En ce qui concerne le ras-le-bol de la police, l'institution a connu une crise jusqu'en 2015. Cette année-là, alors que nous étions confrontés au terrorisme, nous nous sommes aperçus que l'édifice de la sécurité intérieure avait été fragilisé, notamment du fait de coupes massives dans les effectifs. Des vagues de recrutement ont eu lieu, d'abord à l'initiative de François Hollande puis durant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, à raison de 10 000 embauches supplémentaires net. Mais les départs à la retraite rendent une accélération nécessaire pour assurer le remplacement. La conséquence en est que les entrants ne sont pas assez formés. Une remise au niveau sera opérée. Le ministre de l'intérieur actuel est engagé, à travers la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023, à recruter 8 000 personnes de plus.
S'agissant du niveau d'équipement, le ministère de l'intérieur a vu son budget augmenter sous mon autorité. Les forces de sécurité intérieure, en particulier, ont reçu 1 milliard d'euros de plus. Des primes de revalorisation ont été versées, notamment pour le corps d'encadrement et d'application, dont les agents ont perçu 130 euros par mois en moyenne. Gérald Darmanin a poursuivi dans cette direction. Il a même obtenu des crédits supérieurs à ceux que j'avais négociés avec lui quand il était chargé des comptes publics… Il faut maintenir cet effort. C'est l'objet de la loi d'orientation que le Parlement a adoptée.
Nous devons réaffirmer notre confiance dans la police, tout en précisant que la confiance n'exclut ni l'exigence ni des évolutions. Je ne partage pas votre nostalgie de la clef d'étranglement. Si la quasi-totalité des polices du monde, hors dictatures, n'applique plus cette méthode, c'est qu'elle présente une dangerosité, y compris pour ceux amenés à l'utiliser. Il est bon de les en protéger. Rien n'est pire que de porter la responsabilité de la mort d'une personne à la suite d'une interpellation. En effet, je pense aussi à la dimension personnelle d'un tel événement, pour le policier comme pour toute son équipe. Il faut un point d'équilibre. En tout état de cause, l'équipement des forces de sécurité ne doit pas être diminué et il ne saurait être question de les désarmer. Je n'ai jamais dit autre chose.
Vous me permettrez de relever une légère confusion, dans votre propos, entre la stratégie d'ensemble fondée sur la distance et ce que j'ai dit des interventions contre les black blocs. Si les forces de sécurité doivent, en effet, rester à distance des manifestants, il faut en revanche aller au contact des black blocs, les percuter. Quand on est ministre de l'intérieur, on sait que l'usage de cette technique augmente le risque de blessures. Mais c'est la chose à faire. Les moyens n'ont rien à voir là-dedans : il s'agit d'une percussion physique qu'aucun lanceur de balles de défense ni aucune grenade ne peut remplacer.
En ce qui concerne mes préconisations, elles consisteraient à continuer le renseignement sur les ultras et à accroître les moyens pour la gestion des manifestations qui dérapent. Je pense en particulier aux canons à eau. Surtout, il faut s'en tenir au principe de spécialité. C'est d'ailleurs la volonté du ministre de l'intérieur conformément au schéma national du maintien de l'ordre que Laurent Nuñez et moi-même avions préparé. Les policiers sur le terrain, appartenant aux brigades anti-criminalité, ne sont pas les plus à même de faire du maintien de l'ordre. Or, s'ils ont dû y procéder, c'est que le dispositif avait été affaibli. Les escadrons de gendarmerie mobile et les compagnies républicaines de sécurité avaient perdu environ un quart de leurs effectifs, ce qui avait conduit à diminuer le nombre de personnes composant chacune de ces entités. Il faut remonter le niveau capacitaire. D'ailleurs, en l'absence de trouble à l'ordre public, les membres d'une compagnie républicaine de sécurité ou d'un escadron de gendarmerie peuvent se consacrer à la sécurité publique sous l'autorité des préfets.