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Intervention de Olivier Christen

Réunion du mercredi 19 juillet 2023 à 17h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces :

En préambule, je tiens à rappeler à quel point le ministère de la justice est évidemment investi dans cette problématique de prévention et de lutte contre les violences commises à l'occasion des manifestations. D'une part, sur le plan fondamental, le rôle du ministère de la justice est de protéger les libertés publiques. D'autre part, du fait des troubles causés par les manifestations, on observe plusieurs atteintes aux libertés publiques. La première est l'atteinte à la liberté même de manifester, puisque les conséquences directes de la multiplication de ces troubles furent la création de dispositifs susceptibles de dissuader les citoyens de prendre part aux manifestations. Ajoutons à cela les atteintes à la sûreté, les dégradations de biens et les atteintes à la protection des personnes, notamment les violences commises contre les forces de l'ordre.

Fort de cela, le ministère de la justice a eu l'occasion d'investir le sujet à travers un nombre important de dépêches et de circulaires. Elles ont été diffusées lors de différentes séquences de troubles lourds et accompagnées d'un certain nombre de retours d'expérience de la part des juridictions concernées par le traitement des procédures ouvertes à la suite de ces manifestations, procédures à l'encontre des personnes commettant les violences ou suite à des violences illégitimes reprochées aux services d'ordre. Ces retours d'expérience ont été le fait des principales juridictions concernées : Paris bien sûr, mais aussi par exemple Bordeaux. Nous attendons que d'autres ressorts, jusqu'à présent moins impactés par ce type de problématiques, soient désormais associés aux travaux que nous conduirons.

L'arsenal déployé nous paraît aujourd'hui globalement complet. Les dernières modifications sont intervenues dans la loi du 10 avril 2019. Elles faisaient notamment référence aux difficultés rencontrées dans le choix des meilleures infractions à retenir, entre le groupement afin de commettre des violences et l'attroupement. Cette dernière infraction n'était guère retenue en pratique puisque la jurisprudence considérait qu'il s'agissait d'un délit de nature politique ne pouvant donner lieu à comparution immédiate. Désormais, cette infraction est retenue sans trop de difficultés par les parquets.

Vous évoquez la difficulté qui peut exister entre le niveau d'infraction et de répression prévu par le législateur et la réponse pénale appliquée par les juridictions. La réponse se veut complexe. Elle se situe à différentes étapes de la procédure.

Le premier point qui, parfois, étonne dans les commentaires que l'on peut lire est le résultat des procédures engagées. Pourquoi un certain nombre d'entre elles ne donne-t-il pas lieu à des suites procédurales, ou en tout cas pas forcément sous toutes les qualifications qu'on pensait initialement être retenues ? Ce n'est pas la résultante d'une difficulté du corpus normatif. Tout le problème réside dans le fait de constituer dès l'origine des dossiers de qualité qui permettent ensuite d'engager les poursuites de façon satisfaisante. C'est un travail engagé entre les parquets, les services de la préfecture et de police, dans le cadre des réunions préparatoires que l'on promeut depuis un certain nombre d'années. Le souhait est que les parquets aient une parfaite connaissance des dispositifs de prévention des troubles mis en place par les préfectures en termes de police administrative. Il convient d'insister à chaque fois sur la nécessité, à côté des forces d'intervention qui doivent prévenir ces troubles ou appréhender les auteurs des dégradations et des violences, d'avoir des effectifs en mesure de recueillir les éléments de preuve qui permettront de construire des procédures solides et d'engager les poursuites. Il faut aussi parler du niveau de la répression, en fonction des preuves réunies sur la gravité des faits commis.

Le deuxième point rejoint les questions abordées dans votre questionnaire sur le profil des personnes appréhendées. Le principe du code pénal est l'individualisation des peines. Parmi les éléments qui guident les juridictions dans la détermination des peines prononcées, il y a évidemment le profil des personnes prévenues. Je ne parle pas ici des individus directement impliqués dans des agressions, parfois d'une violence particulièrement lourde contre les forces de l'ordre, ou arrêtés en flagrant délit pour les dégradations les plus graves. La plupart des personnes interpellées le sont pour des dégradations en réunion d'une intensité pas forcément extrême, sur des vols et des infractions opportunistes ou sur des niveaux de violence qui ne sont pas les plus élevés du spectre. Dès lors, le profil des personnes présentées, par rapport à leurs éventuels antécédents ou à leur niveau d'insertion sociale, appelle évidemment des réponses différentes.

L'interdiction de manifester est rappelée dans toutes les dépêches et circulaires récentes, que ce soit à l'initiative de la direction des affaires criminelles des grâces ou, pour les dernières, sous la signature du ministre lui-même. Elles rappellent aux parquets l'intérêt de requérir cette peine. Nous vous communiquerons des statistiques précises sur le prononcé, mais la peine est régulièrement utilisée par les juridictions, à condition que ce soit compatible avec les circonstances de l'espèce. L'autorisation de manifester est une chose. Souvent, on l'associe avec l'interdiction de séjour selon l'origine géographique des personnes pour prévenir leur retour sur les lieux de l'infraction.

Vient ensuite la question des temps entre les interpellations et les gardes à vue. Je n'ai pas de statistiques sur les interpellations car elles ne sont pas tenues par le ministère de la justice. En revanche, nous avons des éléments sur le nombre de gardes à vue. Lorsqu'une personne est interpellée, elle est présentée à un officier de police judiciaire, qui décide ou non du placement en garde à vue. Cette phase n'est pas sous l'autorité du procureur. À partir de là, le procureur apprécie les suites à donner en fonction de la qualité des procédures et des éléments recueillis. Cette qualité repose sur la légalité externe, mais aussi sur les preuves réunies quant à la commission d'infraction. On peut avoir plusieurs grilles de lecture du même phénomène. Si les parquets considèrent parfois qu'un certain nombre de gardes à vue doivent être levées, ils jouent leur rôle. C'est plutôt un signe de bon fonctionnement de notre système de séparation des pouvoirs entre les services de police et l'autorité judiciaire, chacun exerçant la mission qui est la sienne.

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