Avant d'évoquer les questions liées au financement et de préciser quelques points marquants pour l'analyse du plan Écophyto, je tiens à souligner d'emblée que les données que je citerai datent de 2019, et qu'il convient donc, en 2023, de les prendre avec prudence.
Je rappelle tout d'abord que le financement du plan Écophyto repose sur une taxe : la redevance pour pollutions diffuses, qui a rapporté 150 millions d'euros en 2019, dont 41 millions réservés au financement du programme national. Ces sommes sont versées à l'Office français de la biodiversité (OFB), qui met ensuite en œuvre les financements. En complément, il existe également depuis 2016 une enveloppe régionale affectée aux agences de l'eau, soit au total environ 71 millions d'euros sur les 150 millions de la redevance pour pollution diffuse. Ces montants sont donc assez faibles et la première conclusion que l'on peut en tirer est que la redevance pour pollution diffuse a un impact assez réduit sur le prix des produits phytopharmaceutiques.
La Cour des comptes avait souligné, dans son rapport de 2019, que ces montants ne donnent pas une vision complète de l'ensemble des dépenses engagées en faveur de la politique de réduction de la consommation de produits phytopharmaceutiques, car il existe aussi des financements européens, des financements des régions et d'autres financements de l'État. La Cour des comptes estimait ainsi que, parallèlement à ces 71 millions d'euros, 400 millions étaient consacrés à l'ensemble cette politique avec d'autres financements.
Le premier travail du délégué interministériel nommé en novembre 2018 a été de préciser ces montants, sur la base d'une enquête assez poussée. Selon cette enquête, l'ordre de grandeur des financements bénéficiant à la réduction de l'usage des produits phytosanitaires était plutôt de 643 millions d'euros à l'époque. Bien que l'enquête soit approximative, l'ensemble des acteurs a été consulté et les montants semblent avoir été plutôt bien définis.
Il importe donc, afin de disposer de tous les leviers d'action pour la définition d'une politique, de garder présent à l'esprit que le plan Écophyto ne représente qu'une faible partie des financements alloués à la réduction de la consommation de produits phytopharmaceutiques.
Deuxième constat, bien qu'il s'agisse d'une somme importante, ces 643 millions ne font pas le poids face aux 9 milliards d'euros que représentait en 2019 la politique agricole commune et au chiffre d'affaires de la production agricole française, que nous estimions à l'époque à 71 milliards d'euros. Les montants destinés à la mise en œuvre de ces actions sont donc certes importants au niveau opérationnel mais, dans la réalité, ils ne le sont guère pour changer les mentalités et accompagner des mesures dans l'esprit de massification que nous évoquions tout à l'heure – à moins que les autres acteurs bénéficiant de montants importants convergent vers l'objectif politique de réduction des produits phytopharmaceutiques.
Enfin, les moyens sont concentrés sur un nombre limité d'actions. En effet, 90 % des crédits sont concentrés sur cinq actions et les 10 % restants financent une multitude de petites actions, ce qui est une forme de saupoudrage. La moitié des cinq actions principales concernent l'agriculture biologique, qui a des effets positifs sur les résultats en termes de baisse de la consommation de produits phytopharmaceutiques. Je pourrai, si vous le souhaitez, revenir sur d'autres points à ce propos.
Dans l'ensemble, le seul financement orienté vers la massification est celui qui concerne l'agriculture biologique. Tout le reste porte sur des expérimentations permettant de démontrer que des résultats sont possibles, mais pas de massifier, ce qui explique en partie les résultats insuffisants constatés par la Cour des comptes.
Voilà pour ce qui concerne les financements.
Sur la gouvernance, la Cour des comptes avait également formulé des critiques, et nous avons fait exactement les mêmes constats.
Tout d'abord, si la gouvernance du plan est interministérielle et concerne quatre ministères, ces derniers ne sont impliqués que pour le pilotage du volet national, ce qui leur donne, en termes stratégiques, une vision partielle. Par ailleurs, pour ce qui est de la réalisation du plan d'action, l'absence d'évaluation des mesures financées ne permet pas de savoir si elles sont ou non efficaces. En troisième lieu, ces évaluations inexistantes ne donnent pas lieu à rapport à un comité scientifique et technique : cela avait été proposé en 2014 par notre éminent président mais, fin 2020, cette proposition n'avait toujours pas été mise en œuvre.
Nous ne disposions donc pas d'éléments permettant d'avoir une vision globale des financements, les évaluations sont insuffisantes et elles ne font pas l'objet de validation par le comité scientifique et technique, qui n'existait d'ailleurs pas à l'époque. Plus largement, cette absence de vision globale ne permettait pas de mettre en cohérence des politiques publiques qui, malgré des objectifs quelque peu différents, pouvaient converger. Un pilotage stratégique était donc réellement difficile.
Sur le plan opérationnel, nous n'avions pas à l'époque de chef de projet au sens classique du terme. En effet, le délégué interministériel créé et nommé en décembre 2018 n'avait pas la capacité d'arbitrer, notamment pour la vie quotidienne et les besoins des différents acteurs de terrain. Cette absence de conduite de projet global ajoutait à la difficulté stratégique une difficulté de mise en œuvre pratique, ce qui se traduisait, en termes de réalisation, par une programmation budgétaire assez tardive, avec en général un décalage de l'ordre d'une année. Or lorsque les crédits sont programmés tard dans l'année, ils ne sont consommés que l'année suivante, ce qui se traduit par d'importants reports de crédits, sur lesquels je reviendrai. Il n'y avait, en outre, pas de coordination entre les responsables des différentes actions du programme.
En termes de gouvernance, la mobilisation des acteurs clés du programme n'était pas suffisante ni orientée. C'est évidemment difficile s'il n'y a pas de pilote, mais chacun des acteurs concernés n'était, en outre, pas en mesure d'aller loin dans la mise en œuvre. L'OFB, qui disposait des financements, menait cette politique parmi d'autres et lui consacrait des montants relativement faibles par rapport à ceux alloués à d'autres domaines – j'y reviendrai tout à l'heure, car cela a des conséquences sur la consommation des crédits.
Au niveau régional, les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) disposent de peu de moyens financiers, car ce sont les agences de l'eau qui les ont, les Draaf étant plutôt des coordonnateurs de comités de financeurs et ne pouvant pas mettre d'argent sur la table pour entraîner d'autres acteurs, notamment régionaux, dans cette démarche, qui est donc toujours plus délicate à mettre en œuvre.
Enfin, nous n'avons pas constaté que les chambres d'agriculture se soient mobilisées pour ce plan et il n'y avait pas non plus de contrat d'objectifs et de moyens qui les incitaient à mener des actions dans ce sens.
Voilà pour les idées-forces concernant la gouvernance du plan et le pilotage du programme.
Pour ce qui est, en troisième lieu, de la gestion financière du programme, nous avons constaté, comme la Cour des comptes, que certaines actions revenaient régulièrement chaque année. Alors que 70 % environ des financements sont récurrents, on se pose chaque année à nouveau la question de la programmation budgétaire pour l'ensemble des crédits. Cette procédure est assez lourde, alors qu'une procédure de programmation pluriannuelle permettrait d'anticiper les crédits, de les consommer plus vite et donc d'agir plus vite. Ces techniques, qui n'étaient pas en vigueur à l'époque, sont certes assez élémentaires, mais elles sont désormais bien au point.
Du côté des recettes, le recouvrement de la redevance par l'une des agences de l'eau – celle d'Artois-Picardie – fonctionne bien, et il n'y a donc pas de raison de remettre en cause ce fonctionnement. Du côté des dépenses, en revanche, l'OFB n'a pas, je le répète, pour mission principale la mise en œuvre du plan Écophyto : cet établissement exécute d'autres politiques et, pour agir, applique des règles internes qui s'imposent à l'ensemble des politiques, notamment pour ce qui concerne les subventions. Or, alors que l'OFB a, par exemple, pour règle interne de ne pas subventionner un projet à hauteur de plus de 75 %, de telle sorte que ce projet doit trouver d'autres financeurs, l'État souhaite parfois que le financement atteigne 100 %. Certaines contraintes peuvent ainsi tenir à un opérateur qui n'est par ailleurs pas pleinement concerné par le projet en question, et a d'autres préoccupations.
Quant au volet régional, les agences de l'eau, qui disposent de 30 millions d'euros répartis entre elles, ont des missions plus vastes que le plan Écophyto, qui se trouve ainsi un peu marginalisé. Les agences de l'eau contribuent toutefois, pour des montants importants, au bénéfice des objectifs du plan Écophyto – nous y reviendrons tout à l'heure.
Comme je l'ai également dit, la Draaf n'est pas le pilote régional du plan et ne dispose pas des moyens. Par ailleurs, les agences de l'eau ne participent pas à la stratégie nationale et on ne les consulte pas sur la mise en œuvre des différentes actions. Il n'y a donc pas d'interactions entre la vision nationale et la vision régionale – en d'autres termes, entre le terrain et les décideurs : les deux niveaux sont déconnectés. C'est en tout cas ce que nous avions constaté à l'époque.
Enfin, sur six ans et pour ne parler que des 41 millions affectés à l'OFB, 15 % des crédits de paiement ne sont pas consommés ni reportés, soit en moyenne 6 millions d'euros qui tombent chaque année dans le fonds de roulement de l'OFB, lequel les emploie à d'autres usages. À l'époque, je le rappelle, cette redevance était une taxe affectée, dont on ne pouvait pas utiliser l'argent à d'autres objets que la réalisation du plan Écophyto – cela a changé depuis. Normalement, c'est l'exercice de la tutelle qui permet de constater la sous-consommation des crédits et d'inciter à les reprogrammer pour l'année suivante. Sur les 24 millions qui n'ont pas été consommés durant la période 2016-2019, seuls 4 millions ont été reprogrammés, ce qui représente une perte sèche de 20 millions sur l'ensemble de cette période, perte non négligeable par comparaison avec les 41 millions annuels – et, de fait, en discutant avec les acteurs de terrain, on voit que 20 millions représentent une somme importante.