Mon intervention a pour objet de vous parler des communautés microbiennes des sols. Elles sont constituées de deux types d'organismes : les organismes dits autotrophes, qui tirent leur énergie de la lumière et utilisent le dioxyde de carbone comme source d'énergie, comme les microalgues et cyanobactéries ; et les organismes dits hétérotrophes, qui se nourrissent de matière organique préexistante – bactéries, champignons et archébactéries. C'est plutôt cette dernière catégorie que nous étudions.
Ces micro-organismes, localisés dans les premiers centimètres du sol, se comptent en millions d'espèces, en milliards d'individus, et représentent la plus forte biomasse des sols, supérieure à celle des invertébrés. On dit que, dans une cuiller à café de sol, on a plus de microorganismes que d'êtres humains sur Terre. Ces micro-organismes assurent des fonctions clés dans les sols dont ils contribuent à la structuration, à la cohésion et à l'aération. Ils en limitent l'érosion. Ils décomposent et minéralisent la matière organique des sols – fonction fondamentale. Ils mettent en œuvre des cycles biogéochimiques, du carbone, de l'azote et du phosphore, ce qui facilite l'assimilation des nutriments par les plantes. Ce sont les principaux acteurs de la dégradation des pesticides et ils contribuent aussi à l'état sanitaire des cultures.
On sait que le labour et l'apport de pesticides sont des facteurs qui peuvent impacter négativement les communautés microbiennes. Lors de la dernière expertise collective de l'Inrae, nous nous sommes rendu compte que l'on avait peu progressé dans la connaissance de l'impact des pesticides sur les communautés microbiennes depuis 2005. Les études disponibles prennent peu en compte les substances actives les plus récentes, les produits de biocontrôle et les produits formulés, c'est-à-dire ceux qui sont commercialisés. La grande hétérogénéité des approches expérimentales et des méthodes de mesure d'impact peut introduire des résultats parfois contradictoires pour une même molécule. On observe également des grandes variabilités de sensibilité, ainsi que des descripteurs qui peuvent être impactés par l'exposition à d'autres types de contaminants ou à des changements globaux comme le changement climatique. De ce fait, on obtient des résultats complexes dont il est difficile de tirer de grandes conclusions. En outre, la faible réglementation des sols implique aussi un suivi assez limité. Cela va peut-être évoluer avec la future directive européenne sur la surveillance des sols.
Mon intervention traitera plus spécifiquement des organismes hétérotrophes. Lorsqu'est appliquée une dose d'herbicide qui correspond à la dose normale d'utilisation, celle qui est homologuée pour le pesticide, on n'observe pas d'effet significatif sur les communautés microbiennes. En revanche, les fongicides peuvent impacter les communautés microbiennes ; nous avons très peu d'informations sur l'impact des insecticides. D'une façon générale, nous disposons de peu d'études en conditions naturelles et nous savons qu'en laboratoire, tout est très simplifié, ce qui implique de manier les résultats avec précaution. Nous savons notamment que les produits formulés ont un impact plus important que les substances actives seules. Nous savons également que les différents contextes pédoclimatiques, le labour, la fertilisation organique, le couvert végétal ont parfois des impacts plus importants que certains herbicides.
Du fait de la richesse des communautés microbiennes, les microorganismes présentent une certaine redondance fonctionnelle, évoquée par Stéphane Pesce la semaine dernière. Ainsi, les fonctions principales de ces communautés ne sont pas significativement perturbées par un apport unique d'herbicide. Cependant, le cycle de l'azote est un cycle très sensible qu'il conviendrait de considérer pour les études ; il pourrait être un marqueur intéressant d'impact des pesticides sur les communautés microbiennes.
Nous avons établi un certain nombre de préconisations. Il faut vraiment essayer d'homogénéiser les approches expérimentales, les méthodes de mesure, et s'appuyer peut-être aussi sur la normalisation de méthodes. Pour les communautés microbiennes, il convient de travailler sur des méthodes un tant soit peu cadrées, qui permettent de comparer davantage les résultats. Nous pourrions utiliser d'autres outils d'écologie microbienne qui ne sont pas encore utilisés en écotoxicologie microbienne, notamment certaines approches employées en toxicologie humaine.
Nous devons travailler davantage sur des expérimentations au champ, dans des conditions réelles ; mieux prendre en compte les facteurs de changement globaux, les produits de transformation, les mélanges ; et associer les études d'impact aux études de dynamique, pour analyser le devenir des pesticides dans le temps. Il faudrait également prendre davantage en compte les fonctions écologiques et écosystémiques des sols, ce qui permettrait peut-être d'identifier des impacts ou des effets délétères sur le long terme.
Comme vous l'avez dit la semaine dernière, il faut multiplier les études au champ, tout en gardant à l'esprit que les résultats des tests chimiques ne rendent pas nécessairement compte de l'exposition réelle des organismes : il existe encore un verrou de recherche pour mieux identifier cette exposition. Il faudrait également pouvoir prendre en compte les transferts de résidus dans les réseaux trophiques, mais aussi le transfert de matériel biologique, de bactéries, voire de gènes de résistance des sols à différents organismes vivants supérieurs. La bioamplification devrait également être davantage étudiée.
Comme je vous l'ai dit, les micro-organismes sont les acteurs majeurs de la dégradation des pesticides. Dans les cas les plus favorables, ils les minéralisent, c'est-à-dire qu'ils les transforment en dioxyde de carbone. Ils peuvent aussi les co-métaboliser, c'est-à-dire les transformer en produits de transformation. Par un troisième mécanisme dit de synthèse, ces produits peuvent être bloqués dans le sol, notamment dans les argiles, ou fixés sur les matières organiques du sol. En fonction de l'évolution de ces sols, de ces matières organiques, ces résidus, qui peuvent être piégés pendant des dizaines d'années, peuvent ensuite relargués, ce qui explique peut-être leur persistance et le fait que des pesticides qui ont été interdits il y a des dizaines années réapparaissent subitement.