Ce projet de loi « pour le plein emploi » est mal nommé. Selon le Larousse, l'adjectif plenus désigne ce qui est fait dans un matériau qui ne comporte pas de vide. Or l'ère du vide que nous traversons depuis six ans se caractérise par la tentative sans cesse renouvelée de déstabilisation de notre modèle social, auquel vous vous apprêtez encore une fois à mettre un coup de griffe en participant à la stigmatisation des plus pauvres, en voulant les rendre responsables de leur non ou de leur mal-insertion et en obérant le premier responsable : un État qui échoue à offrir un accompagnement.
Pourtant, telle était la promesse du RMI défendue par les socialistes et Michel Rocard, revenu de subsistance assorti d'un accompagnement à la hauteur avec, en guise de boussole, le refus de la stigmatisation et, au bout du chemin, la dignité retrouvée.
Contrairement à ce qu'a dit un ancien ministre de l'intérieur Renaissance, l'allocation, ce n'est pas la réponse des lâches. Votre projet de stigmatisation, de mise sous contrôle des allocataires, est d'abord vide d'humanité.
Le vide, c'est également celui dans lequel vous précipitez les Français, dans la continuité de vos travaux de sape du modèle social. Après avoir amputé l'assurance chômage tout en faisant basculer les chômeurs en fin de droit vers le RSA, après avoir volé deux ans de vie aux Français avec votre réforme des retraites, si injuste, qui maintiendra plus longtemps au RSA des centaines de milliers de seniors sans emploi, nous vous retrouvons aujourd'hui avec une réforme de ce dernier qui, en fin de compte, se traduira par une exclusion de l'allocation de ces chômeurs ou de ces seniors.
De plus, les organisations syndicales sont unanimement opposées à ce texte, comme les associations qui luttent contre la précarité, les personnes qui accompagnent les allocataires du RSA, les collectivités locales, les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, les agents du service public de l'emploi.
Le vide, c'est aussi celui des arguments : sur quels fondements scientifiques ou issus de l'expérience justifiez-vous votre approche ? Comment pérenniser dans la loi une expérimentation qui n'est pas terminée et même, dans la plupart des dix-huit départements préfigurateurs, pas commencée ? Nous avons demandé à disposer d'éléments sur le nombre de sanctions et leurs effets sociaux et vous ne nous avez jamais répondu. Comment peut-on légiférer ainsi ? Nous vous invitons à lire la documentation scientifique internationale, selon laquelle le renforcement des sanctions n'a aucun effet sur la réinsertion. Au contraire, il augmente le non-recours et le stress.
Comme la Défenseure des droits, nous nous étonnons surtout du vide de moyens financiers et humains. Vous prétendez mieux accompagner les allocataires mais où sont les recrutements à Pôle emploi ? Votre étude d'impact n'analyse rien du tout, et surtout pas un éventuel impact sur les femmes, qui constituent l'immense majorité des allocataires du RSA majoré. L'absence de plan de financement est également étonnante alors que vous vous dites si soucieux de la bonne gestion des finances publiques.
Vous allez intégrer des millions de personnes dans l'opérateur France Travail et vous leur demanderez des heures d'activité, peut-être 15 heures pour 1 900 000 foyers, ce qui coûtera environ 10 milliards d'euros. Dans les faits, il sera impossible d'accompagner convenablement les allocataires et les salariés de Pôle emploi, lesquels sont déjà en souffrance et en sous-effectif.
Le vide, c'est aussi celui que connaîtront les jeunes de moins de 25 ans qui, si l'on vous suit bien, contractualiseront avec Pôle emploi pour faire des heures sans pour autant avoir droit au RSA.
Doit-on être rassuré par les micro-mesures concernant le handicap ou la petite enfance ? Nous aurions aimé que des textes spécifiques soient consacrés à ces questions essentielles afin de faire preuve d'une véritable ambition et d'instaurer une véritable politique publique digne de ce nom.
Nous, socialistes, choisirons de défendre le droit opposable à l'accompagnement, l'inconditionnalité du RSA, l'automaticité d'un revenu minimum d'existence fixé à un niveau décent et ouvert aux moins de 25 ans.
Vous n'avez pas choisi le plein emploi mais le vide d'emploi ou le mal-emploi, en faisant fi des freins périphériques à l'emploi : transports, salaires, accessibilité, etc. C'est d'ailleurs le terme même d'« emploi » que vous voulez faire disparaître à travers la dénomination « France Travail ». Ce qui prime, à vos yeux, c'est le travail à n'importe quel prix, quitte à ce qu'il ne soit pas rémunéré. Votre « plein emploi » revient à fabriquer à la chaîne des Daniel Blake, comme dans le film de Ken Loach, où privatisations, mises sous contrôle et mises en concurrence des allocataires ne produit que désespoir et misère.