Je voudrais d'abord préciser que je suis un simple spectateur des faits intervenant sur la voie publique et que tout ce que je dirai aujourd'hui n'engage que moi. Le passé, le ressenti et l'expérience des journalistes de terrain sont vraiment propres à chacun.
J'ai 32 ans et je suis street reporter depuis 2019. J'ai eu la chance de couvrir des conflits et des mouvements sociaux à travers le monde, à Hong Kong, en Colombie, en Catalogne, en Ukraine. J'ai aussi exercé en France où j'ai couvert la mobilisation des gilets jaunes, les manifestations contre la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés ou encore celles contre les bassines de Sainte-Soline. Je tiens à préciser que je n'ai pas suivi d'école de journalisme ou audiovisuelle. Je suis autodidacte et je me suis formé en m'inspirant du travail des autres reporters sur le terrain.
Comme beaucoup, c'est par conviction démocratique et par attachement à la liberté d'expression que, lors du mouvement des gilets jaunes, j'ai saisi mon téléphone et j'ai commencé à filmer une simple manifestation à Montpellier en septembre 2019. Dans un monde où l'information est omniprésente, il est essentiel de garantir une pluralité de points de vue, surtout à l'heure où la concentration des médias est de mise. Les street journalistes incarnent des valeurs fondamentales de transparence et d'intégrité en se détachant des influences politiques, économiques et idéologiques. Ces journalistes indépendants s'efforcent de livrer une information objective et équilibrée. Ils mettent un point d'honneur à rester fidèles à leur mission première, servir l'intérêt général en rapportant des faits sans déformer et sans spéculer. Les reporters indépendants jouent aussi un rôle crucial dans notre société démocratique en exposant les abus, en donnant une voix aux sans-voix, en stimulant le débat public. Ils remplissent une fonction de contre-pouvoir, de gardien de la démocratie et de la liberté d'expression.
Cette contribution est d'ailleurs reconnue par le schéma national du maintien de l'ordre. Je voudrais citer le point 2.2 en page 16 : « La présence des journalistes lors des manifestations revêt une importance primordiale. Elle permet de rendre compte des opinions et revendications des manifestants et de la manière dont elles sont exprimées, ainsi que de l'intervention des autorités publiques et des forces de l'ordre. Il est donc impératif de protéger le droit d'informer, pilier, comme le respect de l'ordre public, de notre démocratie. À cet égard, la sécurité physique des journalistes doit être garantie ».
En dépit de cet engagement, je constate avec regrets que la France est en vingt-quatrième position dans le classement mondial de la liberté de la presse. Permettez-moi, à cet égard, de citer un extrait du rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse en France à propos du maintien de l'ordre : « En dépit de l'adoption d'un nouveau schéma national du maintien de l'ordre plus respectueux de la liberté de la presse, les reporters vont continuer à faire l'objet de violences policières, en plus des agressions de la part des manifestants ». À l'appui de ce constat, je ne prendrai qu'un exemple parmi d'autres : celui de la journaliste récemment étranglée à Marseille par un membre des compagnies républicaines de sécurité à la vue de sa carte de presse.
Ainsi, en dépit des engagements pris dans le schéma national du maintien de l'ordre, les journalistes et les reporters sont régulièrement confrontés, lors des manifestations en France, à d'importantes difficultés pour accomplir leur mission dans les meilleures conditions. Je ne compte plus le nombre de fois où, avec mes confrères, nous nous sommes trouvés en difficulté face aux policiers lors de manifestations. C'est un point qui me tient à cœur et j'espère pouvoir en discuter avec vous.