Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 29 juin 2023 à 9h05
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

. – Dans mon propos, j'évoquerai deux axes. Le premier est que l'IRSN se prépare au grand rendez-vous industriel du futur. Le président de la République a annoncé dans son discours de Belfort la construction de six EPR2, auxquels pourront succéder d'autres projets d'EPR2 et la conception de réacteurs modulaires de faible puissance (SMR).

Par ailleurs, de nouveaux enjeux voient le jour comme le dérèglement climatique ou le vieillissement des installations. Ces dernières années, l'IRSN a traité de nombreux dossiers structurants tels que le quatrième réexamen de sûreté des réacteurs 900 mégawatts, le dossier de mise en service de l'EPR de Flamanville 3, l'analyse de la future piscine d'entreposage d'EDF, les options de sûreté de l'EPR2 ou du SMR Jimmy. Sur la base de ces expertises et des enseignements associés, l'IRSN a identifié, en 2022, quatre axes principaux pour la sûreté dans les dix prochaines années :

- renforcer la sûreté en exploitation avec la bonne appropriation des dispositions de sûreté par les opérateurs de terrain et la fiabilisation des interventions ;

- poursuivre l'amélioration de la sûreté de conception des installations existantes en prenant en compte les effets du changement climatique, ce qui signifie stabiliser les référentiels de sûreté pour les installations existantes et s'assurer de leur déclinaison sur le terrain ;

- pour les installations futures, tenir compte des meilleures pratiques et doctrines au niveau international, et intégrer le retour d'expérience acquis sur les projets les plus récents selon une approche proportionnée aux enjeux ;

- savoir s'adapter et anticiper les conséquences des évolutions en cours : digitalisation chez les exploitants, intelligence artificielle et méthodes d'étude innovantes.

L'IRSN poursuit l'expertise du quatrième examen périodique des 20 réacteurs de 1300 mégawatts. Cette expertise se terminera à la fin de l'année 2024 avec des avis techniques de synthèse de l'Institut à destination de l'ASN. Les experts de l'Institut s'appuient sur les conclusions du travail effectué pour les réacteurs de 900 mégawatts, remises en mars 2021 à l'ASN. L'IRSN se concentre sur les principales différences de conception entre les réacteurs de 900 mégawatts et ceux de 1300 mégawatts, notamment l'enceinte de confinement. En effet, pour le réacteur de 1300 mégawatts, cette enceinte est constituée d'une double enveloppe de béton non munie d'un liner métallique, au contraire des réacteurs de 900 mégawatts.

Par ailleurs, EDF envisage de charger les réacteurs de 1300 mégawatts avec du combustible à oxyde mixte uranium-plutonium : le mox. L'IRSN considère que cette évolution importante ne présente pas d'aspects rédhibitoires. Toutefois, nous nous assurerons que les conséquences des modifications sur la maîtrise de la radioactivité dans le cœur du réacteur sont acceptables. Il s'agit notamment de l'ajout de barres de commande, de modifications du système de protection du réacteur et d'évolutions des règles de conduite. L'investissement technique de l'IRSN en préalable à la mise en service de l'EPR de Flamanville 3 a été conséquent. En 2022, nous avons produit une vingtaine d'avis sur le sujet à destination de l'ASN. Ils ont notamment concerné les systèmes du réacteur importants pour la sûreté comme le système de protection du réacteur et les soupapes du pressuriseur. L'analyse des essais de démarrage se poursuit, car des essais de requalification sont notamment prévus en septembre et en octobre 2023.

L'IRSN anticipe l'expertise du réacteur EPR2. À la suite de son avis sur les options de sûreté de ce réacteur et en anticipation du dépôt du dossier d'autorisation de création pour les deux EPR2 du site de Penly, l'IRSN a défini une stratégie d'expertise pour ces réacteurs en 2021. Nous l'avons partagée avec l'ASN qui l'a approuvée. Elle sera organisée autour d'un certain nombre de sujets structurants. D'ores et déjà, nous avons rendu neuf avis à l'ASN sur ce réacteur. Les points étudiés concernent notamment la chute accidentelle d'un aéronef militaire, les principaux équipements sous pression nucléaire, les agressions d'origine interne, etc. Les ressources humaines consacrées à ce projet sont de 4 ETPT en 2021 et de 8 ETPT en 2022.

En 2022, l'IRSN s'est également beaucoup mobilisé sur l'expertise du phénomène complexe de corrosion sous contrainte qui a affecté plusieurs réacteurs d'EDF. La corrosion sous contrainte résulte généralement pour un matériau sensible de l'action conjuguée d'une contrainte mécanique et d'un milieu agressif. Cette dégradation conduit à l'amorçage d'une ou plusieurs fissures puis à leur propagation au sein du matériau considéré si le sujet n'est pas traité. Nous avons rendu six avis en 2022 sur ce sujet et avons impliqué une petite dizaine d'ETPT. Nous avons rendu des avis sur le procédé de contrôle non destructif, sur les conséquences d'une rupture brutale, sur la chimie du circuit primaire et les mesures d'exploitation prise par EDF pour limiter le risque de rupture et le détecter au plus tôt, en particulier pour le réacteur 1 de Cattenom.

Plus récemment, l'IRSN a présenté un rapport devant le groupe permanent d'experts placé auprès de l'ASN dans lequel étaient abordés la cinétique de propagation des fissures et les examens non destructifs sur la fin de corrosion.

L'IRSN s'implique dans les analyses de sûreté des petits réacteurs innovants. Il appuie notamment l'ASN dans l'expertise du projet NUWARD. D'autres projets de SMR sont développés, notamment dans le cadre d'un appel à projets France 2030. Nous avons ainsi d'ores et déjà analysé, à la demande de l'Autorité de sûreté, les options de sûreté du réacteur Jimmy et un microréacteur calogène à haute température.

Pour les autres réacteurs, nous sommes également fortement mobilisés par les porteurs de projets pour « dérisquer » leurs projets.

L'IRSN a analysé l'impact des scénarios de mix énergétique sur le cycle du combustible nucléaire. Nous avons ainsi émis des recommandations sur le suivi des projets en cours, notamment vis-à-vis des entreposages de plutonium et d'assemblages combustibles. À la demande du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), une version commentée de cet avis a été élaborée à destination notamment des commissions locales d'information.

De nombreuses autres expertises ont été conduites, notamment sur des projets préparatoires à des rendez-vous industriels. Je pourrais évoquer la préexpertise du projet de stockage de déchet radioactif Cigéo, dont l'Andra vient de déposer le dossier d'autorisation de création en début d'année, ainsi que le démantèlement du réacteur de Fessenheim. L'IRSN a apporté son appui à l'Autorité de sûreté défense en expertisant la sûreté du chargement et de la divergence du cœur du sous-marin nucléaire d'attaque. C'est un sous-marin construit dans le cadre du programme Barracuda de renouvellement des six sous-marins nucléaires d'attaque de la Marine nationale.

Le deuxième axe est que l'IRSN est un acteur majeur de la recherche européenne et internationale, en appui à son expertise en sûreté et sécurité nucléaires et en radioprotection. L'IRSN consacre 40 % de ses ressources à l'activité de recherche. Les programmes de recherche sont partenariaux, avec des organismes de recherche, des universités, des industriels français, européens ou internationaux. Ils s'inscrivent notamment dans des dispositifs tels que la recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection des programmes d'investissements d'avenir, des appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR), du programme-cadre de la Commission européenne ou sous l'égide de l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE.

Le Hcéres a évalué positivement l'IRSN en tant qu'établissement de recherche. Cette évaluation est prévue tous les cinq ans pour les établissements publics qui mènent une activité de recherche. À l'issue de cette évaluation, le Hcéres a indiqué « que le modèle fondateur de l'IRSN couplant expertise et recherche lui a permis d'acquérir le leadership dans les divers écosystèmes français, européens et internationaux. Ce modèle pour être performant s'appuie sur une forte composante scientifique et technique qui doit rester à la hauteur des enjeux des applications nucléaires, qu'elles relèvent d'activités industrielles, de santé, de défense ou de recherche ».

Conformément aux recommandations de la précédente évaluation du Hcéres, nous avons renforcé nos partenariats structurants, notamment avec le CNRS et l'Université Paris-Saclay. Avec le CNRS, nous avons signé une feuille de route commune en juin 2022. Elle a identifié six thématiques où la collaboration se renforce : l'altération des matériaux, des composantes et des structures ; les séismes et les interactions sols/structures ; les recherches menées in situ dans le domaine de l'environnement ; les nouvelles techniques nucléaires pour la santé ; les capteurs et la métrologie ; les plateformes logicielles et la simulation.

Concernant l'Université Paris-Saclay, un accord-cadre signé en mars 2022 couvre la santé, les géosciences et certains aspects de la sûreté nucléaire, par exemple autour de la neutronique et de la physique des aérosols. Cet accord prévoit également l'intervention de chercheurs de l'Institut dans le programme d'enseignement de l'université et un partage des infrastructures de recherche.

Les projets de recherche Euratom, au niveau européen, menés au titre du programme Horizon Europe constituent pour l'Institut un cadre essentiel de collaboration avec différents partenaires européens. Lors du dernier appel à projets, en 2021, nous avions proposé quinze projets dont onze ont été retenus. Le projet Pianoforte, sous la direction de l'IRSN, préfigure une Europe de la recherche en radioprotection. En effet, il rassemble 58 partenaires de 25 États membres de l'Union européenne. L'objectif est de rassembler cette recherche autour de plusieurs thèmes : les effets secondaires des traitements utilisant les rayonnements ionisants, la résilience en situation de crise et post accidentelle et les effets des faibles doses.

Le deuxième projet ASSAS (Artificial intelligence for Simulation of Severe AccidentS) est piloté par l'IRSN et rassemble 13 partenaires. Il a pour objectif de montrer la faisabilité d'un simulateur d'accidents graves utilisant le code Astec. Ce dernier est le résultat d'une démarche stratégique poursuivie par l'IRSN depuis vingt ans. C'est un outil de calcul utilisant de l'expertise, mais également le réceptacle de l'ensemble des travaux de recherche sur les accidents graves conduits depuis de nombreuses années. C'est un code de référence, aujourd'hui mis à disposition d'une trentaine de Technical Safety Organisations (TSO), industriels et autorités.

Le projet de recherche européen dans le domaine médical MEDIRAD s'intéresse aux risques de toxicité cardiaque associés aux radiothérapies des cancers du sein, à la radioprotection des professionnels de santé en radiologie interventionnelle et à l'évaluation du risque de cancer associé à la scannographie pédiatrique.

Le programme PASTIS est financé par France 2030 et l'ANR. Il est dédié aux systèmes de sûreté passifs des SMR. Leur utilisation est envisagée dans la plupart des nouveaux concepts de petits réacteurs modulaires pour gérer les situations accidentelles. Dès lors que la sûreté de ce type de réacteur repose sur ces systèmes passifs, leur performance et leur fiabilité, les phénomènes physiques sur lesquels ils reposent doivent pouvoir être confortés et investigués. Pour obtenir des données scientifiques et accroître la compréhension des phénomènes en jeu, l'IRSN engage un programme de recherche international sur les systèmes passifs thermo-hydrauliques. Il s'agit d'alimenter des codes de simulation qui seront utilisés dans le cadre de notre expertise.

L'IRSN améliore la connaissance sur le risque d'inondation sur le littoral. C'est le résultat du travail d'une équipe franco-québécoise associant l'Institut national de la recherche du Québec, l'Université Gustave Eiffel et l'IRSN. L'objectif est de développer une méthodologie améliorant la prise en compte de données historiques dans l'évaluation du risque d'inondation. Cette méthodologie présente un intérêt pour les installations nucléaires de bord de mer, mais plus largement les autres infrastructures comme les ponts et ports.

Le projet VSEAL a été engagé en 2022 dans notre laboratoire sous-terrain de Tournemire, dans l'Aveyron. L'idée est d'étudier durant une quinzaine d'années les effets de l'eau de ruissellement et de l'hydrogène produit par des déchets stockés sur l'étanchéité d'un scellement. Par cette recherche, nous souhaitons renforcer notre expertise sur les capacités de confinement de l'argile pendant une très longue durée.

Dans un contexte d'enjeux sans précédent et d'attentes et de demandes croissantes, l'IRSN est au rendez-vous dans l'ensemble de ses champs d'intervention. Il s'agit de sûreté nucléaire avec le programme important annoncé par le président de la République, de nouveaux projets d'installations nucléaires, de nouveaux types de réacteurs et de la prolongation d'installations existantes. Il s'agit de sécurité nucléaire dans un contexte terroriste persistant et de protection contre les rayonnements ionisants, avec un recours accru à ces derniers dans le domaine médical et des attentes sociales fortes en santé et en environnement.

L'IRSN se prépare au grand rendez-vous du futur, notamment industriel. Nous nous inscrivons en appui de notre expertise dans le paysage de la recherche européenne où l'IRSN est reconnu. Par ses actions de transparence et d'ouverture à la société en relation avec les autres acteurs, l'IRSN contribue à ce que chacun puisse se faire sa propre opinion. Pour répondre à cette attente et demande croissante, l'IRSN a engagé des démarches pour accroître l'attractivité et la fidélisation de ses salariés. Nous sommes ainsi engagés dans un ensemble de transformations numériques et managériales des modes de travail pour accroître notre efficience. Nous avons par exemple renforcé notre stratégie numérique et notre politique RSE en 2022. Il s'agit pour l'Institut, pour les hommes et les femmes qui le composent de répondre à tout moment à ce besoin d'adaptation pour que la sûreté, la sécurité nucléaire et la protection de l'environnement soient au plus haut niveau dans une démarche d'amélioration continue à l'écoute des autorités, des pouvoirs publics, de ses partenaires, des industriels et de la société.

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