Quand j'entends dire que les événements de Sainte-Soline sont dus à l'interdiction de la manifestation, cela me rappelle les reproches que m'ont adressés certains maires quant à la manière dont l'ordre public avait été géré dans leur commune lors de manifestations. Lorsque je leur proposais de retirer la totalité des forces de sécurité intérieure, puisque celles-ci étaient, à les en croire, la cause des désordres, et de faire toute confiance à la municipalité pour organiser la désescalade, ils ne donnaient jamais suite…
Il faut s'interroger en permanence sur les conséquences de l'interdiction d'une manifestation, sur l'équipement des forces de sécurité, sur leurs interventions et, d'une manière générale, sur les modalités de gestion de l'ordre public. À cet égard, la situation n'est pas satisfaisante. Elle devra encore évoluer. Toutefois, les personnes qui expliquent que les événements dégénèrent à cause de l'interdiction de la manifestation sont aussi celles qui justifient ou excusent les actions violentes, contribuant à les banaliser. À mes yeux, une action violente reste une action violente, quelle qu'en soit la cause, et la loi est la loi. Mettre à sac une école ou un commerce est interdit. On peut avoir un jugement de valeur sur le sujet qui a entraîné le rassemblement, mais je ne saurais accepter que l'on encourage à violer la loi.
On peut aussi s'interroger sur les moyens de force intermédiaire. Je me souviens avoir demandé un comparatif international, notamment lors de l'élaboration du nouveau schéma national du maintien de l'ordre. Il a été question d'utiliser des chevaux. Même en Angleterre, où la pratique est répandue, les méthodes de protection des animaux ont dû évoluer car certains avaient pris l'habitude de leur couper les jarrets. La violence en réaction aux formes de protection revêt des aspects divers. En Allemagne, on utilise de façon massive les canons à eau, beaucoup plus que chez nous. Peut-être pourrions-nous évoluer sur ce point ?
En ce qui concerne les armes utilisées par la police française, j'ai interdit les grenades lacrymogènes instantanées (GLI-F4). Elles étaient très efficaces : grâce à la forte explosion qu'elles provoquaient, elles permettaient à un fonctionnaire acculé de se dégager. Toutefois, l'explosif avait causé plusieurs accidents graves. Même si ces derniers étaient presque systématiquement liés au fait que des manifestants s'étaient emparés de la grenade pour la renvoyer et avaient eu la main arrachée à cette occasion, et que le plus simple aurait été que les gens cessent d'agir ainsi, j'ai fait le choix d'interdire ces armes. Le stock, qui comptait près de 80 000 unités, a donc été neutralisé.
Le lanceur de balles de défense fait lui aussi débat. En janvier 2019, quelques semaines après le début du mouvement des gilets jaunes, j'ai expressément demandé aux policiers, par circulaire, de déclencher leur caméra-piéton avant de tirer, sauf légitime défense ou délai pour réagir extrêmement court, comme le faisaient déjà les gendarmes. Une baisse significative du nombre de tirs a été constatée. Le principe du lanceur de balles de défense est de tenir à distance une foule agressive, pas de tirer sur une personne ne présentant pas de dangerosité particulière. Il permet d'éviter le recours à une arme létale. Cela dit, je comprends votre interrogation. Dès lors que la technologie et le matériel évoluent, il doit en être de même pour l'emploi qui en est fait. Il faut avoir des hommes spécialisés, formés, respectant une doctrine stricte et contrôlés. Dans la gendarmerie, un tir de lanceur de balles de défense doit être autorisé par le chef du groupe d'intervention. Des méthodes comme celle-ci pourraient être déployées davantage.
S'agissant de l'ultradroite et de l'ultragauche, l'affrontement avec l'ennemi fait partie de la mythologie de ces groupes. C'est la cerise sur le gâteau. Régulièrement, une partie de l'ultragauche, notamment les antifas qui sont l'une des deux principales familles de cette mouvance et qui rassemblent la moitié de ses effectifs environ, se structure avec la volonté de « casser du fasciste ». À partir de l'acte III ou de l'acte IV des gilets jaunes, une bascule s'est opérée : l'ultragauche l'a emporté dans la rue. De tels phénomènes montent en puissance et leur radicalité s'accroît.
L'ultradroite présente une dangerosité relevant du haut du spectre, c'est-à-dire un risque terroriste, plus grave que celle de l'ultragauche. Toutefois, cette dernière a fait montre de radicalité par le passé ; si elle n'est plus aussi violente, elle peut le redevenir. Le directeur général de la sécurité intérieure a rappelé que, depuis 2017, dix projets d'attentat terroriste formés par l'extrême droite avaient été neutralisés contre un seul émanant de l'ultragauche. Les tensions que nous connaissons contribuent à alimenter le phénomène.
La dissolution d'association est un outil important. J'ai souvenir d'avoir dissous des groupes comme Blood and Honour Hexagone, le Bastion social et Combat 18. Un article paru récemment dans Libération faisait état du fait qu'un grand nombre d'associations d'ultradroite, d'extrême droite ou liées à la mouvance terroriste islamiste avaient été dissoutes, notamment lorsque j'étais aux responsabilités, et qu'aucun recours ne nous avait donné tort.
Le renseignement est un autre enjeu majeur. Pendant une quinzaine d'années, notre dispositif a connu des faiblesses. Une remontée en puissance a été opérée. Désormais, nos services offrent des capacités d'information et d'intervention de très haut niveau. Si nous avons réussi à gérer le sommet de Biarritz, c'est parce que le renseignement avait été d'une très grande efficacité, ainsi d'ailleurs que la coopération internationale.