Nous avons en Inde un attaché de défense, deux attachés de défense adjoints et deux attachés d'armement. Cette mission de défense (MDD) est donc plutôt bien dotée, avec un large périmètre et une forte activité. Le travail ne manque pas en Inde, tant à l'échelon de la comitologie que des grands rendez-vous opérationnels.
S'agissant du dimensionnement multilatéral de la diplomatie indienne, je citerais en particulier le Raisina Dialogue qui se tient chaque printemps en Inde. Dans le cadre de cette plateforme de discussion tant régionale qu'entre l'Indopacifique et l'Europe, les Indiens, les représentants des pays de la région et des pays européens sont amenés à discuter, lors de tables rondes et, comme c'est souvent le cas dans les sommets, dans les couloirs, des sujets qui les intéressent. L'an dernier et cette année, le dialogue entre l'Europe et l'Asie du Sud, que l'Inde animait, portait notamment sur la question de savoir en quoi la guerre en Ukraine concerne les Asiatiques et en quoi le risque d'une crise dans l'Indopacifique concerne les Européens.
L'attitude indienne en cas de conflit régional, par exemple dans le détroit de Taïwan, est une inconnue. Au cours des dernières années, la vision stratégique de l'Inde semble opérer un glissement progressif. Les autorités indiennes font valoir plus clairement leur appréciation des priorités stratégiques de l'Inde, au premier rang desquelles figure la Chine. Une bonne part des partenariats noués par l'Inde sont donc pesés, évalués et menés à l'aune de ce qu'ils peuvent lui apporter dans la défense de sa souveraineté y compris dans cette relation avec la Chine. C'est pourquoi la progression plus ou moins continue du rapprochement avec les États-Unis est si importante comme l'a montré le récent déplacement du Premier ministre indien aux États-Unis.
S'agissant des partenariats avec les autres pays européens, ils ont leurs priorités propres, qui tiennent aux motivations de ces pays. Les Allemands construisent ou reconstruisent une présence et une stratégie en Indo-Pacifique. L'Inde étant identifiée par les Européens comme un relais, un point d'appui et un partenaire, tous ont l'intention de développer des relations avec elle.
Le Royaume-Uni tente, dans le contexte de sa réorientation d'après-Brexit, de poser des jalons pour le logiciel Global Britain, et l'Inde fait partie de ses priorités.
S'agissant du minilatéralisme, la France est partenaire ad hoc de certains formats. Nous regardons ce que font le Quad, l'Aukus et, globalement, les diverses couches de l'architecture de sécurité collective de la région, dont font partie ces formats minilatéraux. Comme l'Inde, nous évitons, par prudence, de privilégier des formats trop exclusifs susceptibles de donner corps à une logique de blocs. Adoptant une approche que l'on pourrait qualifier de légitimiste, nous cherchons à renforcer les architectures de sécurité régionales animées par les acteurs de la région, au premier rang desquelles l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), en considérant que tout ce que fait l'Asean pour renforcer la stabilité de ce que la députée Galzy a appelé le pôle oriental est bon à prendre. La position de la France est bien de contribuer, avec l'Inde, aux formats existants et à l'appropriation collective par les États de la région.
S'agissant de la coopération avec l'Inde dans le Pacifique Sud, par-delà la mer de Chine méridionale, son développement est à l'étude. L'Inde a aussi intérêt à la stabilité de ce pôle oriental.
S'agissant du risque d'appropriation de technologies, il est permanent et touche tous nos partenariats indépendamment de notre relation avec l'Inde. Il ne faut pas pour autant renoncer à la coopération et aux demandes du partenaire. Dans le cadre de l'initiative Make in India, le ministre de la défense, le ministre des affaires étrangères et le Premier ministre insistent sur la localisation. Lors de la visite de Narendra Modi aux États-Unis, l'un des projets phares était la localisation d'une usine de moteurs pour aéronefs.
La localisation est l'un des critères de compensation industrielle dans les contrats d'armement. Tel était le cas lors de la négociation du contrat Rafale. S'il a fallu des années pour la conclure, c'est en partie en raison des discussions sur le niveau de localisation et le choix du partenaire local qui étaient des questions essentielles pour les Indiens. Nous entretenons un dialogue permanent. Le risque de prédation technologique, par nos concurrents comme par nos partenaires, est réel, avéré et permanent. Il ne justifie pas une approche spécifique à l'Inde, mais plutôt une compréhension des enjeux, notamment la volonté légitime de Narendra Modi de développer l'autonomie stratégique de son pays, donc son industrie de défense.
S'agissant de la fiabilité de notre partenariat avec l'Inde en cas de crise régionale qui nous affecterait, il faut travailler avec l'Inde en termes de prospective et développer les canaux nous permettant de saisir l'évolution intérieure du pays et ses priorités. Même si la relation de défense n'est pas directement concernée par les soubresauts de la vie politique interne, elle s'inscrit dans une relation générale que nous prenons en compte.
Pour comprendre l'Inde et pour y mener une diplomatie efficace, il faut la connaître, ce qui suppose un effort d'entretien de l'expertise et des contacts. La représentation nationale peut jouer un rôle dans l'entretien de ces filières d'experts, des dialogues et des échanges au niveau des députés, des professeurs et des étudiants. Il s'agit d'un travail de long terme, difficile mais nécessaire.