Nous n'avons pas assez de subventions pour avoir des salariés, justement !
Notre objectif est le même que celui de l'association Colosse aux pieds d'argile, sauf que nous n'en sommes qu'au début. Il y a un volet de prévention et de sensibilisation auprès des dirigeants, des entraîneurs, des parents et des enfants, dans toutes les strates de la Fédération, du CNE – le Centre national d'entraînement – jusqu'aux tout petits clubs dans les campagnes. Nous apportons également de l'aide aux victimes. Plusieurs personnes membres de notre association ont été médiatisées l'an dernier. Nous les accompagnons dans le long chemin que représente la procédure – car, quand on s'y engage, on n'a pas du tout idée de ce que cela va représenter, sur différents plans. Par exemple, je ne pensais pas que notre affaire serait médiatisée ; au début, je n'y étais pas du tout prête. Je venais également d'acheter un appartement et je ne m'attendais pas à devoir payer 600 euros de frais d'avocat chaque mois. Heureusement, la Fédération française de tennis nous a accordé des subventions, ce qui nous a aidées à régler les honoraires. Au total, j'en ai eu pour 60 000 euros, alors que je gagnais 1 800 euros par mois en tant que prof.
Toutes les fédérations ne se portent pas partie civile. Notre affaire était d'ailleurs la première pour laquelle la Fédération française de tennis le faisait. Je parle très régulièrement avec la déléguée juridique de la fédération, dans le cadre des actions judiciaires dans lesquelles j'interviens. Je lui ai dit qu'il ne fallait pas faire machine arrière : la fédération doit désormais se porter systématiquement partie civile. Il est vrai que cela coûte cher, car cela suppose de prendre un avocat. La FFT a donc décidé de faire appel à un assureur : moyennant une légère augmentation du prix de la licence – de l'ordre de 2 euros, je crois –, les frais d'avocat des victimes sont pris en charge à hauteur de 20 000 euros. Toutefois, il faut que la personne ait été licenciée au moment des faits, qu'elle le soit toujours lors du dépôt de plainte et que celui-ci intervienne dans les cinq ans. C'est mieux que rien, même si, en général, les victimes parlent beaucoup plus longtemps après. Quoi qu'il en soit, l'assurance constitue une avancée formidable. J'espère que la fédération pourra porter à dix ans après les faits le délai de prise en charge. Selima Sfar, qui a désormais 46 ans, a parlé seulement la semaine dernière de ce qui lui était arrivé.
Cela m'amène à la question de la prescription. Certes, le délai a été allongé, et il était vraiment essentiel de le faire, à mon sens, mais dans certains pays il n'y a pas de prescription pour les crimes de violences sexuelles sur mineurs. C'est le cas au Luxembourg, au Danemark, aux Pays-Bas et en Suisse. Les répercussions de telles violences se font sentir pendant toute une vie. Certains en sont victimes à l'âge de 10 ans puis oublient pendant trente ou quarante ans, du fait d'une amnésie traumatique. D'autres s'enferment dans le déni, persistant à se dire que ce n'était pas du viol. D'autres encore savent que c'en était mais préfèrent ne pas en parler parce qu'il y a trop d'enjeux. La prise de parole suppose donc forcément un délai qui, à mon avis, est bien plus long que celui qui est prévu pour la prescription.
En France, seul le crime contre l'humanité ne connaît pas la prescription. Prévoir la même chose pour les violences sexuelles sur mineurs, ce serait envoyer un beau message aux victimes et reviendrait à faire peser au-dessus de la tête des coupables une épée de Damoclès qui ne disparaîtra jamais.
Dans notre affaire, certains faits étaient prescrits. Si Astrid ne s'était pas manifestée quatre jours avant l'expiration du délai, cela aurait été le cas pour elle aussi. Peut-être, alors, qu'aucune d'entre nous n'aurait parlé et que tout cela ne se serait jamais su.
En ce qui concerne l'après, j'ai conscience qu'à partir du moment où une personne a purgé sa peine, il est logique qu'elle retrouve sa liberté. C'est tout l'enjeu de la justice. Toutefois, dans certains pays, comme l'Australie, il est possible d'inscrire sur le passeport d'une personne qu'il s'agit d'un criminel prédateur d'enfants. Un autre pays peut alors refuser de la recevoir. Il est même possible d'interdire à ces personnes de quitter le territoire, pour protéger les enfants du monde entier. Je sais que de telles règles posent question. Moi-même, je me demande s'il faut en arriver là, mais cela ne serait-il pas une protection supplémentaire pour les enfants, alors que, par ailleurs, 37 % des prédateurs sexuels de mineurs commettent de nouveau une infraction après avoir purgé leur peine ? Ce chiffre, révélé par une commission de l'Assemblée nationale, ne concerne que les cas dans lesquels les nouvelles victimes ont parlé ; combien ne l'ont pas fait ? Dans notre affaire, nous étions quatre parties civiles, mais il y avait sans doute plus de vingt victimes : quatre ou cinq personnes ont témoigné tout en refusant de porter plainte, alors qu'elles avaient subi des viols ; pour d'autres, il y avait prescription ; certaines avaient réussi à échapper à l'agresseur ; enfin, plusieurs victimes potentielles n'ont pas été retrouvées par les enquêteurs. Nous avons obtenu justice pour toutes ces personnes aussi.
Pour en revenir à l'association, nous avons pour principal partenaire la Fédération française de tennis. J'aimerais obtenir l'agrément de l'éducation nationale pour pouvoir mener des sensibilisations dans les collèges et les lycées, comme le fait Colosse aux pieds d'argile. Certes, nous le faisons déjà, mais cela n'a rien d'automatique et il n'est pas possible de demander que notre association intervienne dans le cadre d'un parcours de formation.