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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du lundi 25 septembre 2023 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Vous avez évoqué la dette écologique. Le Haut Conseil des finances publiques est un organisme qui travaille sur mandat, à partir des missions confiées par la loi organique. Mais si on nous le demande, nous serons prêts à travailler sur la dette écologique. De manière plus substantielle, je considère que la dette écologique et la dette financière constituent les deux faces d'une même pièce. J'ai eu l'occasion, y compris à titre personnel, de me prononcer sur le rapport Pisani-Ferry – Mahfouz, en donnant une appréciation extrêmement positive sur l'évolution des dépenses à opérer.

J'ai en revanche un point de désaccord avec Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur la dette. Naturellement, il est préférable d'utiliser une dette pour la transition écologique que pour le fonctionnement. Mais, in fine, cette dette doit être remboursée et elle se traduit par une augmentation de sa charge. Finalement, le serpent finit par se mordre la queue : cette augmentation réduit la capacité à financer les investissements. Je maintiens pour ma part que l'augmentation de la dette seule ne constitue absolument pas la solution. Si nous augmentons la dette écologique, il faut trouver autant de ressources de désendettement ailleurs. J'ajoute que le rapport ne propose pas non plus que tout soit absorbé par un surcroît de dette. Il propose ainsi une série d'autres pistes. Cependant, la dette financière pèse sur l'ensemble de l'action publique, y compris notre capacité à faire face à la transition écologique.

Les charges de la dette publique seraient de 1,9 point de PIB en 2022 et de 2,6 points de PIB en 2027, soit une hausse de 0,7 point, qui ne prend en compte qu'une partie des effets de la hausse des taux. Mais je partage le point de vue du rapporteur général sur ce sujet : il faut surtout regarder ce que cela représente en termes budgétaires. J'ai évoqué les années 2010 à 2014 ; pendant deux ans, j'étais ministre des finances lors de la période sous revue. Je ne souhaite à personne de se retrouver dans la situation dans laquelle j'étais à l'époque, quand la charge de la dette représentait le deuxième budget de l'État. Il importe donc de ne pas se reposer sur des critères de PIB, mais de regarder le contenu économique et financier, ce que vous faites, mesdames et messieurs les parlementaires.

Vous avez de plus évoqué les économies non documentées. Environ 12 milliards d'euros sont annoncés en 2025 au titre des revues de dépenses, sans connaître les dépenses concernées. Les chiffres sont précisés pour la réforme des retraites et l'assurance chômage, mais les autres économies nécessaires ne sont pas spécifiées. L'année prochaine, vous serez confrontés à un exercice d'une autre complexité : il ne s'agira plus de mettre un terme à des dispositifs exceptionnels prolongés, mais de procéder à des choix difficiles. Il conviendra donc d'agir de manière profonde et sérieuse.

En ce qui concerne la réforme des règles de gouvernance européennes, je considère depuis très longtemps qu'elles sont inadaptées en l'état. Pendant les cinq années où j'ai été commissaire européen, j'ai introduit une notion fondamentale de flexibilité, sans laquelle nous aurions sanctionné l'Italie, l'Espagne ou le Portugal. Aujourd'hui, la flexibilité ne suffit plus : les règles elles-mêmes doivent être revues.

De fait, si nous devions rétablir les règles sans les modifier, cela serait extrêmement préoccupant. Un certain nombre de pays, dont le nôtre, se retrouveraient ainsi en procédure pour le déficit et pour la dette. À titre personnel, je suis convaincu qu'un accord est non seulement nécessaire, mais également possible. À ce sujet, la proposition initiale de la Commission européenne, qui consiste à dessiner des trajectoires individualisées en contrepartie de certaines réformes, constitue plutôt une bonne démarche. D'autres pays n'ont pas la même attitude. Par exemple, l'Allemagne opère un durcissement incontestable, qui paraît difficile à accepter en l'état. Je pense néanmoins que des voies de compromis existent.

Monsieur le président, vous vous êtes interrogé sur ce qui se passerait dans l'hypothèse où les règles seraient modifiées pour les institutions budgétaires indépendantes (IBI), à l'image du Haut Conseil des finances publiques. Il y aurait dans ce cas plus d'appropriation nationale, des plans seraient déroulés année après année, ce qui impliquerait nécessairement un renforcement du rôle des institutions budgétaires indépendantes. Nous serions ainsi conduits à donner des avis sur la soutenabilité de la dette ou des politiques publiques. Il serait à ce moment-là nécessaire de demander aux gouvernements de s'expliquer s'ils ne suivaient pas les avis des IBI.

En toute hypothèse, si cela devait se produire, vous seriez conduits à modifier la loi organique pour en tenir compte, dans un contexte qui pourrait être consensuel. Certains estimeront que l'on pourrait encore retarder d'un an le rétablissement des règles. D'une part, pour en avoir parlé récemment avec le commissaire en charge, cela serait très compliqué. D'autre part, cela ne serait pas forcément favorable pour la France : plus la décision intervient tardivement, plus les écarts se voient. Je plaide donc plutôt pour un rétablissement en 2024 des règles, mais des règles modifiées.

Ensuite, que s'est-il passé en 2023 ? La baisse des prix du gaz est intervenue de manière imprévue, y compris pour le gouvernement. La croissance au deuxième trimestre a également surpris tout le monde. Comme nous le faisons toujours, nous avons interrogé plusieurs instituts de conjoncture privés et publics. Personne ne dispose d'explications claires sur ce qui s'est passé lors de ce trimestre. Pour le moment, la tendance n'a pas été confirmée par les trimestres ultérieurs. Je me réjouis naturellement que la prévision d'un taux de croissance de 1 % en 2023 tende à se confirmer. Mais je ne pense pas qu'il faille capitaliser de manière excessive sur cet évènement.

Sans trahir les débats sur la prévision en 2024, les écarts des estimations sont très importants selon les instituts de conjonctures, certains parlant de 1,2 % quand d'autres se limitent à 0,4 %. Quoi qu'il en soit, tous se situent en deçà de 1,4 %.

Monsieur le président, je ne crois pas au rabot. J'ai toujours trouvé cette méthode assez idiote en réalité, car elle n'améliore en rien la qualité de la dépense. De mon côté, je plaide pour une revue des finances publiques. Dans le cadre de nos travaux, nous avons produit neuf notes thématiques, dont une note sur les dépenses fiscales et une autre sur les aides aux entreprises. Nous ne prétendons pas disposer de la vérité révélée, mais il nous faut aller beaucoup plus loin en la matière.

Comment améliorer la revue des dépenses publiques ? Dans son rapport du mois de juin, la Cour des comptes a rédigé un chapitre de méthode qui m'apparaît très intéressant. Il insiste notamment sur la durée et je crois savoir que telle est également l'intention du gouvernement et du ministre délégué en charge du budget. Ensuite, il importe d'œuvrer en profondeur : il faut agir sur la totalité de la dépense publique. Enfin, cet exercice ne doit pas se dérouler entre administrations, mais être beaucoup plus ouvert, en associant les parties prenantes, c'est-à-dire les forces sociales, des économistes et des institutions indépendantes.

La dépense des collectivités est attendue en hausse de 1 % en volume en 2023, avec notamment un effet très significatif sur l'investissement (10 % en valeur et 5 % en volume). Ici aussi, il sera nécessaire de rechercher un consensus extrêmement fort. Le ministre des finances a réuni la semaine dernière ce qu'il appelle le Haut Conseil des finances locales, rassemblant les trois ministres concernés, ainsi que les présidents des associations et le premier président de la Cour des comptes. Je n'ai pu m'y rendre en raison de contraintes de calendrier, mais j'étais représenté par Christian Charpy le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. La réunion s'est d'ailleurs déroulée dans un bon état d'esprit.

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