Intervention de Jean-Luc Fugit

Réunion du mardi 11 juillet 2023 à 13h35
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Fugit, député, rapporteur :

Je sais que ce n'est pas un exercice facile mais je pense très sincèrement qu'il faut voir ce travail et ce rapport en essayant, non d'oublier le passé, mais de sortir de la période de débat à l'Assemblée nationale autour du projet de fusion.

La commission des affaires économiques du Sénat a saisi notre Office, nos trente-six membres. Je pense qu'il faut s'en tenir à cela. Nous avons travaillé en essayant de bien comprendre le sujet et nous sommes arrivés à ces propositions.

Par ailleurs, je voudrais vraiment rappeler qu'il a existé un « avant ASN/IRSN » puisque l'un a été créé en 2001 et l'autre en 2006, tandis que le plan Messmer date de 1973-1974 et que le programme nucléaire a commencé encore avant. La première construction à Chinon a été lancée en 1957, le premier réacteur en 1963-64. Il a donc existé un « avant ».

Ce n'est pas que nous voulions à tout prix qu'il existe un « après ». Nous pensons qu'à partir du moment où un choix politique fort a été fait dans le pays – qu'on peut ne pas partager – consistant à s'appuyer sur les énergies renouvelables et nucléaire pour sortir progressivement des énergies fossiles, l'activité autour du nucléaire prendra de l'ampleur.

Pensons à tous les enjeux, au mur des défis que nous avons devant nous. Nous en avons rappelé une dizaine dans le rapport et nous en avons probablement oublié. J'en ai rappelé quelques-uns dans mon intervention, comme l'adaptation au changement climatique, la prolongation des centrales actuelles, le nouveau nucléaire, le nombre d'exploitants qui évoluera, etc. On ne peut pas passer sous silence ce contexte. Il n'est plus le même qu'avant. Il faut l'accepter.

Je voulais aussi rappeler – j'ai parlé de « tordre le cou à des idées reçues » –qu'à l'époque du débat nous étions tous un peu tombés dans la caricature lorsqu'on nous disait que l'ASN est l'autorité indépendante et que l'IRSN est l'organisme qui fait les expertises pour l'ASN. C'est à la fois vrai et faux ; l'autorité indépendante est bien l'ASN mais elle a aussi 200 experts qui alimentent ses propres décisions. Il existe donc déjà des experts travaillant, au sein d'une autorité indépendante, avec le collège qui rend des décisions.

Il n'est pas faux non plus de dire que seule une partie du travail de l'IRSN est orientée vers la sûreté nucléaire. En disant cela, on ne dit pas que tout va bien à l'ASN et tout va mal à l'IRSN, pas du tout. Nous posons simplement des éléments de réflexion.

Il nous semble que, face aux défis qui se présentent, il faudrait faire évoluer ce système ternaire : exploitant - ASN - IRSN. Un système ternaire est un système de trois systèmes binaires. Nous pensons qu'il vaut mieux avoir un système binaire unique entre l'exploitant principal et une autorité indépendante où l'on retrouve les experts, le contrôle, etc. d'autant plus que, face à cette autorité, d'autres exploitants apparaîtront bientôt, à côté d'EDF.

Dire tout cela, ce n'est pas montrer du doigt certaines personnes qui travaillent à l'IRSN ou ailleurs, en disant qu'elles font mal leur travail. Nous avons simplement acquis la conviction qu'il fallait aller vers une nouvelle organisation. Ce rapport ne répond pas au Gouvernement, il répond à la commission des affaires économiques du Sénat. C'est au sein du Parlement que ce rapport vous est présenté.

J'ai beaucoup discuté avec mon collègue et ami Stéphane Piednoir. Nous avons acquis tous deux la conviction, que nous n'affirmons peut-être pas de manière suffisamment claire, qu'il faut une réorganisation. Sur la temporalité, c'est maintenant et non dans dix ans. Nous pensons que cette réorganisation doit débuter assez rapidement, justement parce qu'elle ne se fera pas en claquant des doigts.

Comme je le disais tout à l'heure, il faut sortir du monde Twitter. Nous ne sommes pas dans un monde Twitter mais dans un monde où il faudra du temps, plusieurs mois. Nous pensons que, si quelque chose doit être fait, il ne faut pas tarder à le lancer. Il faut se donner une perspective et, ensuite, imaginer la montée en puissance et l'organisation.

Se posent à la fois une question de gouvernance et une question de transparence. Nous pensons que notre rapport, modestement, participe de cette transparence et que tout ceci doit se faire en transparence. La dernière recommandation, au sujet du texte « débattu », est claire. C'est un message que nous envoyons en particulier au Gouvernement. Oui, nous pensons qu'il faut un texte dédié à ce sujet. Nous l'assumons.

J'ai noté ce que disait tout à l'heure Laure Darcos au sujet des CLI. Les CLI bénéficient aujourd'hui d'un financement au travers de l'ASN. Si nous avons une autorité indépendante encore plus forte, il n'y a aucune raison qu'elle ne continue pas à bien travailler avec les CLI. J'ai noté qu'il faut de l'information grand public et, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, nous pensons qu'il faut beaucoup de transparence, parce qu'encore une fois il faut tordre le cou à certaines idées reçues sur ces sujets.

J'insiste sur le fait que l'IRSN n'est actuellement pas un organisme indépendant. Il dépend de cinq ministères ! Au contraire, le rapprochement que nous proposons d'une partie de l'IRSN avec l'ASN, pour créer une nouvelle entité, est plutôt une bonne chose en matière d'indépendance, puisque cette autorité ne serait pas directement dépendante d'un ministère.

Sur les CLI, comme je le disais, je pense qu'il n'y a aucune raison que cela ne fonctionne pas à l'avenir aussi bien et encore mieux. Je rêve peut-être un peu mais, après tout, quand on est à la fois scientifique et membre de l'Office, on a le droit de rêver en se disant que si on explique sincèrement tous ces sujets à nos concitoyens, ils seront plus nombreux à les comprendre, ce qui permettra peut-être de tordre le cou à certaines idées reçues, voire à des fake news, comme on dit.

D'une manière générale, je pense que la plupart de nos concitoyens comprennent les sujets quand on les leur explique. C'est comme nous : quand on nous explique, nous comprenons. Sur les enjeux de l'énergie en général et du nucléaire en particulier, de la sûreté et de la sécurité, il est vraiment important de donner beaucoup d'explications, de faire la lumière.

Par rapport à ce que disait Philippe Bolo, nous pensons en effet qu'il faudra augmenter l'effectif des personnes dédiées aux activités de la sûreté nucléaire civile, concomitamment à l'évolution de la gouvernance. Cela signifie que nous pensons qu'il faut progresser.

Je ne sais pas si vous avez eu le temps de lire le rapport. L'Agence France-Presse ne l'a pas indiqué dans son communiqué, mais il n'est pas inintéressant de noter que le nombre de personnes dédiées à la sûreté nucléaire, ramené au nombre de réacteurs, est dans d'autres pays largement supérieur au nôtre. Nous avons donné des exemples très précis, ce qui permet de constater qu'il n'y a pas pléthore de personnels travaillant sur la sûreté nucléaire en France.

Peut-être une réorganisation permettra-t-elle de faire mieux par rapport à tout ce qui se prépare. Imaginez un instant la charge de travail qui va arriver. Nous pensons qu'il faut une réorganisation transparente, claire, sans montrer du doigt les gens et, probablement, avoir plus de personnes dédiées à la sûreté nucléaire. Nous n'avons aucune intention de nuire à qui que ce soit avec ce rapport.

Vous nous dites que nous n'avons pas examiné toutes les conséquences, c'est vrai mais ce n'était pas l'objet de la demande de la commission des affaires économiques du Sénat. En revanche, un éventuel projet de loi devra évidemment s'accompagner d'une étude d'impact qui regardera ces aspects. Je crois que nous serions unanimes autour de la table pour dire que ce serait largement nécessaire. C'est ce qui nous a manqué à l'époque du dépôt d'un amendement par le Gouvernement.

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