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Intervention de Angélique Cauchy

Réunion du mardi 5 septembre 2023 à 10h30
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis :

Votre remarque me rappelle un épisode durant l'instruction. Pour sortir de détention préventive, mon ancien entraîneur devait justifier d'un travail qui ne soit pas au contact de jeunes en milieu éducatif. Or il avait trouvé un emploi dans une auto-école… Avant que je fasse observer que cela posait problème, car il verrait nécessairement des mineurs, cela n'avait paru choquer personne. Cela montre la tendance que nous avons encore à cloisonner les domaines. En dehors du sport, de très nombreux milieux permettent de croiser des jeunes : c'est le cas dans les écoles, y compris les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), ou encore à l'hôpital. Vous avez raison : il faudrait légiférer.

Créer des passerelles, c'est justement ce que je souhaiterais proposer à M. Attal et à Mme Oudéa-Castéra – c'est la rentrée, ils sont justement ensemble, à Orthez, pour parler d'EPS… Je voudrais, notamment, que l'on forme tous les enseignants d'EPS à la prévention des violences à l'occasion des réunions de l'Union nationale du sport scolaire (UNSS), qui ont lieu au début de chaque année scolaire. Ils pourraient ensuite, au sein de leur établissement, former les élèves, en commençant par ceux qui sont affiliés à l'UNSS – qui est d'ailleurs la plus grosse fédération sportive du pays –, puis étendre la démarche à tous les enseignants et à l'ensemble du personnel. Vous avez raison : une personne travaillant à la cantine ou un agent d'entretien évoluent avec des jeunes tous les jours. C'est pour cette raison que je ne m'arrête pas à la communauté éducative. D'ailleurs, non seulement ces personnes sont en contact avec des jeunes, mais elles sont aussi des parents, des grands-parents ou des oncles, et c'est une parole qui doit être diffusée dans toute la société. Comme vous l'avez dit, nous, nous en parlons à nos enfants et petits-enfants, mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a de nombreux milieux où l'on ne parle pas du tout de ces choses-là. Il est question des fédérations sportives, mais la famille est le principal lieu où sont commises les violences sexuelles. L'école sert aussi à sensibiliser. Il faudrait donc, effectivement, établir plus de passerelles.

Cela suppose d'avoir des formateurs. Si j'ai l'occasion de voir prochainement les deux ministres, je me proposerai : je suis professeure d'EPS dans un collège, mais si l'on me demandait d'effectuer une autre mission au sein de l'éducation nationale en rapport avec cette question, j'accepterais avec entrain.

Je souhaiterais qu'il y ait un référent dans chaque établissement : cette personne, formée, serait chargée de relayer les cas, un peu comme on l'a fait avec le programme de lutte contre le harcèlement à l'école (Phare). Il s'agirait de traiter des violences sexuelles au sens large, et même des violences tout court, car les élèves peuvent aussi subir des violences physiques ou verbales.

C'est ce qui s'est produit dans mon collège. L'an dernier, j'étais professeure principale d'une classe de 4e. Un groupe d'élèves, dans lequel il y avait plein de garçons, est venu me voir. Ils voulaient me dire qu'ils arrêtaient la section foot. Cela m'a étonnée, car ils venaient à chacune de mes séances de foot, le midi, dans le cadre de l'UNSS, et je les voyais tout le temps jouer sur les terrains municipaux quand il n'y avait pas école – car j'habite dans la ville où j'enseigne –, et ils faisaient des tournois. Je leur ai donc demandé pourquoi. « Parce que l'entraîneur nous parle mal » – c'était l'entraîneur du club de la ville qui assurait les cours de la section sportive, pas le prof d'EPS. Il leur lançait sans arrêt des phrases dans ce genre : « Vous êtes des petites tafioles. Vous allez vous prendre une branlée ce week-end » – c'est-à-dire des remarques homophobes et sexistes et des insultes. Mon chef d'établissement, quand je lui en ai parlé, m'a dit : « Ah ? Tu es sûre ? Cela m'étonne, parce que, quand même, c'est quelqu'un de bien. » Peut-être du fait de mon passé, j'ai considéré que s'il disait ce genre de choses, ce n'était pas quelqu'un de bien. Et puis, pourquoi des enfants viendraient-ils me raconter cela ? C'est tellement difficile de parler quand on est jeune, si en plus, les rares fois où ils arrivent à prendre la parole, on leur dit que ce n'est pas possible, que l'entraîneur est quelqu'un de bien, on ne peut pas s'en sortir. J'ai demandé que l'on organise une réunion avec ce fameux entraîneur. Celui-ci a d'ailleurs quitté son club. Cela dit, il exerce dans la ville d'à côté, donc cela ne change strictement rien, si ce n'est que mes anciens élèves de 4e vivent dans leur section sportive plus sereinement…

On se dit que les enseignants réfléchissent un peu, ne serait-ce que parce qu'ils ont fait un master. Or, quand j'ai évoqué le problème en salle des profs, une enseignante de français a commenté : « Oh, mais c'est comme ça, c'est le sport. » Je lui ai répondu : « Oui, c'est sûr, toi, je t'entends hyper souvent, dans ta salle, dire : “Tu as fait cinq fautes de français, tu es vraiment une brêle !” » Comme elle me regardait un peu interloqué, je lui ai fait observer que c'était exactement la même chose. Les gens ne transposent pas du tout dans d'autres domaines ce qui se passe dans le milieu sportif.

C'est là où l'EPS a un rôle très important à jouer. Certes, nous avons toujours une position un peu bancale dans l'éducation nationale – en salle des profs, nous ne sommes pas pris pour de vrais enseignants… En tout cas, nous devons arriver à faire le lien entre l'école et le milieu sportif. Bien sûr, l'EPS appartient vraiment au champ de l'école, mais nous intervenons dans un domaine où, selon l'image qu'en ont les gens, on peut avoir des comportements qui ne seraient pas tolérés dans d'autres disciplines. Nous avons aussi la chance d'être la seule matière où les élèves ne sont pas assis et dans un univers clos. C'est d'ailleurs ce qui explique que mes collègues, en réalité, ne connaissent pas les élèves. On le voit clairement en conseil de classe : ils ne savent pas qui se fait harceler, qui vit mal l'échec, qui a des problèmes à la maison. Ils les ont en face d'eux, assis, par groupes de trente. Il faut dire qu'il est déjà compliqué de faire cours à trente personnes en même temps, sachant qu'il y a des dyslexiques, des autistes, des élèves intellectuellement précoces, etc. L'école inclusive, c'est génial, mais il faudrait vraiment que nous ayons les moyens… Mais c'est un autre sujet. Quoi qu'il en soit, en tant que profs d'EPS, nous voyons les élèves bouger, nous observons leurs interactions et ils viennent plus facilement nous parler. Nous avons souvent une relation un peu différente avec eux. Il faut donc vraiment faire en sorte qu'un prof d'EPS soit le référent dans l'établissement pour les questions de violences, qu'il montre aux élèves que la norme n'est pas de se faire insulter et qu'il assure une formation.

Je dis toujours à mes élèves : « Personne ne doit jamais essayer de briser vos rêves, de vous dire que ce n'est pas possible, que vous êtes mauvais, que vous ne pouvez pas y arriver. » Pour moi, la bienveillance devrait être la première qualité d'un enseignant. Ce n'est pas toujours le cas. Avant d'apprendre une matière, l'élève doit se construire en tant que futur citoyen. Or comment pourrait-il le faire s'il ne sait pas se comporter avec son voisin ? De la même manière qu'on lui parle mal, il parle mal à ses camarades. Le fait est que les élèves ne se parlent pas souvent très bien entre eux – mais la question est de savoir pourquoi : il faut trouver l'origine du problème.

Comme je le disais, il faudrait que des enseignants d'EPS soient formés pendant les créneaux de l'UNSS, en début d'année. Ensuite, ils en feraient profiter l'ensemble de la communauté éducative et du personnel de l'établissement. Le nombre d'élèves est énorme. Comme nous sommes à un an des Jeux olympiques, j'avais pensé commencer par les établissements labellisés « Génération 2024 ». Leurs élèves sont en section sportive, ils bénéficient d'horaires aménagés et ont donc plus de sport dans leur emploi du temps que la moyenne : il me paraît absolument indispensable qu'ils aient accès à cette formation.

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