. – Exactement. Ils ont subi les stress tests et vu des ajouts de matériel dont nous observons aujourd'hui l'utilité. À l'époque, ces ajouts n'étaient pas prévus pour le type de scénario actuel. Les installations possèdent des systèmes de pompe mobile pour alimenter un certain nombre de moyens électriques et renforcer la robustesse des installations et leur autonomie. Aujourd'hui, cinq réacteurs sont en arrêt à froid et le dernier en arrêt à chaud. L'IRSN avait estimé il y a quelque temps qu'au regard de la situation de guerre autour de la centrale, cette mise à l'arrêt était l'état probablement le plus favorable du point de vue de la sûreté. Ce sujet faisait toutefois débat. L'IRSN considère néanmoins que c'est une bonne mesure pour minimiser les conséquences en cas d'accident. De fait, en cas d'accident, un réacteur arrêté depuis longtemps aura un impact plus faible. L'iode 131, élément essentiel en cas d'accident, aura quasiment disparu, car sa durée de vie est de quelques jours. Par ailleurs, le temps disponible pour réaliser une intervention est beaucoup plus long.
Du point de vue de la robustesse, la situation actuelle présente de nombreuses faiblesses. Le risque principal est la perte des alimentations électriques, car un réacteur qui ne dispose pas de telles alimentations ne peut plus être refroidi. Alors, la température monte et à partir d'un certain temps, le combustible se dégradera. Ce serait alors une logique d'accident grave qui commencerait. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une ligne d'alimentation extérieure de 750 kilovolts. À ma connaissance, leur nombre est en principe de quatre. S'ajoute une ligne de secours de 330 kilovolts, provenant d'une centrale thermique voisine. Il y une vingtaine de diesels. Une certaine robustesse existe donc. Néanmoins, les diesels doivent être alimentés en fioul.
La source froide est un grand bassin près de la centrale, situé dans le Dniepr. Celui-ci ayant disparu à la suite de la destruction du barrage de Kakhovka, le maintien de la source froide constitue un sujet. Le moyen de refroidissement principal repose sur ce bassin, lequel est pour l'instant encore accessible. Les réacteurs ont un moyen de refroidissement de secours : des bassins de fontaines. Les évaluations actuelles montrent que l'inventaire en eau peut encore durer plusieurs mois. La situation présente donc une certaine robustesse, tout en restant inacceptable.
Des mesures effectuées par l'IRSN et des réseaux européens sont mises en place et partagées. Les mesures des autorités ukrainiennes sont également accessibles. Quant à la qualité des informations, l'IRSN a des relations très étroites avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Celle-ci est assez bien informée et dispose de personnels sur place. Nous sommes en relation avec le SSTC, homologue ukrainien de l'IRSN. Au niveau international, l'action du directeur général de l'AIEA va dans le bon sens, avec l'identification de « piliers ».
Évidemment, les opérateurs de la centrale se trouvent dans des conditions insatisfaisantes – c'est un faible mot – en raison de la pression subie dans les installations et des conditions dans lesquelles ils opèrent. Nous échangeons également avec d'autres interlocuteurs internationaux comme le Département de l'énergie américain qui effectue un suivi rapproché et avec nos collègues européens. Un certain nombre mènent des simulations et nous en partageons les éléments.
Les inondations, grand chaud, grand froid, feux de forêt, tempêtes, correspondent dans notre langage à des agressions externes. Ces sujets ont été pris en compte dès la conception des installations nucléaires. En revanche, ils n'ont pas été pris en compte dans toute leur dimension. Le retour d'expérience a conduit à les renforcer de manière très importante. Trois épisodes ont été déterminants :
- les grands froids : au milieu des années 1980, la Loire avait gelé en masse. La question de la source froide se posait alors. En effet, il n'est pas possible de prélever de l'eau si celle-ci est gelée. Les dispositions grand froid ont été mises en place par EDF ;
- en 1999, la centrale du Blayais a été inondée. C'était la première fois que plusieurs tranches étaient concernées en même temps par un événement. Avant cette situation, lors des exercices de crise, une seule installation était touchée ;
- la canicule de 2003.
Fukushima a également engendré des améliorations.
Parmi les agressions externes, l'inondation est prise en compte. Des travaux sont menés en permanence. Le travail scientifique avec les Québécois et l'Université Gustave Eiffel vise à renforcer l'analyse de données.
Pour les nouvelles installations, EDF a décidé de dimensionner la résistance à l'inondation par référence au scénario du GIEC jusqu'en 2100 pour les EPR2. Ceci permet de déterminer l'aléa, soit la hauteur contre laquelle se prémunir, et peut s'accompagner de dispositions constructives comme la mise en place de nouveaux matériels. Ainsi, une réflexion est nécessaire sur l'organisation de l'installation.
En lien avec le changement climatique, l'IRSN travaille sur trois types de sujets :
- l'agression elle-même : inondation, grand chaud, grand froid ;
- les effets indirects : les énergies intermittentes sur le réseau peuvent modifier la structure de l'alimentation électrique comme la fréquence. Ceci peut conduire à devoir effectuer du suivi de charge et de réseau. La France le fait depuis longtemps, ce qui n'est pas le cas de nombreux autres pays. Nous avons donc une expérience sur le sujet, mais elle pourrait évoluer en fonction du paysage général ;
- la réflexion du comité d'orientation des recherches.