Il n'y a pas de connexion particulière entre les groupes ayant des opinions et des enjeux divers, mais des effets d'opportunité et d'aubaine. Les seuls opérateurs structurés sont les éléments criminels et les trafiquants de drogue, qui ont encore besoin de maintenir un certain nombre de points de distribution et le contrôle de ces points. Le contrôle de la distribution justifie la disponibilité d'armes de guerre, que l'on n'a toujours pas vu sortir dans la réalité cependant, malgré quelques tirs ici ou là. Paradoxalement, le trafiquant de drogue est à la fois un élément perturbateur et un élément régulateur de son environnement.
En revanche, ces groupes recrutent : on a vu arriver des yellow blacks. Certains Gilets Jaunes ont pu ainsi estimer que les modes d'action des black blocs étaient pertinents et qu'ils pouvaient répondre à un certain nombre de préoccupations sociopolitiques permettant une politisation. Il existe des espèces d'accords provisoires, jusqu'au moment où le plus fort et le plus armé explique qu'il faut passer à autre chose.
Le schéma national du maintien de l'ordre n'a pas changé. Mais son application est modifiée selon les préfets qui le mettent en œuvre. Il est en réalité extrêmement adaptable et flexible. Il prend en compte des problématiques spécifiques. Pour ma part, j'ai été un militant de la dissolution du peloton de voltigeurs motorisés. Historiquement, il s'agissait d'un système artisanal, opéré par des amateurs, des duos de motards et de moniteurs d'éducation physique armés d'un « bidule », qui s'est terminé tragiquement dans des conditions insupportables. Après la fin des pelotons de voltigeurs motorisés, un colloque a été organisé par la préfecture de police de Paris sur le thème « Et après ? ». L'absence de doctrine, d'imagination et de volonté, malgré ce qui s'exprimait au niveau local, y compris par la hiérarchie de la préfecture de police, a conduit mécaniquement à une incapacité d'adaptation des responsables du maintien de l'ordre à la pratique de ceux qui créent le désordre. L'idée même d'avoir des unités mixtes de police judiciaire et de sécurité publique était probablement ce que l'on pouvait faire de mieux. Pour la première fois, on remettait de la procédure dans les opérations au lieu de l'employer a posteriori.
La perte des secrétariats aux procédures, la perte de dimension, d'intensité, de qualité, d'efficacité des métiers de police judiciaire de proximité a conduit à la déperdition d'un certain nombre de modes opératoires et de gestes professionnels. Cette déperdition n'a pas facilité les choses, surtout quand on ne fait plus face à des professionnels de la manifestation qui en connaissent les règles et les usages.
Je suis d'accord avec Me Laurent-Franck Liénard pour dire que la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique est inutile et complexe. En revanche, la véritable faille est constituée par la circulaire de la direction générale de la police nationale, surtout quand on la compare avec celle de la direction générale de la gendarmerie nationale. Cette dernière est protectrice des droits, explique la légitime défense et la concomitance, quand la première est mal rédigée. La direction générale de la police nationale devrait effectuer un effort pour améliorer la rédaction de sa circulaire, en lien avec des opérateurs de terrain. Je rappelle que l'on a pu dire aux policiers que le refus d'obtempérer ouvrait le droit à tirer, au moment de l'interprétation de la loi.
Le schéma national du maintien de l'ordre est moins un problème en soi qu'une difficulté d'adaptation aux réalités du terrain. Lorsque la manifestation est tranquille, le maintien de l'ordre l'est tout autant. Ce n'est pas le maintien de l'ordre qui crée le désordre. Mais il existe un véritable problème sur les manifestations interdites. Au-delà, il faut cerner les options mises en œuvre par l'État : soit il considère que le droit de manifester est supérieur à beaucoup d'autres, en tant que droit constitutionnel ; soit il considère qu'il faut interdire certaines manifestations et, dans ce cas, il utilise les moyens adaptés à cette interdiction. L'écueil est qu'il est souvent dans l'entre-deux.
S'agissant des violences liées à la défense de la cause environnementale, la première zone à défendre était le Larzac dans les années 1970. Notre-Dame-des-Landes a été une grande répétition générale qui a duré : l'État a tergiversé longuement, y compris à l'égard des référendums locaux et de la position des habitants. Il y a eu une déperdition de l'autorité de l'État.
Le phénomène n'est pas nouveau et n'est pas la poursuite de la politique par d'autres moyens, au contraire. Pendant longtemps, sur le modèle allemand, les représentants politiques de l'écologie ont choisi de devenir des opérateurs du système politique, ayant des élus et des ministres. Ils essayaient justement de supprimer la partie la plus violente de l'activité de désobéissance civile, qui n'avait jamais été particulièrement tranquille en France : les processus issus du Mahatma Gandhi ou de Martin Luther King ne sont pas des produits nationaux.
Une partie du problème est provenue de l'expérience des Gilets Jaunes qui a conduit certains à considérer que la casse assure l'écoute. Une partie des dirigeants des Verts est probablement préoccupée, d'autant qu'un de leurs chefs a été considéré comme un « collabo » par l'aile la plus militante des organisateurs des manifestations de Sainte-Soline. Je pense qu'il faudrait plutôt aider les politiques à reprendre le contrôle de leurs franges les plus dures. Malheureusement, à Saint-Brévin comme ailleurs, nous assistons à des phénomènes d'extrême violence qui peuvent aboutir à des tentatives d'assassinat. Par conséquent, les enjeux essentiels portent sur la reprise en main des éléments le plus extrémistes qui considèrent la politique hors d'état de répondre, et la violence une réponse à une partie des questions auxquelles ils pensent que l'État ou les élus ne se posent plus. La perte de confiance envers le monde politique, le monde médiatique et le monde universitaire est patente. Les élus locaux permettaient encore de tenir une partie du sujet, mais ils ne sont plus épargnés non plus désormais.
Il existe un problème de croissance du niveau général de violence dans la société et pour une partie d'entre elle, notamment sur la question environnementale, un sens de l'urgence et du besoin. Cette urgence passe par des opérations de sabotage et la violence, comme s'il s'agissait là du dernier outil à disposition. Il est donc difficile d'établir un dialogue avec ces militants extrêmes. Ils vous expliquent pourquoi l'extrême est devenu la manière ordinaire de manifester : « on n'a plus le temps de faire autre chose ».
Tout mouvement social accouche d'une génération radicale, d'une avant-garde violente et parfois d'actions qui reposent sur la terreur. Il y a là malheureusement une tradition partagée par la plupart des pays qui les ont connus. Cela a pu s'appeler, dans les années 1970, « les années de plomb » ou la « stratégie de la tension ». Ce phénomène existe et il ne faut pas le sous-estimer ; il se diffuse aujourd'hui sur la question environnementale comme cela a pu être hier le cas pour des motifs sociaux, industriels ou politiques.