Intervention de Jean-Luc Fugit

Réunion du mardi 11 juillet 2023 à 13h35
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Fugit, député, rapporteur :

Le contrôle de la sûreté nucléaire en France a désormais une longue histoire et, au regard de celle-ci, les structures actuelles sont relativement récentes. Elles ont une vingtaine d'années. Nous avons retracé dans le rapport l'évolution qui a abouti à leur mise en place au début des années 2000 : en 2001 pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous l'autorité de plusieurs ministères, et en 2006 pour l'ASN, autorité indépendante du gouvernement.

Pour le dire de manière schématique, l'exploitant est responsable de la sûreté de ses installations, conformément d'ailleurs à l'article 9 de la Convention internationale sur la sûreté nucléaire. L'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, définit la réglementation s'appliquant aux installations et accorde l'autorisation de les mettre en service ou de prolonger leur utilisation. Pour ce faire, l'ASN s'appuie à la fois sur ses propres équipes d'expertise et sur les services d'expertise de l'IRSN, qui y consacre une partie de ses ressources.

En effet, nous tenons à rappeler que l'IRSN est également chargé du suivi de la radioprotection des personnels navigants de l'aviation civile, du contrôle des appareils utilisés par les cabinets de radiologie et que ses attributions s'étendent jusqu'à la mise en œuvre par la France de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Voici quelques exemples des activités de l'IRSN, en complément de son travail sur la sûreté nucléaire.

Pour en revenir à la sûreté nucléaire, le triptyque exploitant - autorité de contrôle - institut d'expertise a plutôt bien fonctionné depuis 2006, date de la création de l'ASN. La législation alors adoptée a porté ses fruits.

Dix-sept ans plus tard, le paysage industriel nucléaire français est cependant au seuil d'un bouleversement puisque, après de longues années de simple gestion du parc existant, de nouveaux et nombreux défis se dressent devant nous tels que la poursuite de l'exploitation du parc existant, son adaptation aux impacts du changement climatique mais aussi le déploiement d'une filière EPR 2 et l'apparition de nombreuses innovations autour des petits réacteurs comme les SMR (small modular reactor). Ces projets ne sont d'ailleurs pas seulement le fait d'EDF, l'exploitant historique comme on l'appelle parfois. Le tissu très dense des start-up se révèle aussi particulièrement actif en ce domaine. Demain, la sphère de contrôle devrait donc se trouver confrontée à une multitude d'acteurs privés.

Une optimisation de l'organe de contrôle est-elle envisageable dans ce contexte de relance du nucléaire ? Serait-il possible de maintenir ce haut niveau de sûreté dans un cadre institutionnel différent ? Telles sont les questions que nous nous sommes posées.

Michaël Mangeon, historien du nucléaire, nous avait déclaré au mois de février dernier : « Toute décision de réforme du système a un impact direct ou indirect sur la sûreté nucléaire et doit être analysée en profondeur. » Nous nous sommes donc efforcés d'aller au fond des choses pour comprendre de manière approfondie le fonctionnement concret de la sûreté nucléaire.

Nous avons ainsi pu revenir sur quelques idées reçues. La présentation schématique que je vous faisais à l'instant ne se réduit justement pas à une distinction entre l'ASN et l'IRSN. Dans la gestion ordinaire de la sûreté nucléaire, les liens de travail sont très forts entre l'ASN et l'IRSN. Les équipes des deux organismes travaillent ensemble, le plus souvent en mode projet, au pied du réacteur comme on dit parfois. Nous avons pu nous en rendre compte lors d'une visite de la centrale de Chinon. Loin de distinguer de manière rigide l'expertise et la décision, comme l'approche institutionnelle pourrait en induire l'idée, nos interlocuteurs ont quasi unanimement souligné l'existence d'un continuum entre ces deux activités. On pourrait le résumer en disant que l'arbre de la séparation structurelle ne doit pas cacher la forêt de la coopération quotidienne.

Il faut aussi tordre le cou à une autre idée reçue, celle qui voudrait qu'en rapprochant l'ASN et l'IRSN l'expertise préalable à la décision ne serait plus visible du grand public, en un mot que la transparence de l'information en matière de sûreté nucléaire ne serait plus aussi élevée. Sur ce point, toutes les personnes auditionnées ont été très claires : il convient de maintenir une publication des rapports d'expertise, en particulier ceux sur lesquels s'appuient actuellement les décisions de l'ASN, autorité indépendante. C'est aussi notre avis. Émanant de deux institutions différentes, cette publication a pu donner lieu, par le passé, à quelques cafouillages de communication. La réorganisation envisagée éviterait probablement la survenance de ces problèmes.

Dans le cadre d'une éventuelle réorganisation, la séquence expertise - recommandation de l'autorité indépendante - décision politique continuerait d'être parfaitement respectée et serait toujours aussi lisible pour les observateurs avertis comme pour le grand public. Nous rappelons qu'au sein de l'ASN le collège décisionnaire fonctionne déjà de manière autonome par rapport aux services d'expertise internes. Le cloisonnement entre expertise et décision est donc déjà garanti au sein de l'ASN actuelle.

La réorganisation n'aurait cependant pas de sens si elle revenait à ériger une nouvelle muraille de Chine, en faisant de ce cloisonnement quelque chose de trop rigide. Au contraire, à l'aube d'un renouveau nucléaire dans notre pays, c'est une longue marche vers la fluidification qui nous paraît nécessaire. À nos yeux, le processus s'enclencherait de lui-même si une entité unique et indépendante de sûreté nucléaire regroupant le contrôle et l'expertise devait voir le jour. C'est une conviction que nous partageons tous les deux.

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