Le rôle d'un patron d'entreprise publique n'est pas de faire la loi. Qu'elle soit européenne ou française, la loi résulte du débat démocratique. Je suis très républicain – dans tous les sens du terme – et je considère que mon rôle est d'appliquer la loi, en protégeant au maximum mon entreprise et en profitant de toutes les occasions de développement qu'elle peut offrir.
L'ouverture à la concurrence signifie que l'on transforme un monopole en marché. Ceux qui prennent une telle décision doivent s'interroger sur la viabilité du marché qu'ils souhaitent créer. Un marché est la rencontre de l'offre et de la demande. Des entreprises doivent être convaincues de pouvoir proposer des produits ou des services dans des conditions qui leur permettront de trouver des clients et d'être rentables.
S'agissant de la stimulation, je vais vous citer un exemple qui n'est pas dans le fret. Lorsque les Italiens ont développé la desserte entre Paris et Lyon, il n'est pas faux de dire que la SNCF a amélioré sa qualité de service en première classe. Quand un nouvel acteur arrive, l'autre a envie de se mettre à niveau. Cette émulation ne me choque pas, car elle est positive pour le client. Elle n'est toutefois pas suffisante.
Dans le fret, l'ouverture à la concurrence n'a pas été accompagnée par les politiques publiques qui auraient été nécessaires. Les nouveaux entrants se sont concentrés sur l'activité qui était la plus accessible et probablement la plus rentable, c'est-à-dire les trains complets, laissant les wagons isolés à Fret SNCF. Une première forme de déséquilibre est donc apparue. Il s'y est ajouté une guerre des prix. Les marges se sont réduites, fragilisant les entreprises et les empêchant d'investir suffisamment.
L'ouverture du marché des télécoms a fonctionné car elle est intervenue au moment de la généralisation des téléphones portables. Les perspectives de développement étaient énormes. Tous les acteurs, nouveaux entrants comme opérateur historique, ont pu trouver leur place.
Votre proposition de conclusion est intéressante. Effectivement, même s'il s'agit d'une forme de paradoxe, la puissance publique doit parfois intervenir pour permettre au marché d'être efficace. C'est peut-être une des leçons à tirer de l'ouverture à la concurrence du fret. Tout en restant dans une logique de marché, il faut créer les conditions de ce que nous espérons tous autour de cette table, en l'occurrence un développement du ferroviaire dans lequel le pôle public, dont Fret SNCF fait partie, conserverait une place légitime et forte.