J'ai le plaisir de renouer aujourd'hui avec une tradition du travail du rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale. Je sollicite ainsi de votre part l'autorisation de publication d'un rapport d'information relatif à l'application de la loi fiscale (RALF).
Permettez-moi d'en présenter les points essentiels. Dans l'introduction de ce rapport et dans ses annexes, vous trouverez un point complet sur la mise en œuvre de la législation fiscale notamment issue des lois de finances promulguées en 2022 : la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 et les deux lois de finances rectificatives adoptées en août et en décembre 2022. Ce point couvre également les dispositions fiscales issues des lois simples promulguées en 2022 et des ordonnances prises en 2022.
Les tableaux figurant en annexe permettent de répondre aux deux questions suivantes :
Une disposition fiscale doit-elle faire l'objet d'un décret ou d'un arrêté pour préciser ses conditions d'entrée en vigueur ou de mise en œuvre ?
Si tel est le cas, ce décret ou cet arrêté a-t-il été publié « à date » ?
Le bilan statistique montre que treize dispositions fiscales des lois de finances promulguées en 2022 nécessitent encore à ce jour qu'une mesure infralégislative soit prise. Dans deux cas, le décret attendu dépend de l'accord préalable de la Commission européenne au titre de la législation communautaire relative aux aides d'État. Dans trois autres cas concernant la mise en place de la contribution sur la rente inframarginale des producteurs d'électricité (CRI) – sur laquelle je reviendrai plus tard dans mon propos – les dispositions réglementaires attendues sont devenues sans objet. Leur présence dans la loi relevait de la précaution, pour un dispositif complexe élaboré dans une certaine urgence tout au long de la navette du projet de loi de finances pour 2022.
Il y a donc encore huit textes d'application qui n'ont pas été publiés. J'ai relancé encore très récemment l'administration fiscale pour faire le point. Le cas de l'exonération du malus « poids » et du malus CO2 en faveur des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) est d'ailleurs développé plus loin dans mon propos. Dans l'ensemble, le bilan chiffré et mes échanges avec cette administration témoignent du souci du Gouvernement de mettre en œuvre la volonté du législateur dans des délais rapprochés. Cela ne nous interdit pas de suivre attentivement l'avancée des cas encore en attente.
Ce bilan d'ensemble établi, je vous propose de rendre compte de certaines des études fiscales et financières que vous trouverez dans mon rapport. Par le point d'entrée de l'application de la loi fiscale, le RALF est en effet traditionnellement l'occasion de se pencher sur certains sujets de fond, et, je l'espère, d'alimenter notre réflexion collective à l'approche de l'examen du prochain projet de loi de finances (PLF).
Le RALF n'a pas pour objet de présenter les mesures de manière exhaustive. Il constitue une présentation plutôt subjective. Pour ma part, j'ai essayé de retenir les points qui me semblaient signifiants, mais je demeure à votre disposition si vous souhaitez évoquer l'intégralité des sujets.
Je tiens d'abord à évoquer l'imputation du déficit foncier sur le revenu global pour les dépenses de rénovation énergétique. Je reviens en premier lieu sur ce dispositif, adopté dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative pour 2022, suite un amendement de notre collègue Véronique Louwagie. Il vise à favoriser les travaux de rénovation énergétique engagés par les propriétaires bailleurs, en cohérence avec les dispositions de la loi climat et résilience, qui prévoit l'interdiction progressive de la mise en location des logements classés G, F puis E à compter de 2025.
Comme vous le savez, lorsque les charges foncières sont plus importantes que les revenus fonciers, les contribuables constatent un déficit foncier, qu'ils peuvent imputer sur leur revenu global dans une limite de 10 700 euros hors intérêts d'emprunt. L'assiette de l'impôt sur le revenu se trouve en conséquence réduite du montant de ce déficit foncier. La fraction qui dépasse la limite de 10 700 euros, ainsi que les intérêts d'emprunt, peuvent être imputés sur les revenus fonciers, sur une durée maximale de dix ans.
L'article 12 de la deuxième loi de finances rectificatives pour 2022 a permis de porter le déficit foncier pouvant être imputé sur le revenu global à 21 400 euros, de façon temporaire jusqu'au 31 décembre 2025, uniquement lorsque ce déficit est lié à des dépenses de travaux de rénovation énergétique.
Le décret d'application de cet article a été pris le 21 avril dernier. Il a permis de préciser les dépenses de travaux de rénovation énergétique ouvrant droit au bénéfice de la mesure, les obligations déclaratives pour les contribuables ainsi que les justificatifs permettant d'attester du changement de classe énergétique du bien, ce changement étant requis pour pouvoir bénéficier de la mesure. Nous avons donc à ce jour peu de recul sur l'impact de la mesure, mais il me semblait toutefois important de la mettre en lumière dans le RALF, car elle relevait de l'initiative parlementaire et a été largement adoptée.
Comme le montre mon rapport, le dispositif semble bien adapté pour répondre aux besoins de la majorité des propriétaires bailleurs, ceux qui possèdent un seul logement locatif. Pour une grande partie d'entre eux, l'imputation immédiate sur le revenu global constitue un avantage en soi, surtout si les revenus fonciers futurs sont peu élevés ou ont un caractère incertain. En outre, cette mesure apporte un complément à l'aide publique à la rénovation énergétique MaPrimeRénov', dont la modulation des montants en fonction des ressources concentre les bénéfices sur les ménages les plus modestes. Un autre point d'évaluation de ce dispositif transitoire devra être fait avant la fin de l'année 2025, qui marque la fin prévue du dispositif.
Ensuite, je me suis également intéressé à l'exonération prévue par la loi de finances pour 2023 concernant les malus automobiles pour les services d'incendie et de secours et les associations de protection civile. Cela concerne aussi bien le malus sur les émissions de CO2 que le malus « poids », qui sont des taxes payées à l'immatriculation. Depuis l'instauration de ces malus, il avait été relevé par plusieurs de nos collègues, sur tous les bancs, que ces services étaient pénalisés en raison de la taille importante de leurs véhicules, qui entraînent le paiement de ces taxes, alors qu'ils assurent des missions d'intérêt général. Même si je continue à penser qu'il faut éviter de « miter » l'assiette de nos impôts, a fortiori quand ils ont un objectif écologique et plus encore quand ils viennent d'être créés, il y avait là une difficulté.
La LFI pour 2023 y a mis bon ordre en exonérant les véhicules dits « hors route » de ces taxes pour les sapeurs-pompiers et les services investis à titre permanent de missions de sécurité civile, pour la réalisation de missions de protection des personnes, des animaux, des biens et de l'environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes. Elle a également exonéré les véhicules de ce type pour les associations agréées de sécurité civile participant aux opérations de secours et d'accompagnement des populations victimes d'accidents ou de catastrophes. Les véhicules hors route sont définis précisément par un règlement européen. Ce sont des véhicules qui présentent des caractéristiques techniques spécifiques permettant leur utilisation en dehors des routes normales. Cette mention vise à réserver l'exonération aux véhicules affectés exclusivement aux missions de lutte contre les incendies et de protection civile.
Cette exonération est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Un décret simple doit encore être publié pour son application, mais l'administration fiscale m'a indiqué que cette absence de publication ne remettait pas en cause l'entrée en vigueur de cette mesure dès le début de cette année. En pratique, cette exonération devrait prendre la forme d'un remboursement de la taxe. Il serait quand même souhaitable que ce décret soit publié rapidement, pour permettre son application effective dans la clarté, d'autant plus que la loi de lutte contre les incendies que nous avons adoptée en juillet dernier a étendu ces exonérations aux services de l'État et des collectivités chargés de la forêt, à l'Office national des forêts et aux associations de propriétaires forestiers.
Le troisième sujet concerne la contribution sur la rente inframarginale des producteurs d'électricité. Pour protéger les ménages et certaines entreprises de l'inflation, nous avons mis en place un mécanisme de redistribution des recettes tirées du marché de l'électricité, prenant la forme d'un plafonnement des revenus des producteurs et d'un bouclier tarifaire pour les consommateurs.
Ce dispositif, négocié et organisé à l'échelle de l'Union européenne, s'est traduit par l'institution, en application de l'article 54 de la LFI pour 2023, d'une contribution sur la rente inframarginale des producteurs d'électricité, la CRI. Cette contribution est assise sur l'ensemble des revenus de marché des producteurs d'électricité situés sur le territoire métropolitain, sous réserve de certaines exclusions reposant notamment sur les technologies de production mobilisées.
La contribution s'applique aux productions d'électricité réalisées entre le 1er juillet 2022 et le 31 décembre 2023. Son montant correspond, sous réserve de l'application d'un abattement de 10 %, à la différence positive entre les sommes de revenus de marché des producteurs et un forfait défini par la loi, dont le montant varie en fonction des technologies de production. Les modalités de déclaration et de paiement de cette contribution ont été précisées par un décret publié le 28 juin 2023. Selon ses dispositions, la contribution est déclarée et payée selon le régime déclaratif du contribuable en matière de TVA. Le recouvrement pour la contribution due au titre de 2022 a débuté en juillet 2023 et s'élevait, au 24 août, à 390 millions d'euros. Pour l'année 2023, des acomptes seront versés à partir du mois d'octobre.
Le rendement de la contribution devrait s'élever à 1,2 milliard d'euros pour la période de taxation allant du 1er juillet au 31 décembre 2022. Pour 2023, le rendement attendu s'élève à 4,3 milliards d'euros. Ce chiffre est en baisse par rapport à l'estimation de 12,3 milliards d'euros figurant dans la loi de finances pour 2023. Cette évolution s'explique par la diminution relative des prix de l'électricité et du gaz. Du point de vue budgétaire, le rendement moindre de la contribution s'accompagne toutefois d'une baisse du coût attendu des boucliers tarifaires de 15 milliards d'euros en 2023. Il devrait coûter toutefois 35 milliards d'euros pour cette même année. En tout état de cause, qu'il y ait ou non un lien à faire entre la CRI et le bouclier tarifaire, nous serons amenés à nous poser la question d'une prorogation de la contribution pour 2024. Le bouclier électricité devrait quant à lui être prolongé l'année prochaine.
Le quatrième sujet concerne le fonctionnement de la taxe incitative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT). J'ai souhaité m'intéresser à une taxe sur laquelle le Parlement est amené à se prononcer chaque année, et qui est une taxe écologique. C'est une taxe comportementale qui vise à inciter les metteurs sur le marché de carburants à accroître les quantités de biocarburants qu'ils incorporent dans leurs produits. Le fonctionnement de cette taxe est le suivant. Des objectifs annuels d'incorporation de biocarburants sont fixés par le législateur. Si un metteur sur le marché n'atteint pas l'un de ces objectifs, il est sanctionné par une taxe d'un montant proportionnel à l'écart entre les objectifs nationaux d'incorporation et le taux de biocarburants qu'il a effectivement incorporés à ses produits.
Le Parlement est amené à se prononcer chaque année, en loi de finances, sur la révision des objectifs d'incorporation de cette taxe et sur d'éventuelles modifications de ses caractéristiques. C'est pourquoi j'ai voulu décrire les modalités de révision de ces objectifs, ainsi que les justifications et les conséquences des changements apportés à cette taxe chaque année depuis trois ans. J'ai adressé des questionnaires à l'administration en ce sens. Mais si les réponses ont permis de réunir quelques éléments d'information, je relève que certaines ont été lacunaires, voire inexistantes. Je le regrette, et espère que le prochain PLF sera l'occasion d'y remédier.
Parmi les éléments réunis malgré tout, cet exercice a permis de mieux comprendre la répartition des compétences entre ministères. Quatre administrations interviennent sur cette taxe. Il s'agit tout d'abord de la direction de la législation fiscale et de la direction générale des douanes, qui est chargée de la gestion et du recouvrement de cette taxe jusqu'au 31 décembre 2024. Cette mission sera ensuite transférée à la direction générale des finances publiques. Ensuite, la direction générale de l'énergie et du climat propose les adaptations permettant d'atteindre les objectifs environnementaux prévus au niveau européen et elle est chargée de l'élaboration des conditions de traçabilité appliquées à l'énergie renouvelable. Enfin, le ministère de l'agriculture veille à l'adéquation avec les objectifs en matière de production agricole et de biocarburants.
Ensuite, cette démarche a permis d'identifier les syndicats de producteurs qui sont les interlocuteurs de l'administration au sein des filières de production. Leur liste figure dans mon rapport. Enfin, nous avons pu préciser les modalités de contrôle liées à cette taxe. La taxe est liquidée par les redevables eux-mêmes à l'aide de feuilles de calcul adressées aux opérateurs avant la fin de chaque exercice. Ces feuilles de calcul sont établies par filière et permettent aux opérateurs de déterminer commodément l'énergie renouvelable incorporée et le montant de leur taxe. Un contrôle est assuré principalement par le service des douanes d'Île-de-France, qui centralise les déclarations de TIRUERT, mais aussi par les services des douanes territoriaux. Sur la base d'analyses de risques, les services d'enquête peuvent également intervenir.
Le cinquième sujet a trait à l'impôt sur le revenu et le couple. Dans la LFI 2023, nous avons indexé sur l'inflation le barème de l'impôt sur le revenu (IR). Si les salaires ont augmenté de la même manière que l'inflation, aucun gain de pouvoir d'achat n'est à relever, mais il n'y a pas non plus d'impôt supplémentaire. Si les revenus connaissent une augmentation supérieure à l'inflation, un impôt marginal sur le revenu supplémentaire est à prévoir. Cette mesure coûte entre 5 et 6 milliards d'euros.
Dans le rapport, j'ai souhaité approfondir la question de l'imposition des revenus des couples. Au regard de la loi fiscale, les couples mariés ou pacsés constituent une seule unité soumise au paiement solidaire de l'IR. Ils bénéficient dès lors de l'application d'un quotient conjugal. Sans être lui-même un principe constitutionnel, ce mode de calcul de l'impôt sur le revenu représente une réponse à l'exigence d'égalité devant les charges publiques.
Plusieurs facteurs conduisent aujourd'hui à s'interroger sur l'adaptation de ce quotient conjugal à la vie contemporaine. D'abord, les structures familiales et l'activité des femmes ne sont plus fondées sur le modèle de 1946. L'écart de rémunération entre hommes et femmes est passé de 60 % en 1958 à 17 % en 2020. Ensuite, l'avantage procuré par le quotient familial a progressivement été rogné en 1981, 1999 et 2012. Il est d'ailleurs assez étonnant que ce soit le quotient familial plutôt que le quotient conjugal qui ait été choisi pour réaliser des économies. L'État a préféré préserver les citoyens qui se mariaient plutôt que ceux qui avaient des enfants.
Par ailleurs, la solidarité financière effective au sein du couple ne dépend pas que du statut conjugal. En 2010, 74 % des couples mariés déclaraient mettre en commun l'intégralité de leurs ressources contre 30 % des couples pacsés et 37 % des couples en union libre. Des études internationales montrent que le système du quotient conjugal n'est pas financièrement favorable au travail des femmes lorsque les écarts sont très importants au sein du couple. En 2021, sur 7,5 millions de couples mariés ou pacsés et soumis à l'IR, 7 millions d'entre eux bénéficiaient d'une baisse de l'IR dû grâce au quotient conjugal. Pour 5,5 millions d'entre eux, il s'agissait de l'épouse ou de la partenaire dont les revenus étaient les plus faibles.
Dans la sphère sociale, la définition du foyer est plus variable que celle retenue pour l'impôt sur le revenu. La contribution sociale généralisée (CSG) ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sont individualisées tandis que pour la plupart des minimas sociaux et la prime d'activité, les revenus du concubin sont pris en compte. Enfin, au sein des pays de l'OCDE, seule la France dispose exclusivement d'un système d'imposition à parts fiscales. À l'inverse, le principe de l'équité horizontale incite d'autres observateurs à défendre le mode de calcul actuel de l'impôt sur le revenu. Ils constatent que le taux d'activité des femmes françaises est élevé et que la fiscalité commune est liée aux obligations civiles réciproques qui existent au sein du couple marié ou pacsé.
Une fois les termes du débat posé, le rapport étudie plusieurs pistes d'évolution, à rendement identique. La première piste porte sur la déclaration commune pour les concubins. Je constate qu'elle contribuerait à perpétuer les limites du quotient conjugal et coûterait 2 milliards d'euros, en créant potentiellement un effet d'aubaine difficile à gérer. La deuxième piste vise à limiter les effets du quotient conjugal soit en le supprimant, soit en le réduisant à 1,5 part ou en le plafonnant. À court terme, il s'agirait de changements conséquents du mode d'imposition des particuliers contrevenant aux principes posés par la majorité actuelle de stabilité fiscale. Pour ne pas augmenter l'imposition des Français, la limitation ou la suppression du quotient conjugal devrait s'accompagner d'une baisse globale à due concurrence du barème de l'impôt sur le revenu.
Enfin, il convient de mentionner la généralisation de taux de prélèvements individualisés pour les couples dans le cadre du prélèvement à la source. Moins de la moitié des couples soumis à l'IR, soit 2,9 millions, ont fait le choix d'une individualisation de leur taux. Neutre pour les finances publiques, cette modification permettrait une redistribution de 700 euros en moyenne par an au sein des couples en faveur du membre du couple qui gagne le moins, souvent l'épouse ou la partenaire. Au titre du prélèvement à la source 2021, le total des transferts serait de 5,5 milliards d'euros.
Le sixième sujet concerne le budget vert, pour en tirer les enseignements des trois premiers exercices et présenter des pistes d'amélioration. Je me permets ici d'aborder un sujet qui n'est pas immédiatement fiscal à proprement parler, mais qui concerne les dépenses fiscales et qui, en tout état de cause, innervera toutes nos discussions durant l'automne. Réussir la transition écologique implique de mesurer l'impact environnemental de notre budget. La France fait figure d'exemple en la matière, grâce au budget vert de l'État annexé aux PLF successifs depuis celui de 2021. J'ai souhaité faire le point sur cette démarche, par l'intermédiaire d'un questionnaire adressé au groupe interministériel chargé d'élaborer le budget vert.
Le budget vert a été créé par un amendement parlementaire, ce dont nous pouvons nous féliciter. Il est issu d'une réflexion internationale débutée lors du sommet One Planet de Paris en 2017 et constitue la démarche exhaustive la plus aboutie à ce stade. Ce document mesure l'impact favorable, défavorable, mixte ou neutre sur l'environnement des crédits budgétaires, mais aussi des taxes affectées et des dépenses fiscales. Il prend en compte six dimensions environnementales, y compris les enjeux climatiques.
Les résultats des premiers exercices montrent une progression structurelle des dépenses vertes et une stagnation des dépenses brunes, en neutralisant les aides exceptionnelles. Fait notable, au sein des dépenses brunes, les dépenses fiscales sont surreprésentées. Le Gouvernement en a tenu compte en préparant, en amont du PLF 2024, la révision de certaines dépenses fiscales brunes, comme la suppression progressive de l'avantage fiscal sur le gazole non routier (GNR).
Le budget vert constitue donc déjà une boussole très utile pour piloter la transition écologique. Dans les années à venir, la stratégie française sur l'énergie et le climat, coordonnée par le nouveau secrétariat général créé en juillet 2022, pourra s'appuyer sur cette méthodologie éprouvée de cotation du budget. La méthodologie du budget vert a constamment progressé au cours des trois premiers exercices et des travaux sont en cours pour l'améliorer encore. Certaines dépenses, un sixième en 2023, sont encore non cotées, soit qu'il n'existe pas de consensus scientifique quant à leur impact environnemental, soit qu'il ne soit pas possible de connaître précisément la destination des crédits concernés. C'est le cas de la plupart des concours aux collectivités territoriales.
Une partie de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) a pu être cotée en 2023 grâce à des objectifs environnementaux ambitieux et je souhaite que ce cas fasse école. D'autres dotations, dont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), devraient être cotées partiellement dès 2024. La majoration des taux de subvention pour les projets écologiques éligibles, votée par amendement en loi de finances pour 2023, contribue au verdissement de ces dotations et facilite leur cotation.
Au sein du budget vert, les dépenses neutres demeurent les plus nombreuses. Cela résulte de sa méthodologie même et s'explique par la neutralisation d'importants montants ne présentant qu'un effet revenu (dépenses de personnel, transferts aux ménages et aux entreprises) ou qui sont non substituables (dépenses régaliennes) par du « plus vert ». Cela permet d'identifier en priorité les dépenses incontestablement brunes et pouvant être verdies ou éliminées. Des ajustements sont cependant envisageables, par exemple en préparant les conditions d'une cotation plus fine de certains transferts aux entreprises. Une évaluation environnementale du crédit d'impôt recherche (CIR) pourrait notamment être menée.
L'attention accordée à la cohérence de l'impact environnemental des crédits portés par une même action budgétaire ou – lorsque cela ne s'avère pas possible – la poursuite de l'introduction de cotations par quote-part constitue une des pistes d'amélioration de la finesse du budget vert. Ces travaux doivent être poursuivis, sans toutefois nuire à la clarté et à la simplicité d'usage de ce document, dont il faut rappeler qu'il s'adresse en premier lieu aux parlementaires que nous sommes.
L'introduction dès le prochain PLF d'une méthode de cotation à la « brique » budgétaire affinera encore le budget vert. Elle est surtout un préalable à son utilisation à toutes les étapes du cycle budgétaire, de l'élaboration du PLF au constat de l'exécution. Cela devrait nous conduire à réfléchir à l'instauration d'un temps parlementaire annuel dédié à la trajectoire écologique des finances publiques, qui pourrait prendre appui sur le budget vert. Cette idée n'est pas éloignée de celle qui avait été proposée en 2021 par nos collègues Bénédicte Peyrol et Jean-Charles Colas-Roy lors de l'examen de la loi « climat et résilience ».
Intégré au cycle budgétaire annuel, le budget vert doit aussi devenir une référence pour la programmation pluriannuelle. Si le Parlement adoptait le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) actuellement en navette, le budget vert servirait de base à une trajectoire ambitieuse et inédite de diminution du ratio entre les dépenses brunes et les dépenses vertes. Les autres administrations publiques, en premier lieu les collectivités territoriales, doivent être davantage associées à cette démarche. Il me semble que nous devrons prévoir dans la loi, à une échéance relativement proche, une généralisation des budgets verts locaux pour les collectivités les plus importantes, dans le cadre d'une large concertation. À condition que les méthodologies employées soient compatibles, cela permettra d'agréger les différentes initiatives pour disposer, à terme, d'un budget vert de l'ensemble des administrations publiques. Pour ce sujet, mon rapport comporte huit recommandations précises et assez techniques, que je me suis permis de transmettre au Gouvernement, dans l'optique de la publication prochaine du prochain budget vert associé au PLF pour 2024.
L'avant-dernier point concerne les filets de sécurité en faveur des collectivités territoriales pour lutter contre l'inflation. L'inflation élevée enregistrée en 2022 a eu des impacts pour tous les acteurs économiques, y compris les collectivités territoriales. Dans le cadre de ma communication de juin dernier sur l'autonomie financière et fiscale des collectivités, j'avais déjà souhaité commencer à objectiver certains concepts des finances locales qui reviennent régulièrement dans nos débats budgétaires.
Je saisis l'occasion du RALF pour revenir sur les conséquences de l'inflation sur les comptes locaux et les mécanismes de soutien financier mis en œuvre par l'État. D'abord, il est vrai que l'inflation a eu un effet sur les dépenses locales : 22 % des dépenses réelles de fonctionnement ou DRF (les achats, énergie, alimentaire notamment) sont directement exposées à l'inflation. En 2022, la hausse de 1,1 % des DRF relativise l'impact direct de l'inflation.
Ensuite, l'inflation a également un effet sur les recettes. J'ai calculé que 70 milliards d'euros des recettes réelles de fonctionnement (RRF) sont liés directement à l'inflation. D'abord, les impôts assis sur les valeurs locatives (taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe d'enlèvement des ordures ménagères, cotisation foncière des entreprises, taxe d'habitation sur les résidences secondaires) ont progressé avec une revalorisation des bases de 3,4 % en 2022, ce qui confère aux collectivités territoriales 1,3 milliard d'euros supplémentaires, qui sont mécaniquement dus à l'inflation de 2021. L'effet sera deux fois plus prononcé en 2023, soit 3 milliards.
Le rendement de la TVA est en partie lié à la hausse des prix. Elle occupe désormais une place prépondérante dans les recettes locales, notamment pour les régions, départements et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Enfin, les collectivités peuvent choisir de répercuter les hausses de prix dans les tarifs des services. Il en résulte une situation financière favorable pour les collectivités territoriales en 2022 : nous constatons une accumulation de trésorerie et des transferts financiers vers les collectivités qui atteignent 109 milliards d'euros en 2023.
Malgré ce contexte favorable sur les recettes locales, l'État a soutenu les collectivités face à l'inflation. Comme les entreprises, certaines d'entre elles ont bénéficié de l'amortisseur électricité et du bouclier tarifaire. Elles ont aussi reçu des dotations exceptionnelles. Les départements ont perçu 120 millions d'euros au titre de la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA), même si cette dépense a diminué en 2022, comme cela était déjà le cas en 2021. L'État a ainsi apporté une compensation à la Ville de Paris et au département des Hauts-de-Seine, dont les épargnes brutes sont pourtant élevées.
Le filet de sécurité pour 2022 a été plus ciblé que le prélèvement sur recettes relatif au RSA. Je rappelle à ce titre que le filet de sécurité compense 50 % de la revalorisation du point d'indice et 70 % des hausses de dépenses d'énergie et alimentaires. Ainsi, 430 millions d'euros ont été budgétés pour 404 millions d'euros dépensés. Il visait les communes ou EPCI avec une épargne brute fin 2021 de moins de 22 % de leurs RRF et dont l'épargne brute a baissé de plus de 25 % en 2022, en raison principalement de l'inflation.
J'observe également un certain pessimisme de la part des collectivités. Elles pouvaient demander un acompte si elles anticipaient une baisse de plus de 25 % de l'épargne brute. Sur environ 4 167 acomptes demandés, 3 418 feront l'objet d'une reprise. Au total, sur les comptes clos en 2022, 2 007 communes ont été soutenues pour 341 millions d'euros, 105 EPCI pour 35 millions d'euros et 825 syndicats pour 27 millions d'euros. La conclusion qui s'impose est donc celle de la nécessité, en cas de choc économique, de construire des dispositifs adaptés, assortis de critères précis, qui permettent de soutenir les seules collectivités qui en auront vraiment besoin.
Mon dernier point concerne la taxation des terrains nus rendus constructible dans la perspective du zéro artificialisation nette (ZAN), sujet déjà abordé il y a un an lors du PLF 2023, et sujet d'avenir dans l'optique du verdissement de notre fiscalité. Cet objectif d'absence de toute artificialisation nette des sols d'ici à 2050 a été fixé par la loi « climat et résilience », dans un contexte où l'artificialisation des sols a augmenté presque quatre fois plus que la population dans notre pays durant les quarante dernières années.
S'il répond à des impératifs incontestables, cet objectif va entraîner une raréfaction du foncier, qui aura pour conséquence un accroissement de la rente dont bénéficient les propriétaires de terrains nus rendus constructibles par les documents d'urbanisme. On parle de « plus-value foncière » pour qualifier cette rente, qui résulte de la différence entre le prix de vente d'un terrain constructible et le prix de vente d'un terrain comparable classé en tant que terre agricole.
Il existe aujourd'hui deux taxes applicables au moment de la première cession d'un bien rendu constructible. Il s'agit d'une part d'une taxe nationale applicable dans toutes les communes relevant du règlement national d'urbanisme, la taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles dite taxe LMA, créée en 2010. Il s'agit d'autre part d'une taxe locale, facultative, la taxe forfaitaire sur les terrains nus rendus constructibles (TFTC), qui peut être instaurée dans les communes et qui a été créée en 2006.
Or, ces deux taxes poursuivent des objectifs contradictoires. La TFTC a été conçue pour accompagner les « maires bâtisseurs », afin de procurer des ressources permettant de financer des équipements collectifs, ce qui a créé une incitation directe pour les communes à classer des terrains en zone constructible. À l'inverse, la taxe « LMA » a été instaurée dans le but de freiner l'artificialisation des terres agricoles et de constituer une source de financement pour favoriser l'installation de jeunes agriculteurs.
Plusieurs rapports se sont prononcés ces dernières années en faveur d'une révision de cette fiscalité, dans le sens d'un renforcement de la taxe « LMA ». Lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2023, notre commission a adopté un amendement allant dans ce sens, en prévoyant une hausse de la taxe « LMA », une diminution de l'abattement lié à la durée de détention et une suppression de l'exonération des ventes d'un montant de moins de 15 000 euros. Cependant, cet amendement n'a pas été retenu dans le texte final, le Gouvernement ayant fait valoir qu'une réforme d'ensemble de cette fiscalité requerrait d'importants travaux techniques préalables.
Je ne remets pas en cause la nécessité de conduire préalablement à toute réforme un diagnostic partagé avec les collectivités locales, mais souhaiterais en conclusion avancer quelques pistes, autour de la fusion des deux taxes. Cela permettrait à la fois une simplification et la mise en place de nouveaux leviers pour mieux faire contribuer les rentes foncières insuffisamment saisies par la TFTC. La taxe, obligatoire, pourrait être gérée nationalement et faire l'objet d'une redistribution locale pour contribuer à l'accompagnement financier des conséquences du ZAN, tout en continuant de financer l'installation des jeunes agriculteurs. Une réflexion sera aussi nécessaire sur les paramètres de la taxe, qui pourraient nécessiter un abaissement du seuil d'imposition ainsi qu'une révision des abattements pour durée de détention.
L'intérêt du RALF est de conduire un bilan de la mise en place des mesures et non de réaliser une revue fiscale ou un bilan du PLF. Il s'agit ainsi de voir les impacts des lois et si les prévisions ont été confortées par les faits. Ce travail préparatoire est utile pour chacun d'entre nous.