J'évoquerai d'abord ce que nous faisons en matière de coopération, puis les difficultés que nous rencontrons et les perspectives de coopération dans les années à venir, et enfin quelques éléments de géopolitique du point de vue de la marine, en accord parfait avec les propos qui précèdent.
La coopération commence par une excellente relation entre l'amiral Vandier et l'amiral Kumar. Sans cette confiance à ce niveau, les choses avanceraient sans doute bien moins vite, l'administration indienne étant éminemment complexe. Au quotidien, cette relation confiante établie par les deux amiraux au cours de leurs multiples rencontres est très utile.
L' Indian Ocean Naval Symposium (IONS) est emblématique de la coopération entre l'Inde et la France. Il s'inscrit dans la volonté de l'Inde de rayonner vers le sud, à défaut du nord. Ce forum des chefs d'état-major des marines de l'océan Indien, créé par l'Inde en 2008, est sous le spectre des considérations politiques, ce qui permet de parler à peu près à tout le monde. Nous en avons pris la présidence il y a deux ans, après l'Iran et avant la Thaïlande, qui la prendra en décembre prochain.
Pendant deux ans, la France s'est efforcée d'opérationnaliser l'IONS autant que faire se peut. Les Indiens sont reconnaissants de l'effort que nous avons produit. Nous avons fait un exercice avec eux et d'autres nations de l'océan Indien l'année dernière. Nous en ferons un avec les Seychelles et l'Inde à l'automne prochain.
Par ailleurs, de nombreuses réunions ont eu lieu, car l'Inde parle à beaucoup de monde. J'ai eu l'honneur d'organiser à Cochin un évènement avec l'amiral chargé des relations internationales de la marine indienne.
Notre coopération a connu une belle avancée avec l'ouverture d'une ligne sécurisée entre l'état-major ALINDIEN, que nous avons aux Émirats arabes unis, et l'agence de renseignement maritime de l'Inde, pour échanger des informations confidentielles sur le dark shipping. J'y vois une belle preuve de confiance. Sur les questions essentielles de coopération et d'information maritime, nous avons aussi un officier inséré dans leur Information Fusion Center (IFC). Par ailleurs, nous effectuons en Inde de nombreuses escales.
En matière d'opérations et d'exercices, la marine indienne a déployé un avion de patrouille maritime P-8 à La Réunion, ce qui nous est utile, car il s'agit d'une capacité dont nous ne disposons pas en permanence dans cette zone. L'exercice Varuna, mené depuis 1998, nous a permis de voir grandir la marine indienne au fil des ans. Les interactions avec le groupe aéronaval (GAN) sont régulières. La plus récente remonte au mois de janvier, lorsque le GAN était présent au large des côtes indiennes. En tant que marins, nous prenons la mesure du spectaculaire effort de modernisation de la marine indienne, à un rythme certes inférieur à celui de la marine chinoise, mais soutenu. En mars dernier, l'exercice La Pérouse a réuni autour du groupe Jeanne d'Arc les États-Unis, le Canada, le Japon et l'Inde.
Les coopérations d'armement, si elles ne sont pas une responsabilité de la marine, n'en ont pas moins des conséquences sur elle. Vendre des sous-marins Scorpène à l'Inde renforce notre interopérabilité et les occasions de coopérer. Nous attendons dans les mois à venir, voire avant, une décision indienne sur le Rafale Marine.
En matière opérationnelle, nous n'avons pas de liaison de données tactiques (LDT) avec l'Inde. Si nous voulons véritablement mener des opérations du haut du spectre avec les Indiens, il nous faut une capacité d'échanger des données en temps réel entre les navires de combat en mer. À défaut, nous ne pouvons pas nourrir d'ambition sérieuse en matière de missions militaires.
Le troisième axe d'effort consiste à aller vers des formats multilatéraux, pour lesquels les Indiens commencent à manifester une appétence. L'amiral Vandier a évoqué avec son homologue australien le développement de la relation trilatérale entre la France, l'Inde et l'Australie. La marine australienne a parfaitement conscience que nous avons avec la marine indienne, depuis longtemps, une relation forte et solide. Elle souhaite en profiter, ce qui nous permettrait par ricochet de renforcer notre coopération avec l'Australie.
Je formulerai pour finir deux considérations géopolitiques.
D'abord, la France et l'Europe ont un intérêt évident à être présentes dans le nord de l'océan Indien et à sécuriser cette zone. La déclaration conjointe de Rushi Sunak et Emmanuel Macron du 10 mars dernier prévoit la présence de groupes aéronavals européens dans l'océan Indien et la coordination des marines européennes qui s'y trouvent.
Ce point est d'autant plus essentiel que, maintenant que nous n'importons quasiment plus de gaz et de pétrole russes, nos importations énergétiques en provenance du golfe Arabo-Persique sont donc essentielles. Il faut sécuriser ces routes. L'Allemagne, par exemple, a conclu avec le Qatar un accord pour quinze ans. Ces routes maritimes passent par des endroits assez peu fréquentables, tels que le détroit de Bab el-Mandeb.
Sur ce point, nous avons sans doute une convergence d'intérêts avec les Indiens. Il n'en est pas moins difficile de prévoir leur comportement en cas de crise grave dans la zone indo-pacifique. Nous sommes persuadés qu'une crise autour de Taïwan peut avoir un effet dans l'océan Indien.
L'Inde a intérêt à y être présente avec nous. La présence de l'un de ses avions de patrouille maritime P-8 à La Réunion en est un exemple.