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Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du mardi 26 septembre 2023 à 21h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l'intérieur :

D'abord, je ne considère pas un échec l'attribution de moyens supplémentaires à la police et aux services de renseignement, ni la diminution significative du niveau de menace terroriste et du nombre d'attentats grâce aux actions menées dans le cadre de la coalition en Irak et en Syrie. Pour moi, il ne s'agit pas d'un échec, mais d'un succès.

D'ailleurs, ces actions ont été contestées à l'époque. Lorsque j'ai fait adopter la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, il s'est trouvé des forces politiques pour dire que nous mettions en œuvre la surveillance de masse. Lorsque nous organisions les frappes de la coalition sur les états-majors de l'État islamique à Raqqa, on nous expliquait que nous n'avions rien à faire dans cette coalition et que M. Vladimir Poutine, par le soutien qu'il apportait M. Bachar al-Assad, serait beaucoup plus efficace pour éradiquer l'État islamique. Des déclarations précises ont été faites par d'éminents responsables politiques français prompts à dispenser leurs leçons. Voilà les faits.

Lorsque vous donnez des moyens humains et budgétaires à la police pour qu'elle exerce convenablement ses missions et lorsque vous prenez vos responsabilités au plan international pour une diminution de la menace terroriste, même s'il faut rester vigilant sur ce point, on ne peut parler d'échec. Lorsque vous êtes attaché au service public, et je sais que vous l'êtes, et qu'un gouvernement lui donne des moyens supplémentaires pour lui permettre d'accomplir ses missions, cela doit sembler préférable à la suppression de 13 000 emplois. Je ne qualifie pas d'échec le rétablissement des moyens alloués à une administration, dont elle a été privée sur le plan budgétaire et sur le plan humain, pour lui permettre de remplir convenablement ses missions.

Au demeurant, on ne peut pas vouloir une police républicaine et dire, lorsque l'on crée les conditions d'y parvenir en matière d'effectifs, de déontologie, de moyens et de formation, que l'on est sur le mauvais chemin. Je ne comprends pas un tel raisonnement.

Ensuite, vous dites que j'ignorais que les black blocs venaient en nombre, ce qui serait selon vous un échec des services de renseignement. Rassurez-vous : les renseignements me faisaient savoir qu'ils venaient en bloc, et pas toujours habillés en black. Je savais parfaitement qu'ils arrivaient et selon quel processus ils s'agrégeaient. Les services de renseignement me prévenaient de ce qui allait se produire. Ils m'indiquaient qu'ils étaient de plus en plus nombreux car ils appartenaient à des organisations toujours plus transnationales, parfois appuyées par des organisations politiques nationales pleines de mansuétude pour eux. Je savais tout cela. Le renseignement ne m'a jamais fait défaut. J'étais parfaitement informé.

On ne peut pas considérer que ceux qui sont informés de l'arrivée de ces groupes et qui mobilisent les moyens de l'État pour éviter qu'ils ne prospèrent et ne cassent sont responsables de leur venue, alors même que d'autres, qui pourraient s'indigner de tels comportements, expliquent que la responsabilité de tout cela est celle de la police et non des groupes en question. L'échec est là : dans l'incapacité de qualifier les actes commis par ces individus, dans l'incapacité de soutenir les forces de l'ordre lorsqu'ils arrivent en bloc, en groupe et en masse pour casser. Cet échec rend d'ailleurs impossible le rôle des organisations syndicales, qui aspirent à manifester dignement. Lorsque j'ai reçu les dirigeants de la Confédération générale du travail et de Force ouvrière pour lever l'interdiction d'une manifestation, car en République, lorsqu'il y a des tensions sociales, le droit de manifester ne peut être remis en cause, le problème a été résolu dans mon bureau. Ces dirigeants ont souligné que la présence de ces groupes était de nature à compliquer l'organisation de leurs manifestations et l'exercice serein de cette liberté de manifester à laquelle les organisations syndicales sont attachées.

Je ne vois pas d'échec dans ce processus. Au demeurant, vous savez que la plupart des pays européens sont confrontés à ce problème. En Allemagne, il y a eu des exactions graves. En Italie, il s'en est notamment produit à Gênes, lors du G8. Il s'agit d'un phénomène général, d'un problème grave exigeant une analyse en amont et une mobilisation forte des pouvoirs publics. L'exercice n'est pas facile, je le sais.

Je sais aussi que le ministre de l'intérieur, quoi qu'il fasse, a toujours tort. C'est pourquoi je suis d'une extrême pondération à l'égard de mes successeurs. Lorsque l'on a exercé des responsabilités politiques, notamment dans les difficultés auxquelles j'ai été confronté, on a un peu de retenue et de réserve à l'égard de ceux qui vous succèdent, parce que l'on connaît la difficulté de la tâche. La politique, dans mon esprit du moins, n'est pas un exercice consistant à atteindre les autres par la convocation de toutes les outrances pour prendre son bénéfice sur le tapis vert. Telle n'est pas ma conception. Je n'agis pas ainsi. Je comprends que l'on puisse considérer cela totalement ringard, vieux monde, démodé, hors du temps, et que la modernité soit ailleurs. Je n'en assume pas moins cette position.

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