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Intervention de Philippe Berta

Réunion du jeudi 29 juin 2023 à 9h05
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Berta, député, rapporteur :

. – Au cours des dernières années, les travaux de biologie fondamentale ont permis l'émergence d'une médecine dite « de précision », fondée sur la personnalisation des traitements, grâce à une meilleure connaissance des cancers à l'échelon moléculaire. C'est sur ces nouveaux traitements que s'est concentré notre travail.

Cette nouvelle approche, qui utilise des thérapies adaptées aux anomalies spécifiques rencontrées chez les patients, s'est traduite par un changement de paradigme au cours de la dernière décennie : le cancer n'est plus caractérisé par la localisation de la tumeur, mais par les caractéristiques moléculaires de cette dernière. De très nombreux sous-types de cancer, nécessitant des traitements différents, peuvent exister pour un même organe. Le cancer du poumon n'a plus de signification. Il est préférable de dire les cancers du poumon. Inversement, une même anomalie peut être constatée dans plusieurs types de cancers touchant des organes différents, permettant d'utiliser une même thérapie. On peut trouver des spécifications moléculaires identiques pour un cancer de l'intestin ou du foie.

Aussi, ces traitements impliquent d'utiliser des tests diagnostiques afin d'orienter la prescription. Ces tests reposent sur de très nombreuses techniques d'analyse, réalisées à partir de biopsies de la tumeur ou de cellules tumorales circulantes, ou de biopsies liquides à partir d'un prélèvement de 10 millilitres de sang pour repérer les cellules tumorales circulantes et identifier la présence d'une tumeur ou sa disparition à la suite d'un traitement. Ils représentent également un riche champ d'innovation qui n'a malheureusement pas pu être abordé dans le cadre de ce travail.

Dans un premier temps, des thérapies dites « ciblées » ont été développées. Celles-ci ont pour objectif de bloquer la croissance ou la propagation de la tumeur, en agissant à l'origine du développement ou de la dissémination des cellules cancéreuses. En visant spécifiquement ces cellules, ces traitements permettent de minimiser les effets secondaires.

De petites molécules inhibitrices, susceptibles de se lier à des protéines spécifiques pour bloquer ou modifier leur fonction, peuvent être utilisées. C'est notamment le cas des inhibiteurs de tyrosine kinases, famille d'enzymes, qui permettent de bloquer la prolifération de certaines lignées cellulaires cancéreuses. C'est une des voies utilisées pour une des formes particulières du cancer du sein.

Il est également possible d'utiliser des anticorps qui, en reconnaissant des antigènes spécifiques des cellules tumorales, peuvent bloquer les mécanismes biologiques impliqués dans leur multiplication ou entraîner leur mort cellulaire. Les anticorps peuvent aussi être utilisés « armés », c'est-à-dire liés à un ou plusieurs produits cytotoxiques qu'ils dirigent sélectivement vers les cellules cancéreuses. Dès les années 1980, cette approche avait été identifiée. Mais nous maîtrisions moins l'immunologie, les anticorps et la capacité de cibler les cellules tumorales. Ce fut un échec retentissant, en particulier de la maison Sanofi.

Les résultats de ces approches s'avèrent cependant parcellaires. Tout d'abord, la majorité des cancers ne peuvent pas faire l'objet d'une thérapie ciblée efficace, faute d'une anomalie moléculaire décisive qui pourrait constituer une cible thérapeutique. Par ailleurs, si ces traitements sont efficaces pour réduire la progression de la maladie, seule une fraction d'entre eux permet d'améliorer le taux de survie globale des patients, en raison de l'apparition de phénomènes de résistance à court ou moyen terme. Enfin, l'hétérogénéité des tumeurs constitue un obstacle important : les cellules tumorales ne sont pas toutes identiques et peuvent en conséquence présenter des réponses différentes au traitement. Même au sein d'une même tumeur se trouvent des lignées cellulaires et tumorales différentes. Un traitement peut fonctionner sur une des lignées, mais épargner l'autre. Ainsi, le résultat ne sera pas acquis.

Plus récemment, des progrès importants ont été apportés par les immunothérapies, qui sont indéniablement la voie de recherche la plus dynamique et la plus prometteuse en oncologie. Depuis dix ans, un processus novateur se met en place.

Pour former une tumeur, les cellules cancéreuses doivent échapper aux défenses du système immunitaire. Les traitements d'immunothérapie ont pour objectif de restaurer l'efficacité du système immunitaire afin de lui permettre de reconnaître et de détruire ces cellules cancéreuses.

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, dont la découverte a été récompensée par le prix Nobel de médecine en 2018, ont été les principaux acteurs de cette révolution thérapeutique. Ce prix Nobel a été donné très rapidement, car la percée a été mesurée tout de suite en termes de thérapie.

Les points de contrôle immunitaire sont des protéines situées à la surface des lymphocytes T (lymphocytes « tueurs ») qui empêchent le système immunitaire d'attaquer les cellules saines. Or, les cellules cancéreuses détournent ce mécanisme de contrôle pour se rendre invisibles aux défenses de l'organisme ; elles produisent à leur surface des molécules susceptibles de se lier aux points de contrôle immunitaire des lymphocytes et inhibent ainsi la réponse du système immunitaire. Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire ont pour objectif de bloquer ce mécanisme afin de permettre aux lymphocytes T de détruire les cellules tumorales.

L'efficacité de ce type de traitement est indépendante de l'histologie tumorale, mais influencée par plusieurs paramètres biologiques : présence d'infiltrats lymphocytaires dans la tumeur, expression du récepteur ciblé, micro-environnement tumoral, etc. Aussi, seule une fraction – en moyenne 30 % – des patients répondent à ces traitements. En revanche, la réponse s'avère généralement de longue durée et susceptible de conduire à des guérisons au stade métastatique.

Aujourd'hui, ces traitements sont utilisés pour de nombreuses indications et continuent de faire l'objet de nombreuses recherches. Par exemple, les premiers traitements contre le mélanome ont utilisé ce type de stratégie avec des résultats étonnants. En effet, nous savons que la majorité des mélanomes conduisaient à une mort plutôt précoce. Des résultats prometteurs pourraient notamment être obtenus en les utilisant en tant que traitement néoadjuvant.

Un autre type d'immunothérapie repose sur l'utilisation d'anticorps multispécifiques, c'est-à-dire des anticorps possédant plusieurs sites de liaison. Ils peuvent lier deux, voire plusieurs antigènes simultanément. Ils peuvent ainsi se lier simultanément à des cellules du système immunitaire et à des cellules cancéreuses, favorisant la destruction de ces dernières. Cette approche offre la possibilité de cibler plusieurs antigènes tumoraux et donc de faire face à l'hétérogénéité des cellules tumorales.

Il existe également des immunothérapies cellulaires et, notamment, la thérapie par lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T cells), qui consiste à prélever, modifier et à réinjecter les lymphocytes T d'un patient pour traiter son propre cancer. Les lymphocytes T sont génétiquement modifiés de manière à produire des récepteurs reconnaissant les antigènes des cellules cancéreuses puis réinjectés au patient.

Malgré des effets secondaires qui peuvent être importants lors de l'injection, cette stratégie est essentiellement efficace pour traiter les cancers liquides (lymphome, leucémie, etc.). Cependant, en tant que traitement autologue – le donneur et le receveur étant la même personne –, cette approche pâtit de coûts importants et de capacités de production limitées. Il s'agit d'une médecine personnalisée. Le coût varie entre 200 000 et 400 000 euros. Aussi, la solution idéale reposerait sur le développement d'un traitement allogénique. Pour l'instant, il s'agit d'un fantasme. À ma connaissance, Servier a échoué dans cette démarche. Le but est que la cellule T soit allogénique pour l'utiliser, la bioproduire et la réinjecter à une multitude de patients. Néanmoins, en l'état actuel des recherches, cet objectif demeure une perspective de long terme, les cellules allogéniques étant éliminées rapidement par l'organisme.

L'utilisation de cette approche pour des tumeurs solides fait face, par ailleurs, à une absence de marqueur tumoral idéal – c'est-à-dire suffisamment exprimé par les cellules tumorales sans l'être par des cellules saines –, à l'hétérogénéité de ces tumeurs, à leur micro-environnement physico-chimiquement perturbé ou, tout simplement, à la difficulté d'accéder sur une tumeur solide au cœur de la tumeur de l'organe. La thérapie par lymphocytes infiltrant la tumeur peut cependant permettre d'obtenir des résultats, en injectant, après leur multiplication, des lymphocytes capables de détecter naturellement les mutations spécifiques de la tumeur, obtenus à partir d'une biopsie.

Enfin, les vaccins thérapeutiques, permettant de stimuler et de diriger la réponse immunitaire envers les cellules cancéreuses, sont un dernier type d'immunothérapie, encore en développement, mais porteur de nombreux espoirs.

Les premières approches ciblant les antigènes partagés – c'est-à-dire retrouvés chez plusieurs patients – ont été à ce stade infructueuses. Aujourd'hui, de nouvelles approches visant les antigènes « privés » – c'est-à-dire propres à la tumeur de chaque patient – offrent des résultats encourageants. Il me semble que nous nous situons dans la phase clinique II. Nous retrouvons les acteurs habituels tels que Moderna. Les résultats de phase II sont étonnants sur le mélanome et le cancer du pancréas. Cette perspective devient réaliste grâce aux progrès des techniques de séquençage, qui permettent d'identifier les mutations spécifiques du patient, et à l'amélioration des procédés de production, qui rend possible la confection d'un vaccin personnalisé dans un délai raisonnable. Néanmoins, comme pour les cellules CAR-T, ce type de stratégie individualisée implique d'importants coûts de traitement.

À plus longue échéance, de récentes découvertes permettent d'envisager une vaccination plus universelle. Ces découvertes ont été publiées au mois de mai. Mais elles ne pouvaient être passées sous silence. Même si elles relèvent encore de la recherche fondamentale, il s'agit d'un élément qui pourrait changer la donne. Le génome ADN de nos cellules est composé pour au moins 50 % de vestiges de séquences issues d'infections virales. Certaines de ces séquences, les transposons, peuvent avoir conservé la capacité de se déplacer. Un morceau d'ADN, appelé ADN sauteur, peut partir d'une région chromosomique vers une autre. La structure normalement compactée de l'ADN en chromatine évite ces déplacements. L'ADN de deux mètres peut être compacté dans une cellule de dix microns et un noyau d'un micron. La compaction inhibe toute activité de cet ADN dans la majorité de ses séquences. Dans les cellules cancéreuses, la chromatine est plus lâche, et ces transposons normalement silencieux peuvent se trouver réactivés et reprendre leur activité de transposition, se promener dans notre génome. En fonction de leur localisation, ils pourront conduire à la production de protéines chimériques, aberrantes. Ces transpositions se font dans des endroits privilégiés. En effet, des séquences ADN spécifiques sont nécessaires pour la transposition. Certaines de ces protéines aberrantes ainsi exprimées, absentes des cellules saines, peuvent former des antigènes communs à diverses formes de cancer. Dans ce cas, nous avons repéré un set de protéines anormales que nous retrouverons très souvent exprimées dans des cellules cancéreuses pour différents types de cancer. La perspective de demain serait une vaccination unique contre tout type de cancer.

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