Si, 9 000 ! Un rapport a été rédigé par Valérie Rabault en 2017, extrêmement sérieux parce qu'elle est une femme extrêmement sérieuse, en liaison avec la Cour des comptes. Ses chiffres sont extraordinairement précis. Si ceux dont vous disposez sont ceux que vous me dites, ce ne sont pas les bons. Si vous me laissez une adresse électronique, je vous enverrai le rapport de Mme Rabault. Il est précis, qualitatif et incontestable. Nous n'avons seulement créé 9 000 postes. Nous avons aussi augmenté de 20 % les crédits « hors titre 2 » de la police et de la gendarmerie, ce qui figure également dans le rapport, parce que la diminution de 17 % des crédits « hors titre 2 » pendant la période 2007-2012 avait été extraordinairement préjudiciable au bon fonctionnement des forces.
Quand vous regardez les conséquences de la déflation des effectifs des forces spécialisées dans le maintien de l'ordre, escadrons de gendarmerie mobile et compagnies républicaines de sécurité, et que vous constatez la difficulté dans laquelle elles sont de remplir les missions de maintien de l'ordre, qui ne sont pas des missions d'interpellation, vous êtes contraint de recourir à d'autres forces lors de manifestations multiples et nombreuses comprenant des individus violents. Ce sont les brigades anti-criminalité et les compagnies d'intervention, parce que si vous ne mettez pas le minimum d'effectifs en face de ceux qui sont là pour créer des troubles importants, des difficultés très grandes surviendront.
Par ailleurs, le maintien de l'ordre suppose des forces qui, par leur présence, créent les conditions de la désescalade. Mais lorsque des black blocs viennent casser par centaines, si vous ne les interpellez pas, vous donnez le sentiment de l'impuissance et vous créez les conditions d'un désordre plus grand. D'ailleurs, je suis convaincu que ceux-là mêmes qui regrettent l'intervention de ces forces lorsqu'elles interpellent seraient les premiers à dénoncer l'incompétence de la police si elle n'intervenait pas pour mettre fin à ces désordres immenses. Il existe, vous le savez bien, des acteurs politiques qui considèrent que, quoi que fasse la police, elle a toujours tort. Ils prennent argument de tous les manquements, de toutes les difficultés pour condamner les forces de l'ordre. Quand vous êtes ministre, vous devez aussi tenir compte de cela, parce que la crédibilité de l'État dans son action dépend de son efficacité au moment où celle-ci se déroule dans un contexte de très grande tension.
Vous parlez de militarisation des forces de sécurité intérieure. Je n'ai pas senti, lorsque j'étais ministre de l'intérieur, que les forces de l'ordre se militarisaient. J'ai même senti, parce que nous étions encore à une époque où la gendarmerie venait d'intégrer le ministère de l'intérieur et qu'il fallait articuler ses interventions avec la police, une tendance à la démilitarisation des forces de sécurité intérieure. Les raisons tenaient à la cohabitation des habitudes et à la nécessité de faire en sorte que ces deux cultures très différentes finissent par se dépasser pour qu'une culture nouvelle des forces de l'ordre, républicaine, soit possible.
En revanche, je pense que la volonté, à un moment donné, de faire du ministère de l'intérieur un ministère de la sécurité à l'américaine, de faire des forces de sécurité intérieure une espèce de grand bureau fédéral d'investigation, de réformer le renseignement par la fusion des renseignements généraux et de la direction de la surveillance du territoire pour créer la direction centrale du renseignement intérieur qui empruntait à la même philosophie, a fait du ministère de l'intérieur, non plus le ministère de l'État, c'est-à-dire le ministère de la sécurité, des libertés publiques, des territoires, des valeurs républicaines, mais davantage un ministère de la sécurité qui a pu donner le sentiment de l'évolution que vous décrivez.
Par ailleurs, j'ai beaucoup regretté, ce que le rapport parlementaire de Pascal Popelin a pointé à juste titre, que le ministère de l'intérieur se coupe de la réflexion des universitaires, des chercheurs qui travaillent parfois de façon critique mais dont les réflexions et les études méritaient d'être encouragées et financées. À la fin de mon passage place Beauvau, j'ai réalloué des sommes à un certain nombre de thèses sur ces sujets. Le ministère de l'intérieur ne peut pas se couper de la recherche sur des questions aussi sensibles.