonération, le milliard et demi d'euros, à ce qui reste de cotisations patronales entre 1 et 1,6 Smic. En effet, le niveau de cotisation dans cette tranche salariale a considérablement diminué pour passer de 42 % au début des années 1990 à 6 % actuellement. Il s'agit de rediriger ce budget vers un secteur où son efficacité serait avérée. Pour ma part, je pense qu'il serait souhaitable de réaffecter ses ressources vers des secteurs qui sont en besoin de financement. C'est la raison pour laquelle l'amendement que j'avais déposé l'an dernier prévoyait de les allouer à la branche autonomie. Cette décision répondrait à un des débats que nous nourrissons régulièrement, à savoir l'identification des ressources afin de financer les Ehpad et les services à domicile.
Sommes-nous capables de parvenir à un consensus ? Je préférerais. Nous avons mené une démarche transpartisane qui a abouti à un accord sur la suppression de certaines exonérations et je préférerais que nous parvenions à déposer un amendement transpartisan quant à cette suppression, sans mentionner les modalités d'affectation. L'affectation figurera dans l'exposé des motifs et elle fera l'objet d'une décision juridico-financière. En revanche, l'exposé des motifs ne conditionne pas la suppression. Dès lors, dans un monde idéal, je souhaiterais un amendement de la commission des affaires sociales sur la base de ce rapport qui propose la suppression du bandeau famille et uniquement sur ce point. À défaut, nous nous retrouverons face à un amendement Guedj et un amendement Ferracci qui auront le même objet avec des exposés des motifs différents. L'exécutif s'exprimera. Chacun des groupes décidera de sa position, par loyauté et fidélité. Un consensus sur la suppression constituerait une manière de consolider le travail de la Mecss, de notre commission des affaires sociales et plus largement du Parlement.
Dans une mission de cette nature, « on se lime la cervelle », comme disait Montaigne. On écoute les arguments de celui avec lequel on est supposé ne pas être en plein accord. Pour ma part, j'assume la position selon laquelle les éléments fournis me permettent d'affirmer qu'entre 1 et 1,6 Smic, l'efficacité sur l'emploi est avérée au regard de l'objectif assigné. Je comprends que des détracteurs puissent affirmer que d'autres solutions seraient envisageables. Nous sommes parvenus à un véritable consensus quant à l'inefficacité des exonérations au-delà de 2,5 Smic – qui a d'ailleurs abouti à la proposition que nous avançons aujourd'hui. Cependant, je ne souhaite pas que les interrogations qui ont été exprimées quant à la situation entre 1,6 et 2,5 Smic restent sans réponse. Il conviendrait en effet, dans une seconde étape, d'approfondir la réflexion relative au bandeau maladie – puisqu'à ce niveau, il s'agit essentiellement d'une exonération de cotisation d'assurance maladie –, car elle représente entre 20 à 25 milliards d'euros.
La suppression de ces exonérations n'est bien sûr pas sans conséquences. Les organisations patronales ont avancé l'argument selon lequel ces exonérations de cotisations sociales permettaient de corriger le différentiel de coût du travail, notamment par rapport à nos voisins allemands. Cependant, le rapport constate que l'essentiel des exonérations de cotisations sociales ne profite pas d'abord au secteur exposé à la concurrence internationale. Ce constat contredit donc l'argument de la compétitivité des prix sur des secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale.
Je ne peux pas m'empêcher de répéter ce que j'avançais au moment de la création du CICE, à savoir que l'argument de l'emploi et de la compétitivité ne s'appliquait pas sur des pans entiers qui n'étaient pas exposés à la concurrence internationale. Dans cette salle, je prenais l'exemple à l'époque des professions réglementées – experts-comptables, avocats, huissiers, notaires – qui bénéficieraient du CICE alors que, par définition, ils n'évoluent pas dans un secteur exposé à la concurrence internationale. Dès lors, les allégements, les diminutions de l'impôt sur les sociétés (IS) qu'ils encaisseraient ne se traduiraient pas par de la création d'emplois. Le total représentait 1 milliard d'euros pour l'ensemble de ces professions réglementées.
Le rapport s'avère donc utile en ce sens qu'il documente la distribution des exonérations de cotisations sociales non seulement par secteurs, mais également en fonction de la taille des entreprises. Il constate que le ciblage n'est pas pertinent. Les exonérations des allégements Fillon décroissent en fonction de la taille de l'entreprise, ce qui paraît sain. En revanche, le bandeau famille ne décroît pas avec la taille de l'entreprise. Force est donc de constater un effet qu'on peut qualifier d'aubaine et qui se traduit moins par un impact sur l'emploi que par une subvention au niveau des salaires.