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Intervention de Angélique Cauchy

Réunion du mardi 5 septembre 2023 à 10h30
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis :

Il m'a fallu beaucoup de temps pour parler. Peut-être ne l'aurais-je jamais fait si Astrid ne m'avait pas appelée, à quatre jours de la prescription des viols dont elle-même avait été victime. Avec une autre d'entre elles, elle pensait que j'en faisais partie et m'a demandé si tel était effectivement le cas. J'avais 27 ans. Atteinte d'un vaginisme sévère, je ne supporte pas la pénétration, je ne peux pas subir un frottis. À mes petites amies, je disais que je m'étais fait agresser dans ma jeunesse. Je n'arrivais pas même à parler de viol.

Je ne savais pas si j'étais prête, si je pouvais le dire à mes parents. J'ai réfléchi pendant trois mois et j'ai finalement pensé qu'en étant au côté des autres victimes, elles auraient plus de chances d'être entendues. Elles avaient alors entre 15 et 18 ans. Je craignais qu'elles soient considérées comme consentantes. Le milieu du tennis savait qu'il n'était pas correct avec les jeunes filles. On savait qu'il « sortait » avec telle ou telle mais, à 38 ans, on ne « sort » pas avec une jeune de 15 ans, encore moins lorsqu'on l'entraîne et que l'on a autorité sur elle. Le milieu du sport a laissé se déployer des choses qui seraient jugées impossibles dans d'autres milieux. Jamais on ne constaterait banalement que telle jeune fille « sort » avec son professeur de mathématiques. Or, la situation est identique et même pire puisque la personne dépositaire de l'autorité est perçue comme extérieure à un cadre institutionnel dans lequel, par exemple, l'enseignant est vouvoyé et où l'on n'est pratiquement jamais seul avec lui. Lorsque l'on est seul avec l'entraîneur, que l'on partage notre vie quotidienne, nos doutes et nos histoires, les frontières peuvent rapidement se brouiller pour un jeune mais ce n'est pas à lui de les tracer.

Lorsque j'ai parlé, mes parents ont beaucoup souffert. Ma mère est tombée en dépression et a été internée en hôpital psychiatrique. Ils n'ont pas pu être là pour moi mais j'ai essayé d'être présente pour eux pendant deux ans. J'ai dû toutefois arrêter de les voir et de leur parler pendant plus de deux ans, c'était trop dur.

D'une certaine façon, on m'a volé des pans entiers de mon existence, dont la carrière que j'aurais pu avoir. En effet, j'ai par la suite fait des choix qui ont été déterminés par ma volonté de ne jamais être seule avec un adulte ayant une autorité sur moi. À 14 ans, j'ai ainsi refusé d'intégrer le centre national d'entraînement de Roland-Garros. J'ai obtenu mon bac à 16 ans, mention très bien. On m'a proposé d'aller dans les meilleures universités américaines mais j'ai refusé, craignant l'éloignement. Je suis donc allée à l'université Paris-V, porte de Versailles. J'ai obtenu trois masters et, en même temps, j'ai passé mes BE 1 et 2. Lui me disait que je ferai Sciences Po mais je n'ai pas voulu faire ce qu'il voulait pour moi, à la différence des trois autres victimes, qui elles ont intégré l'Institut d'études politiques de Paris. D'une certaine façon, ce fut un deuil pour moi car aujourd'hui, sur un plan intellectuel, je ne m'épanouis pas professionnellement. Heureusement que les enfants sont là mais je souffre d'un manque d'activité intellectuelle.

Du jour au lendemain, lorsque j'ai déposé plainte, mes règles ont disparu. J'ai perdu 25 kilos, j'en ai repris 30. J'en ai reperdu 20 et en ai repris 35…J'ai eu des crises de boulimie terribles mais je ne me faisais jamais vomir car c'est une pour moi une phobie. Dans une phase différente, où je voulais tout contrôler, je retirai une pâte crue de la balance pour atteindre l'objectif de 60 grammes que je m'étais fixé. Je courais deux heures par jour, je faisais 150 kilomètres par semaine, peut-être pour fuir mon passé ou me précipiter vers mon avenir.

La première fois que j'ai été confrontée avec lui, chez le juge d'instruction, j'ai développé un zona. Pendant les procès, je saignais du nez dix fois par jour. L'instruction paraît certes trop longue mais ce temps est nécessaire. J'ai déposé plainte en 2014. Si le procès avait eu lieu six mois plus tard, j'aurais été incapable d'être aussi claire. Il faut ce temps, le temps de la justice, pour que la famille, les amis, la société « digèrent » tous ces événements. J'ai dû assumer le changement de mon image, de la joueuse avec son entraîneur de tennis à la fille qui s'est fait violer, même si je ne m'y réduis pas. Je fréquentais encore le milieu du tennis, à la différence des trois autres victimes, ce qui explique peut-être que je n'ai pas été la première à parler. En 2014, l'omerta régnait encore sur ces questions-là. On savait que de nombreux entraîneurs avaient eu des relations sexuelles non consenties avec des mineures mais on fermait les yeux, considérant que ce n'était pas à nous de régler le problème.

Pendant ma semaine de stage en entreprise, en classe de troisième, il m'a demandé une fellation dans le local de balles, au sous-sol du club, où nous étions enfermés. Le barman est descendu à ce moment-là et, n'ayant pas réussi à ouvrir la porte, il a demandé s'il y avait quelqu'un. Andrew Geddes m'a mis la main sur la bouche. Le barman est remonté, suivi, quinze minutes plus tard, par mon entraîneur et par moi, les yeux rougis, cinq minutes après. Le barman ne m'a posé aucune question, alors que nous étions seulement trois au club. Il est inconcevable qu'un adulte ne prenne pas la responsabilité d'alerter le président du club, la ligue et même le procureur de la République ! On préférait alors fermer les yeux, mais les enfants ne peuvent pas se sauver seuls. Je me disais que les gens fermaient les yeux parce que, peut-être, de telles situations étaient considérées comme normales. Mais qui pose la norme et les valeurs, sinon les adultes ?

D'autres choses auraient dû être prises en compte et signalées. Un entraîneur n'insulte pas ses élèves. Or, il le faisait chaque jour. Il disait à un gamin de 10 ans : « T'es qu'un pédé, une tapette, tu vas pas t'en sortir… » ; « J'ai une bite tellement longue qu'on pourrait m'en faire une écharpe… ». Tel était notre quotidien. Imaginez qu'il en soit de même dans d'autres milieux ! La tolérance est bien plus grande pour le milieu sportif alors qu'il ne devrait pas en être ainsi. On ne saurait admettre nulle part l'insulte et l'humiliation d'un enfant ! Un vaste travail d'éducation doit être entrepris partout, à destination des jeunes et des adultes. De surcroît, de telles pratiques sont contre-productives et n'ont jamais rendu quiconque plus performant.

Une autre fois, il a rasé un élève de 14 ans dans le club-house sans que personne ne dise quoi que ce soit. Il m'a aussi fait boire de l'alcool. Je pense avoir été détruite par ce genre de comportement plus encore que par les violences sexuelles. Il a brouillé mes valeurs en me faisant tricher, ce qui me rendait folle. Si je refusais, il m'abandonnait sur le terrain, au fin fond des Yvelines. Je l'attendais sur un parking, la nuit, où il revenait trente minutes plus tard. La fois suivante, si la balle était sur la ligne et qu'il me regardait méchamment, je disais qu'elle était dehors. J'ai mis des années à me racheter auprès des autres joueuses. Cela a aussi contribué à ma solitude. Certaines d'entre elles ne voulaient d'ailleurs plus me parler faute d'un bon comportement sur le court, où je m'énervais beaucoup. De tels signes et symptômes, nombreux, n'ont jamais alerté la fédération, les entraîneurs ou les présidents. Je surinvestissais l'école, j'étais totalement esseulée, je pleurais sans arrêt sur le court !

Aujourd'hui, je ne joue plus au tennis. Lorsque je parviendrai à revenir une heure sur un court en m'amusant, sans penser à cette période, j'aurai beaucoup progressé. Je joue en revanche au paddle-tennis. Le petit terrain en moquette, sous vitre, me rappelle un peu le tennis mais comme je n'y ai pas de mauvais souvenirs, le passé ne ressurgit pas. Selon l'expert psychiatre, je souffre de séquelles à hauteur de 35 %, c'est-à-dire que 35% de ma vie est dictée par ce qui m'est arrivé, ce qui correspond à huit heures par jour.

J'ai souffert d'insomnie, je continue à faire beaucoup de cauchemars, je suis hyper-vigilante, ne dormant que d'un œil. J'entends mon fils lorsqu'il se retourne dans son lit, dans la chambre d'à-côté. J'ai toujours besoin de savoir où se trouve une éventuelle issue par où je pourrais m'échapper. J'ai des troubles de l'alimentations mais ça va mieux.

J'ai également des problèmes dans ma vie sexuelle. Je ne supporte pas la pénétration et ne prends pas d'initiative, craignant de contraindre mes partenaires, alors qu'elles sont consentantes. Je n'ai jamais eu de relations sexuelles avec un homme. J'ignore si c'est en raison des viols que j'ai subis ou si j'aurais été homosexuelle – selon le psychiatre, cela n'aurait pas été le cas puisque j'ai eu des petits copains. Sans doute aurais-je été bisexuelle car c'est une personne, avant tout, que je peux aimer. Jusqu'à il y a peu, j'avais peur des hommes. Je ne crains pas de parler devant vous mais si je suis seule dans un ascenseur avec un homme, je ne suis pas très à l'aise.

Je ne supporte pas l'abandon. Là encore, jusqu'à il y a peu, je ne pouvais pas rester seule ou avec mon fils, chez moi. Depuis que je vois un psychiatre, la situation s'améliore.

Dans mes rêves, il me pourchasse et je ne parviens pas à m'enfuir, comme si j'étais dans un escalator qui reculerait. Il finit par me rattraper mais je lui fais face et je le tue, ou je me demande où se trouve ma sœur, qui a disparu. Je craignais pour elle, car il l'entraînait également. Inconsciemment, si je suis restée dans la position de la victime si longtemps c'est aussi parce que je ne voulais pas qu'elle en soit une à son tour. J'aurais aimé qu'elle me comprenne mais cela a été trop dur et elle a préféré s'éloigner. La semaine dernière, elle m'a dit qu'elle avait perdu sa sœur à 10 ans. C'est très dur car nous avions une belle relation complice. À 12 ans, je n'ai plus parlé à personne, je suis resté cloîtrée dans ma chambre. Je devais écrire à cet homme un texto chaque soir et chaque matin ! J'étais dans une situation de possession mentale sans un centimètre de liberté. Ma sœur a beaucoup souffert de cette situation, croyant que je l'avais abandonnée. J'ai quitté le domicile familial à 16 ans notamment pour fuir le lieu où tout cela s'était passé ; j'ai essayé d'avancer mais, en voulant la protéger, je l'ai en quelque sorte abandonnée, ce qu'elle a très mal vécu.

Une fois, alors que ma sœur et moi étions chez lui, il m'a dit : « Tu viens ? On va chercher un McDo. » Moi, je ne voulais pas y aller car je savais ce qui allait se passer. Alors il a dit, en regardant ma petite sœur : « Steph, tu viens avec moi ? ». J'ai eu tellement peur en voyant son regard que je me suis écriée : « Non, j'y vais. » Ce jour-là, il m'a demandé une fellation. D'une certaine façon, je me suis sacrifiée pour ma sœur.

Elle me dit que sa dette envers moi est trop énorme et qu'elle n'arrive à passer au-delà. Nous ne parvenons pas à conserver des relations, alors qu'elle est prof d'EPS et fait du tennis comme moi. Nous pourrions être tellement proches… Tout cela nous a complètement séparées.

Je suis partie vivre dans le Sud-Ouest car je ne supportais plus l'Île-de-France : il y avait trop de gens que j'avais connus à ce moment-là, trop de lieux que j'avais fréquentés et, avant que je dépose plainte, je continuais à le croiser régulièrement, même si, à chaque fois, il baissait les yeux – il a toujours eu peur de moi après cela, ce qui n'était pas le cas avec les autres. C'était encore le cas en cour d'assises, pendant le procès : il avait vraiment peur de moi, mais pas des autres. Je pense que c'était lié à l'âge que j'avais au moment où cela s'est passé. Son avocat lui-même a dit : « Ce n'est pas défendable : elle avait 12 ans, elle ne demandait pas ça. Elle était comme un petit garçon. » Je portais la casquette à l'envers ; je n'étais pas du tout féminine.

Je ne lui en veux plus aujourd'hui. C'est déjà un énorme pas. J'espère seulement que toutes les années qu'il passera en prison lui permettront de prendre conscience de ce qu'il a fait. Je sais que dix-huit années de prison, c'est une peine très sévère, et que nous avons eu de la chance d'obtenir cette condamnation, car il est vraiment rare que des personnes mineures au moment des faits soient reconnues comme victimes, mais je continue à avoir peur, car juste avant le verdict, il a dit : « De toute façon, je sais que je vais retourner en prison, et pour longtemps. Quand je sortirai, je partirai en Australie et j'entraînerai là-bas ». Autrement dit, entre 2014 et 2020, il n'avait toujours pas pris de recul…

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