Je remercie le président Pierre Henriet de me donner la parole maintenant car je dois regagner la commission des finances du Sénat pour y présenter un rapport sur la formation continue des enseignants. Je ne peux pas manquer à cette obligation.
Ce que je vais dire est très bref. D'abord, l'urgence du texte à venir est le respect que nous devons aux salariés des organisations concernées, de l'IRSN et de l'ASN, ainsi que le respect que nous devons aux entrepreneurs, au sens large, du nucléaire. Il se trouve que le Gouvernement – sur ce point je le soutiens – a décidé de relancer le nucléaire, qui ne se réduira plus à un face-à-face entre, par exemple, EDF et le CEA, mais conduira à un débat très large, avec un exploitant national qui bénéficie d'une expérience considérable, mais aussi des acteurs nouveaux qui sont soit des techniciens, soit des scientifiques, soit des industriels, soit des investisseurs. Ils ont besoin de savoir dans quelles conditions ils peuvent présenter des projets et qui sera l'évaluateur de leur projet, celui qui donnera le bon à tirer.
Dans les deux cas, respect des salariés et respect des investisseurs, on ne peut pas faire traîner indéfiniment une affaire qui date de 1973 – excusez du peu ! – si nous ne voulons pas prendre du retard dans la compétition pour l'énergie décarbonée et si nous voulons préserver le moral des troupes.
Votre rapport est très utile parce qu'il tord le cou d'un canard qui survit depuis 50 ans. C'est en 1973, en réalité d'ailleurs en mars 1974, un mois avant la mort du président Pompidou, que Pierre Messmer présente un projet d'énergie nucléaire en l'adossant sur un processus technique commercialement éprouvé. Il ne le choisit que pour des raisons commerciales. Le réacteur Westinghouse à eau pressurisée n'est pas un choix technologique spectaculaire, il n'est pas innovant. Il est simplement sécurisant, à un prix déterminé.
La France s'était déjà engagée dans la construction de réacteurs – vous avez cité Chinon – avec des réacteurs graphite-gaz. La filière graphite-gaz reposait sur une technologie extrêmement astucieuse, parfaitement maîtrisée par EDF et par le CEA, mais qui était déraisonnable sur le plan économique. EDF a donc choisi une filière – imaginez le contexte des années 1970 – parfaitement américaine, parfaitement internationale, en théorie non française mais en réalité très largement francisée, contre la volonté du CEA qui a toujours été une maison aux convictions très fortes.
Pour l'anecdote, c'est quand même la seule structure comportant à la fois un Haut-Commissaire et un administrateur général, les deux étant différents parce que – je le dis à notre jeune collègue qui a des convictions affichées et affirmées – notre nucléaire est né d'une alliance objective entre les communistes et les gaullistes : les communistes parce qu'il se trouve que les physiciens, Joliot-Curie par exemple, étaient plutôt de cette orientation dès 1939, et la dimension militaire se méfiait évidemment du monde soviétique.
Je ferme cette parenthèse pour dire que vous tordez le cou à ce vieux canard qui a abouti à faire coexister deux systèmes d'analyse pour la seule raison qu'il fallait sauver l'image du CEA, alors que les ingénieurs des Mines qui structurent le ministère de l'industrie avaient la ferme intention de contrôler le dispositif industriel, ce qui n'est pas complètement anormal, et non pas un dispositif scientifique, puisque la technologie retenue était complètement évaluée sur les plans technique et industriel.
Je trouve que votre valeur ajoutée la plus forte est l'idée de concomitance. C'est une idée extrêmement judicieuse. Les autorités ne sont pas irresponsables : le collège prendra une décision et aura l'obligation, sous le contrôle du Parlement à travers l'Office, de la justifier d'une façon concomitante, par toutes les informations dont il bénéficiera, qu'elles proviennent de l'expertise interne du nouvel organisme, de l'expertise externe nationale ou de l'expertise externe internationale.
On imagine bien, par exemple, que les tenants des réacteurs à neutrons rapides et à sels fondus défendront leur acte de foi. Ils n'ont simplement aucune expérience à faire valoir. Il faudra que l'autorité de sûreté dise, compte tenu de ces différentes expertises : « Voilà la décision que je prends. » La décision sera peut-être d'autoriser, sous réserve de…
La compétence publique sera rassemblée sous une seule voix. Les compétences extérieures seront sollicitées et le collège décidera, en mettant à côté de sa décision les expertises dont il s'est nourri. Je trouve cela assez intelligent.
L'urgence est donc le respect du personnel et l'obligation de ne pas rater l'essor du nouveau nucléaire. Personnellement, je vais essayer de ne pas rater mon dernier rapport budgétaire sur la formation continue des enseignants, sujet sur lequel je suis intarissable.