Je répondrai en regroupant vos questions par thèmes ; pardonnez-moi le manque d'exhaustivité susceptible d'en résulter.
S'agissant des mesures déjà mises en œuvre, j'évoquerai tout d'abord le bilan du dispositif du CEJ, en vigueur depuis un an et demi. Il fonctionne bien : 330 000 contrats ont été signés en 2022, le volume étant – comme prévu – d'environ 300 000 CEJ par an. Les premiers résultats sur les signataires étant allés au bout du parcours sont encourageants, même s'ils sont partiels, puisqu'il s'agit des premières cohortes démographiques, principalement de Corse, suivies par Pôle emploi. Un tiers des contrats sont en effet suivis par Pôle emploi, deux tiers l'étant par les missions locales. Le taux de retour à l'emploi est de 84 %, pour un maintien dans le dispositif autour de huit à neuf mois. Cela nous a permis de démontrer que nous savons mettre en œuvre des dispositifs efficaces, avec un accompagnement intensif, à hauteur de 15 à 20 heures par semaine. En termes de formation initiale, plus de la moitié des signataires ont le bac ou moins, tandis que 9 % d'entre eux sont mineurs, ce qui est assez logique puisque la cible est celle des jeunes de 16 à 25 ans.
Le second dispositif déjà en place est celui du rapprochement du réseau Pôle emploi avec le réseau Cap emploi, notamment l'accompagnement des personnes en situation de handicap. Les inquiétudes du début se sont dissipées, puisque le réseau Cheops (Conseil national handicap et emploi des organismes de placement spécialisés), qui coordonne l'ensemble des Cap emploi départementaux, se dit satisfait du fonctionnement actuel – montée en compétence des opérateurs et des agents de Cap emploi comme de ceux de Pôle emploi, constitution de portefeuilles dédiés, satisfaction des usagers mesurée à plus de 85 %, équipes travaillant de manière très polyvalente et rapprochée dans le cas des agences de Pôle emploi. Notre objectif est de démontrer que nous pouvons avoir un réseau de proximité, capable de diversifier les politiques menées en matière d'emploi.
J'en viens à la question de l'illectronisme, qui ne doit pas être un frein à la recherche d'emploi : il faut bien évidemment une présence suffisante sur le territoire, permettant d'accueillir le public concerné partout. Nous devons nous appuyer sur les agences de Pôle emploi, mais aussi, lorsque c'est possible, sur l'organisation d'accueils dans les maisons France Services lorsqu'elles existent. D'une manière générale, l'illectronisme ne doit pas être un frein. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre la lutte contre l'illectronisme, l'illettrisme et l'analphabétisme au centre des priorités, dans le cadre de la nouvelle contractualisation avec les régions sur le plan d'investissement dans les compétences. Il s'agit en effet de savoirs de base qui figurent parmi les principaux freins pour l'accès à l'emploi.
Le PIC constitue le volet formation évoqué par MM. Juvin et Delaporte. Alors que nous devons continuer à former massivement, il nous a permis de multiplier par trois le nombre de demandeurs d'emploi qui, chaque année, ont accès à une formation qualifiante. Nous savons que cela marche, car un demandeur d'emploi qui suit une formation dans le cadre du PIC voit son taux de retour à l'emploi à six mois augmenter de 9 points – de 17 points lorsqu'il s'agit d'un demandeur d'emploi âgé de plus de 50 ans. Il faut donc continuer à investir, pour former rapidement et donner de l'employabilité – ce néologisme n'est pas agréable à entendre – à ceux qui en ont besoin – sur des métiers en tension, mais aussi en transition, pour répondre aux besoins à venir de l'économie, en matière d'écologie ou de numérique. C'est pourquoi le PIC, contracté en 2018, va être renouvelé ; dès cette semaine, les discussions seront ouvertes avec les régions pour la mise en œuvre de ces nouveaux contrats, en leur donnant davantage de souplesse que dans la première version, s'agissant notamment de l'adaptation aux territoires régionaux et de la sortie d'un modèle de répartition trop uniforme entre les différentes priorités.
Cet accès à la formation est nécessaire, si nous voulons continuer à faire baisser le chômage. J'en profite pour faire une parenthèse sur la question du chômage, évoquée par M. Juvin : si le taux de chômage nous place effectivement parmi les mauvais élèves en Europe, nous pouvons cependant tous nous réjouir qu'en quelques années, nous soyons passés d'un taux de 9,5 % à 7,1 %. Certes, c'est encore trop, ce d'autant que les entreprises connaissent, dans le même temps, des difficultés de recrutement : il y a encore beaucoup de travail, pour que l'économie, qui a créé 2 millions d'emplois en l'espace de six ans, continue à le faire, et que les mesures en matière de formation et d'accompagnement contribuent à diminuer davantage le taux de chômage. Le chômage français revêt une particularité : le niveau de tension de recrutement que nous connaissons actuellement correspond à celui qui prévaut en Allemagne ou au Danemark lorsque le taux de chômage ne dépasse pas 3 à 4 %, nous renvoyant peut-être à une composante structurelle du chômage français, s'agissant notamment du chômage de très longue durée.
Sur la question de la place des collectivités et de la gouvernance, j'ai indiqué, dans mon propos introductif, qu'aucune disposition ne remet en cause la moindre compétence des collectivités, ni ne modifie la répartition des compétences des collectivités entre elles. J'illustrerai mon propos à l'aide d'un exemple : les présidents de conseils départementaux sont compétents en matière de sanctions vis-à-vis de bénéficiaires du RSA en situation de manquement : la sanction actuellement en vigueur est celle de la radiation, à l'issue d'une commission pluridisciplinaire. Nous proposons de créer un dispositif de suspension – le rapporteur Paul Christophe l'a parfaitement décrit –, avec la possibilité d'un versement rétroactif et une grande réactivité dans la mise en œuvre.
Comment ce dispositif fonctionnera-t-il ? Lorsqu'un travailleur social du département fera une proposition de suspension – de la même manière qu'il fait aujourd'hui une proposition de radiation –, le président du conseil départemental sera compétent pour en décider. Lorsqu'un agent de Pôle emploi – devenu France Travail – fera une proposition de suspension, le président du conseil départemental restera compétent pour en décider. Il pourra, s'il le souhaite, avec l'accord de son conseil départemental, déléguer la décision à France Travail ; en l'absence de délégation, il restera compétent pour décider des suites données à la proposition de suspension.
Quant à la question du pilotage, je rappellerai qu'aujourd'hui les régions, les départements, l'ensemble des niveaux de collectivités ne participent pas à l'élaboration des orientations du service public de l'emploi, tant aux échelons national, régional, départemental et local. Nous souhaitons que cela soit possible demain, pour définir les orientations ; Pôle emploi – France Travail – sera ensuite chargé de la mise en œuvre des orientations décidées par le comité dans lequel siégeront l'État, les collectivités à tous les échelons, mais aussi les partenaires sociaux, aux échelons national et régional. Nous donnons donc aux collectivités une capacité à peser sur les orientations, sans revenir sur leurs compétences.
S'agissant de la question des systèmes d'information et de leur utilité, l'objectif est d'éviter les ruptures ou les redondances de parcours vers l'emploi ou la formation. Actuellement, lorsqu'un jeune, faisant uniquement l'objet d'un suivi par une mission locale – parfois pour des questions d'âge – rejoint Pôle emploi, le dossier doit être repris à zéro. Le fait d'avoir un système horizontal garantirait à chaque conseiller, à tout moment du parcours, un accès aux informations sur les formations réalisées, sur l'accompagnement dont a bénéficié la personne concernée : cela serait plus efficace et nous permettrait d'éviter les ruptures et les sorties de dispositif.
Dans le cadre de cet accompagnement, figure la question – importante – des 15 à 20 heures, évoquée par le Président de la République lors de sa campagne présidentielle. Elle s'articule autour de trois points. Premier point, le RSA est une aide inconditionnelle, dès lors que l'on remplit certains critères économiques et financiers, notamment de privation de ressources. Dès lors que la personne est éligible au RSA, il est, en l'état actuel du droit, nécessaire de signer un contrat d'engagement. Or, en pratique, seuls 47 % des allocataires le signent, non pas parce qu'ils le refusent, mais parce qu'il ne leur est pas proposé. Nous voulons que le contrat d'engagement puisse être proposé à tous, et qu'il inclue un parcours adapté, tenant compte des possibilités de chacun.
L'objectif fixé par le Sénat – de 15 à 20 heures – s'appliquerait à tous les bénéficiaires, quelle que soit leur situation. On a évoqué la nécessité de tenir compte des demandeurs d'emploi en situation de handicap et des familles monoparentales ; au-delà, un certain nombre de personnes allocataires du RSA vont être confrontées à d'énormes problèmes de mobilité, à des soucis de santé – ne relevant pas nécessairement d'un handicap reconnu comme tel, mais d'une maladie ou de difficultés –, à des soucis de garde d'enfants pour les familles monoparentales. Nous devons en tenir compte, alors que nous nous fixons un objectif très ambitieux – le niveau de 15 à 20 heures est celui qui permet la plus grande mobilisation –, en ayant conscience que nous devons parfois l'atteindre progressivement, au fil des interventions successives. Nos débats devraient nous permettre d'aboutir à un texte équilibré.
Nous disposerons de moyens nouveaux comprenant, je l'ai dit, 170 millions d'euros dans le cadre de la contractualisation des départements avec France Travail. Pôle emploi bénéficiera, dès 2024, de 300 millions d'euros supplémentaires ; au cours des cinq dernières années, cette structure a déjà profité de 4 000 créations de poste, dans une période où le nombre de demandeurs d'emploi inscrits avait tendance à baisser. Nous continuerons à déployer ces moyens. Le financement proviendra de la subvention de l'État à Pôle emploi, mais aussi d'un prélèvement sur les excédents de l'Unedic, lequel n'empêchera pas l'Unedic de voir sa dette divisée par deux d'ici à 2027. Nous participons au financement d'une politique active pour l'emploi : chaque accompagnement d'une personne vers l'emploi se traduit par moins d'allocations et par plus de cotisations ; c'est un modèle vertueux pour les comptes de l'Unedic et il ne remet pas en cause la perspective de son désendettement. Nous avons les moyens de réussir ce pari, avec une montée en puissance progressive – pas de généralisation avant le 1er janvier 2025 – de ce nouvel accompagnement.
Ce point est lié à la question des expérimentations. M. Saint-Huile s'est interrogé sur l'opportunité d'adopter une nouvelle loi, alors que les expérimentations sont en cours. Nous menons des expérimentations avec dix-huit conseils départementaux : chacun d'entre eux a retenu un bassin d'emploi, à l'exception d'un département – la Creuse –, pour lequel l'expérimentation se fait à l'échelle départementale, pour des questions démographiques. Si les expérimentations sont réalisées maintenant, c'est parce qu'elles portent sur des modalités d'accompagnement qui n'ont aucun caractère réglementaire ou législatif. Il s'agit de regarder comment améliorer les parcours, le suivi et les types d'activités proposées : à mes yeux, il est impensable que la future loi précise la nature des activités d'insertion et de formation qui seront mises en œuvre. Le texte indique que le travail n'est pas gratuit, qu'il ne s'agit pas de bénévolat obligatoire, mais il ne peut pas aller dans le détail des propositions. Ceux d'entre vous qui ont lu le rapport de Thibaut Guilluy auront noté qu'il comporte, en annexe, une liste de plus de cent cinquante exemples d'activités extrêmement variées, qui n'ont pas vocation à figurer dans la loi.
En revanche, nous avons beaucoup travaillé avec l'Assemblée des départements de France (ADF). Début 2024, nous dresserons un premier bilan des expérimentations ouvertes, pour la plupart d'entre elles, au 1er avril 2023. Le périmètre des expérimentations va être élargi. À cet égard j'ai proposé au président de l'ADF que les modalités de sélection et de définition des nouveaux territoires inclus soient réalisées en lien très étroit avec le bureau de cette institution. Elles dureront jusqu'à fin 2024, pour nous permettre de connaître les meilleures pratiques et d'avancer, sans qu'il soit nécessaire de passer par la loi, sauf bien sûr s'il s'avère, à l'issue de ces expérimentations, que telle ou telle disposition le nécessite. Cependant les programmes d'accompagnement ne revêtent par nature pas de caractère législatif ou réglementaire.
Sur la question des opérateurs privés de placement, donc du secteur de l'emploi, le texte n'apporte rien de nouveau. Ils continueront à accompagner le service public de l'emploi comme ils le font aujourd'hui, sans qu'il y ait la moindre modification. Il en va de même, dans un autre domaine, pour les missions locales, pour lesquelles les modalités de financement restent les mêmes : elles font l'objet d'un conventionnement avec l'État ; leurs compétences – M. Dharréville a évoqué le sujet – restent les mêmes, notamment en matière d'accueil et d'accompagnement intégral des jeunes. Nous avons veillé, y compris dans les derniers arbitrages sur le texte, à préciser qu'il s'agissait d'un exercice de compétences de plein droit, et non pas par délégation. Ni les compétences des missions locales, ni leur gouvernance ne seront donc affectées par le texte.
La seule – double – différence pour les missions locales réside dans l'accès à un système d'information horizontal, offrant des informations nouvelles, et dans la participation au comité France Travail à la quasi-totalité des niveaux, c'est-à-dire à la définition – de laquelle elles sont aujourd'hui absentes – des orientations qu'elles mettront ensuite en œuvre. Là encore, la réforme se traduit plutôt par un mieux que par un moins.
Quant aux autres points évoqués, s'agissant notamment des autres sujets à débattre, comme vous le savez, à l'issue de la rencontre avec les chefs de partis, le Président de la République a annoncé la tenue d'une conférence sociale : elle se tiendra lors de la semaine du 16 octobre. Nous travaillons actuellement avec les partenaires sociaux pour en déterminer l'ordre du jour : les négociations de branche, la classification permettant de garantir une progression salariale à l'échelle d'une carrière, le temps partiel subi, le sous-emploi, l'évolution des salaires et du Smic sur plusieurs années, les conséquences et les interférences entre cette évolution des salaires et du Smic en son sein, la montée en puissance de la prime d'activité, les sorties de tunnels d'exonérations, l'égalité professionnelle y figureront. Nous restons toutefois attachés au modèle français de détermination des salaires, celui d'une indexation du Smic arrêtée par la loi, suivie d'une négociation de branche pour déterminer le niveau des rémunérations.
M. Saint-Huile l'a évoqué, nous devons également travailler sur les conditions de reprise d'emploi. Aujourd'hui, un certain nombre de personnes qui survivent grâce à des minima sociaux ont le sentiment qu'il n'est pas efficace de reprendre un emploi : c'est parfois vrai, non pas de manière générale – des modèles montrent que la reprise d'emploi va plutôt dans le bon sens –, mais de manière temporaire, parce que les coûts et la perte de droits liés à la reprise d'emploi sont souvent plus rapides que la mise en place des nouveaux droits liés à la perception d'un salaire au niveau du Smic ou légèrement au-dessus du Smic. Il nous faut travailler sur ces tuilages, pour faire en sorte que la reprise d'emploi soit toujours plus intéressante immédiatement, et non pas trois, quatre ou cinq mois plus tard, comme c'est parfois le cas.
Je terminerai par trois points, sans avoir été exhaustif. Tout d'abord, il est évidemment hors de question de stigmatiser qui que ce soit. Au contraire, lorsque l'on investit dans l'accompagnement, dans la formation et dans l'insertion, on est au rendez-vous de la réelle solidarité, celle qui consiste à ne pas laisser les gens dans une trappe à précarité ou à pauvreté. Je ne connais pas de meilleure façon de sortir de la pauvreté que celle de l'emploi et de l'accès à un revenu salarié, en plus de l'émancipation et de l'autonomie qu'ils procurent.
Deuxièmement, concernant les dispositions relatives au handicap, je tiens à remercier l'ensemble des intervenants qui nous ont dit leur intérêt pour ces mesures et le fait qu'elles vont dans le bon sens – ce qui est une réalité, dont je suis heureux, fruit des travaux de la CNH.
Troisièmement, M. Dharréville s'est interrogé sur la question de la reprise d'emploi. La qualité de l'emploi s'est améliorée et nous pouvons nous en réjouir. Un chiffre permet de l'illustrer : pour la première fois en 2022, la part des CDI dans les signatures de contrats d'un mois ou plus – l'indice statistique qui a toujours été retenu – a passé, pour la première fois, le cap des 50 %, alors que nous étions entre 43 % et 46 % de manière régulière. Cela s'est accompagné, pour la première fois aussi, depuis plus de trente ans, par une part majoritaire de CDI dans le total de l'emploi privé : les créations d'emplois que nous avons connues au cours des six dernières années se sont donc accompagnées d'une amélioration de l'emploi, bien sûr, en raison des conditions économiques, mais aussi des politiques mises en place, notamment autour du bonus-malus.
Enfin, M. Dharréville m'a posé une question importante sur l'une de mes déclarations au Sénat, où j'ai indiqué que lorsque nous aurons atteint le plein emploi, il faudra nous interroger sur le fait que des hommes et des femmes restent durablement dans des dispositifs tels que le RSA, ainsi que sur la nature de l'activité. Mon propos était de dire que nous savons que, parmi les presque 2 millions d'allocataires du RSA, des hommes et des femmes sont extrêmement profondément et violemment abîmés par la vie. Certains d'entre eux sont également confrontés à des problématiques de santé mentale, souvent mal prises en compte. Lorsque nous aurons accompagné toutes les personnes qu'il est possible de soutenir, nous devrons nous demander s'il existe une difficulté trop importante pour être surmontée. N'est-il pas hypocrite de maintenir ces personnes sur des revenus de solidarité, qui renvoient à une activité et à une insertion professionnelle ? N'y a-t-il pas d'autres dispositifs plus adaptés, ou à créer, pour tenir compte de la réalité de leur situation ? Ce débat viendra après, mais il viendra nécessairement : ne soyons pas hypocrites et assumons le fait que, parmi les allocataires du RSA, certains ont malheureusement été trop exposés par la vie pour pouvoir remonter la pente au même rythme, ou même à l'échelle d'une vie.