Le durcissement de la politique monétaire a déjà produit de premiers effets, à commencer par la baisse de 5 % de l'investissement des ménages. Le gouvernement considère que ces effets ont déjà eu lieu pour l'essentiel, ce qui n'est pas le sentiment a priori du HCFP, ni celui de la totalité des instituts auditionnés. L'investissement devrait ainsi être affecté à son tour. De surcroît, il faut également intégrer les maturités et leur prolongement ultérieur. Par conséquent, nous sommes conduits à être plus prudents et à considérer qu'il faudrait faire preuve d'un peu plus de réalisme sur l'appréciation des effets du durcissement de la politique monétaire à l'avenir.
Le taux d'épargne s'est nettement accru, pour s'établir maintenant à 17,4 % du revenu disponible brut des ménages en 2022, sans que personne ne comprenne vraiment quelles en sont les raisons. Cependant, prévoir un repli spontané de ce taux à un niveau proche de son niveau d'avant crise à 15,3 % nous paraît être une hypothèse que nous qualifions de « favorable ». Pour y parvenir, il faudrait un retournement du comportement des ménages, qui est assez difficile à déceler jusqu'à présent. Là encore, la totalité des instituts que nous avons auditionnés estiment que cela n'est pas l'hypothèse la plus plausible ou probable.
Vous m'avez également interrogé sur les estimations des écarts de production ( output gap ), qui ne sont pas des données observables, mais des constructions, au même titre que le PIB potentiel. Ces estimations sont donc réalisées à partir de méthodes ou d'observations de faisceaux d'indices conjoncturels. Or les chocs exogènes qui ont notoirement affecté l'économie française compliquent l'estimation des pertes définitives pour le PIB potentiel. Toutefois, l'ampleur des tensions persistantes sur les recrutements plaide plutôt pour un output gap moins creusé que ce que suppose le gouvernement.
Ensuite, selon les informations disponibles, si les règles existantes s'appliquaient, le déclenchement de la procédure pour déficit excessif en 2024 devrait intervenir. Je pense qu'il s'agit là d'une raison parmi d'autres pour ne pas revenir aux règles existantes et pour plaider malgré tout en faveur d'un accord, le meilleur possible bien entendu.
J'ai lu avec un grand intérêt le rapport sur les besoins des services publics, d'autant plus qu'il était piloté par un jeune magistrat de la Cour des comptes, que je connais bien. Il existe des marges de progrès pour les besoins et personne ne peut penser que les services publics répondent complètement aux besoins sociaux. Mais l'on peut à la fois mieux satisfaire des besoins sociaux sans pour autant augmenter le montant des dépenses publiques. Les revues de dépenses publiques servent précisément à faire le tri entre ce qui est nécessaire et ce qui est effectivement réalisé.
Avec 58 % de dépenses publiques dans le PIB, personne ne peut penser qu'il suffirait « d'empiler » de la dépense publique pour répondre à des besoins sociaux. Je rappelle à ce titre que nous nous situons déjà à 8 points au-dessus de la moyenne de la zone euro et que nous figurerons parmi les premiers dans le monde. Il y a là une rigidité très importante et il importe de diminuer de manière significative le taux de la dépense publique dans le PIB, comme le gouvernement l'envisage. Mais cela n'est pas incompatible avec la prise en compte de besoins sociaux, qui doivent être affinés. La dépense publique doit viser la qualité, dont la qualité sociale.
Vous m'avez posé à différentes reprises des questions sur les dépenses de fonctionnement des collectivités. Une diminution moyenne de 0,5 point par an correspond aux chiffres communiqués par le gouvernement.
Ensuite, le vieillissement de la population est une source de l'augmentation des dépenses, y compris publiques. Cependant, le gouvernement ne nous a pas donné d'information sur ses conséquences pour les dépenses publiques, ni sur d'éventuelles mesures pour les limiter. Nous relevons donc une certaine imprécision en la matière.
Je souhaite également revenir sur la baisse des impôts. En 2013, j'avais effectivement parlé d'un « ras-le-bol fiscal » et je n'ai pas changé d'avis. Je considère en effet que le consentement à l'impôt est très fragile. Lorsque le taux de prélèvements obligatoires se situent à 45,4 %, il faut se garder de les augmenter. Simultanément, compte tenu du niveau élevé de nos déficits, il est également très compliqué de les diminuer.
Madame Maximi, dans l'entretien que vous avez cité, j'ai évoqué les baisses d'impôts nettes. La fiscalité reste naturellement un instrument majeur pour l'allocation des ressources et la redistribution. Cependant, notre raisonnement est le suivant : si l'on décide de diminuer un impôt, il faut compenser le produit de cette diminution, soit par l'augmentation d'autres impôts, soit par des économies correspondantes.
Une question a porté sur les OATI. Il ne nous revient pas de juger la politique d'émission de l'Agence France Trésor. En 2022, compte tenu de la hausse de l'inflation, la charge d'intérêt des titres indexés a fortement crû, mais elle recule avec le reflux de l'inflation déjà amorcé. En revanche, l'effet de la hausse des taux d'intérêt est massif sur les charges de la dette. Pour rappel, le rendement des OAT à dix ans a augmenté de 300 points de base depuis 2021. Il convient donc d'être extrêmement vigilant en la matière.
S'agissant de la cotation de la France, le général de Gaulle a eu ce mot célèbre : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Nous ne vivons plus la même époque, mais j'ai malgré tout la conviction que la politique de la France ne doit pas être dictée par les agences de notation. Il n'existe pas de lien direct entre la cotation et les charges d'intérêt. Cependant, cette notation offre sans aucun doute un regard sur la crédibilité du pays. Je n'établirai pas non plus un lien direct entre l'adoption d'une LPFP et la qualité de la note de notre pays. Cependant, il est évident que le débat qui est le vôtre aujourd'hui sera naturellement très regardé, bien au-delà des agences de notation.
Le risque d'une baisse des prix de l'immobilier sur les recettes publiques est réel. À titre d'illustration, à volume de travail inchangé, une baisse de 5 % des prix immobiliers entraînerait une baisse de 1 milliard d'euros sur les droits de mutation à titre onéreux.
Vous m'avez en outre interrogé sur le financement de la transition écologique. La sortie des mesures de soutien face à l'inflation énergétique représente une baisse du coût budgétaire de plus de 16 milliards d'euros en 2024, qui offre des marges de manœuvre supplémentaires pour financer la transition écologique. Toutefois, sur le long terme, s'il y a bien une dépense qu'on ne peut pas ne pas faire, c'est bien celle qui concerne la transition énergétique. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas la réaliser avec la charge d'intérêt actuelle, car cela impliquerait des hausses de prélèvements tellement élevées que nous nous retrouverions dans une situation extrêmement complexe.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la LPFP. Le Haut Conseil joue son rôle et adopte une appréciation balancée. Nous sommes en effet une instance pluraliste, qui auditionne des experts comme l'OFCE, Rexecode, l'Insee et la Banque de France. En notre sein, plusieurs sensibilités politiques et économiques s'expriment. Mais nous parvenons toujours à un consensus. En l'espèce, nous disons que des progrès ont été réalisés. Ils concernent notamment le nouveau dépôt d'une loi de programmation, ainsi qu'une plus grande volonté de réduction des déficits et de la dette. Mais nous avons également souligné l'existence de lacunes, d'hypothèses et prévisions « optimistes » ou « favorables » à nos yeux. De même, la crédibilité doit être encore approfondie, notamment grâce à une documentation supérieure. En effet, cette documentation est faible concernant les années à venir, en dehors de celle transmise sur la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage.
Au-delà, ma conclusion n'est pas très différente de celle que j'exposais il y a un an : nous avons réellement besoin d'une loi de programmation des finances publiques. Je n'ai jamais parlé d'insincérité : le gouvernement peut exposer l'optimisme de la volonté. Les prévisions ne sont pas complètement inatteignables et elles ne sont plus marquées par des éléments très politiques comme cela a pu être le cas par le passé. Cependant, de notre côté, nous sommes obligés d'être plus réalistes et de partir des prévisions telles qu'elles sont.
Le Haut Conseil des finances publiques est un watchdog, une vigie. Mais nous avons besoin d'une loi de programmation, pour des raisons que j'ai évoquées précédemment. D'abord, il s'agit d'un impératif qui découle de nos engagements européens. En outre, l'article 34 de la constitution prévoit que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation ».
Une telle loi de programmation constitue une boussole indispensable pour le pilotage des finances publiques, qui doit crédibiliser l'engagement de redressement des finances publiques au niveau national et européen. Enfin, l'adoption d'une LPFP est inscrite dans les engagements pris au sein du plan national de relance et de résilience élaboré dans le cadre du plan NextGenerationEU. Selon le gouvernement, l'absence d'adoption du texte ferait courir un risque sur le versement de 10,3 milliards d'euros de subventions européennes avant la fin de l'année 2023 et retarderait les versements pour 2024. Ce risque existe. Il ne faut pas le courir. C'est la raison pour laquelle notre pays a vraiment besoin d'une telle loi de programmation révisée. Je vous incite de ce point de vue à avancer vers son vote, ce qui ne nous empêche pas de poursuivre notre vigilance.
Monsieur le rapporteur général, je pense par ailleurs qu'il faudra aller plus loin à l'avenir en matière de désendettement. En conclusion, le vote d'une telle loi m'apparaît indispensable, pour des raisons constitutionnelles, juridiques, politiques et européennes.