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Intervention de Thierry Caquet

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Thierry Caquet, directeur scientifique environnement à l'INRAE :

. – Je vous remercie pour votre invitation.

Le sujet des sols doit tous nous concerner car les sols de la planète sont des ressources finies, renouvelables mais sur une échelle de temps très longue. Les sols sont donc un patrimoine à protéger car il est menacé par plusieurs processus : l'érosion, la pollution chimique, la salinisation, la désertification, le tassement des sols. Ces processus sont pour certains sous contrôle humain. La Commission européenne estime qu'aujourd'hui 60 à 70% des sols sont dégradés en Europe. Il existe donc un enjeu important à protéger et reconquérir nos sols, y compris au regard de la biodiversité, dont un quart se trouve dans les sols.

L'atténuation du changement climatique amène à s'intéresser au compartiment des sols car celui-ci permet de stocker du carbone à long terme grâce aux processus biologiques actifs dans ces sols. Les projections montrent que nous ne parviendrons à la neutralité carbone en 2050 que si nous avons des puits naturels de carbone car nous ne pourrons pas compenser autrement les émissions résiduelles.

Dans les dimensions naturelles de la neutralité carbone, nous trouvons donc la biomasse (les forêts, par exemple) et les sols, capables de stocker du carbone de manière plus ou moins permanente.

L'initiative « 4 pour 1 000 », initiée en France en 2015 à l'occasion de la COP21, est une vision de ce que nous pourrions faire avec les sols pour compenser en partie nos émissions. Si nous pouvions augmenter la teneur en carbone des sols de 4 pour 1 000 par an, de manière uniforme à l'échelle de la planète et sur 30 cm ou 1 m de profondeur, nous pourrions capter chaque année le surplus d'émission de CO2 – sans toutefois réduire l'existant. Cette vision part du constat que, en dehors de tout objectif climatique, lorsque la teneur des sols en matière organique est augmentée, des bénéfices sont retirés, en premier lieu pour l'agriculture et la production alimentaire. Dans beaucoup de pays, les sols sont décarbonés et une telle réintroduction aurait de nombreux bénéfices, pour la production agricole, pour la biodiversité et pour la rétention de l'eau par les sols. Nous constatons donc des effets collatéraux positifs. Selon moi, ce constat permet de combiner atténuation et adaptation au changement climatique.

Si nous revenons à la situation de la France, nous bénéficions d'un réseau de mesures de la qualité des sols, au travers du Groupement d'intérêt scientifique sur les sols (GisSol), avec une campagne systématique de mesure, en France métropolitaine et dans les territoires ultramarins, avec une revisite régulière des parcelles mesurées. Cette cartographie précise nous permettra de constater si les premières mesures prises donnent déjà des résultats.

En 2017-2018, l'état de ce réseau montre qu'en France, les sols sont hétérogènes, avec des sols forestiers à l'équilibre (80-90 tonnes de carbone par hectare y sont stockées) et des zones déficitaires (50 % de moins), principalement des zones de grande culture comme celles du Bassin parisien. Nous avons dans ce deuxième type de zones la capacité de déployer des leviers agronomiques pour augmenter la teneur en carbone des sols. Ces leviers, par exemple couvrir les sols entre deux cultures principales, introduire de l'agroforesterie ou faire du semis direct, permettraient une augmentation de la teneur des sols en carbone de 4 à 5 pour 1 000 par an pendant une trentaine d'années.

Nous disposons donc d'une capacité théorique à faire, mais la question est de savoir si ce stockage fondé sur des processus naturels peut être permanent. La réponse est non, malheureusement, en cas de changement d'utilisation du sol (passage du champ à la prairie par exemple), mais aussi en cas de phases de sécheresse, qui entraînent un déstockage de CO2.

Le coût de déploiement doit aussi être pris en compte. Les estimations vont de 10-20 à 100 euros par tonne, par hectare et par an.

Il nous faut donc réfléchir au modèle économique à mettre en place. Pour ce carbon farming, des initiatives existent dans le secteur privé, s'appuyant sur des contrats de cinq ans avec une rémunération de 30 à 50 euros par tonne de carbone. Il faut s'interroger alors sur les priorités à retenir et se demander si ces évolutions ne vont pas transformer radicalement le métier de certains agriculteurs.

Je termine par un point que j'estime très important. Le stockage de carbone est une solution mais ce ne sera pas la seule car elle ne concernera que 10 à 12 voire 15 % des émissions telles qu'elles sont actuellement. Nous ne devons pas non plus négliger les autres émissions du secteur agricole qui contribuent au changement climatique, dont les azotes.

Il existe donc des solutions mais la prudence doit s'imposer. Des opportunités émergent, également pour le modèle économique des exploitations agricoles, mais ces opportunités sont pilotées par le vivant et le climat change : nous devons garder à l'esprit que les solutions de 2023 ne pourront pas forcément s'appliquer en 2030-2040.

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