Intervention de Valérie Chansigaud

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l'environnement :

. – Je vais apporter un éclairage différent, à partir d'un point de vue historique sur les pesticides, qui permet d'éclairer et de nous interroger sur les problématiques actuelles.

Les pesticides modernes apparaissent aux États-Unis à la fin du XIXe siècle dans des paysages vastes de monocultures, avec des espèces cultivées non originaires du continent. Ce système écologique est entièrement nouveau. Il représente un paradis pour les espèces d'insectes ravageurs, elles aussi sans concurrence. L'agriculture a ainsi été frontalement touchée.

Dans les années 1870, le monde agricole demande des solutions et le gouvernement américain demande aux scientifiques des préconisations simples, notamment pour les plantations de coton. Ceux-ci proposent les polycultures, et en cas d'atteinte par le charançon, de brûler la production de la parcelle. Des témoignages indiquent que le monde agricole a refusé ce type de solutions.

Les agriculteurs expérimentent d'autres procédés comme l'électricité pour tuer les larves, puis des produits chimiques, dont l'arsenic, produit en Allemagne et majoritairement présent dans les pays occidentaux. Vers 1870, le développement de l'appareillage pour pulvériser apparaît également.

La Première Guerre mondiale et le blocus conduisent au développement des industries chimiques aux États-Unis et l'utilisation de davantage de pesticides. Après la guerre, les avions et les pilotes sont réutilisés pour les épandages.

En 1933 paraît un ouvrage des militants de la cause des consommateurs sur les risques concernant les aliments et les produits de beauté. Ici émerge un problème de fonctionnement de la démocratie car les grandes industries limitent les informations transmises aux consommateurs.

La Seconde Guerre mondiale marque une étape avec une épidémie de paludisme dans le Pacifique, mais sans possibilité d'utiliser la quinine. En Europe, le typhus gagne et menace de détruire les armées. Les États-Unis découvrent le DDT mis au point par un chimiste suisse, alors que l'Allemagne ne semble pas intéressée. Le premier usage en est fait à Naples sur un début d'épidémie de typhus, en 1943. En 1946, le premier cas de résistance est observé, toujours à Naples, chez les insectes. Le DDT est dès 1945 considéré comme une bombe atomique contre les insectes et suscite un véritable engouement. En parallèle toute une recherche scientifique se développe sur ces sujets, mais cette littérature ne circule que dans les milieux autorisés.

En 1963, Rachel Carson fait paraître un ouvrage très important, Printemps silencieux, dans lequel elle fait la synthèse des connaissances scientifiques. Biologiste marine, elle permet au grand public d'entrer dans le débat. Le mouvement environnemental contemporain est ainsi né. En 1970, le DDT est interdit. En France, l'ouvrage est traduit mais sans sa bibliographie et Rachel Carson est présentée comme une journaliste, à tort. Cette émergence des produits chimiques a donc eu lieu dans un premier temps sans implication du grand public et Rachel Carson a effectué un travail de vulgarisation scientifique.

Nous pouvons noter avec intérêt que d'autres sujets sont très peu abordés : la résistance des insectes, connue dès 1943 pour les arsenics, par exemple. La même question apparait en parallèle avec la résistance aux antibiotiques mais sans changement de pratique. Il faut observer à ce propos que peu de réactions politiques ont émergé devant ces problèmes scientifiques mais vous êtes ici, grâce aux travaux de l'Office, l'exemple contraire et je vous en remercie.

La thématique des insectes est aussi marquée par l'introduction des espèces envahissantes. On peut observer ici que les insectes n'étaient pas vecteurs de transmission du Covid-19, ce qui a été une grande chance. Nous avons donc une situation contradictoire entre l'augmentation de ces espèces envahissantes qui posent de grands problèmes, et la volonté de diminuer l'arsenal chimique. Force est de constater que le grand public reste peu au courant de ces questions.

Enfin, concernant le chlordécone, le décalage temporel des réactions de politique publique entre la France et les États-Unis repose, il me semble, sur la petite taille des associations naturalistes en France, contrairement aux États-Unis, et y explique la difficulté de la reconnaissance du problème.

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