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Intervention de Jean-René Cazeneuve

Réunion du mercredi 19 juillet 2023 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-René Cazeneuve, rapporteur :

Je remercie à mon tour les différents contributeurs qui nous ont permis de dresser un constat commun, malgré des analyses et des conclusions différentes.

La présente mission d'information avait pour objectif de répondre à une interrogation assez simple : le constat fait il y a environ quinze ans d'une fiscalité pesant relativement plus fortement sur les petites entreprises que sur les grandes est-il toujours valable ? Dans quel sens a-t-il évolué, le cas échéant, et pour quelles raisons ?

De ce point de vue, le bilan est sans appel : sur les quinze dernières années, contrairement à certaines idées préconçues, toutes les analyses convergent pour montrer que les écarts de taxation entre catégories d'entreprises se sont largement réduits. En 2021, les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises sont de 343,2 milliards d'euros, dont 151,5 milliards d'euros pour la fiscalité directe. Nous avons fait le choix de nous focaliser sur le taux implicite d'impôt sur les sociétés (60 milliards d'euros) pour mesurer l'évolution des différentiels de fiscalité.

Les études de la direction générale du Trésor, du CPO et de l'IPP parviennent toutes à la même conclusion sur la période étudiée (2005-2019) : le taux d'imposition entre PME et grandes entreprises s'est largement réduit dans tous les cas et le taux d'imposition des grandes entreprises a progressé de l'ordre de 5 points. Selon l'étude la plus récente (du CPO, en juin 2023), l'écart de taux implicite des entreprises bénéficiaires entre les PME et les grands groupes s'est contracté à seulement 1,6 point en 2019, contre 9,9 points en 2007.

Ce resserrement n'est pas le fait du hasard. Il est lié à de nombreuses et ambitieuses réformes intervenues depuis quinze ans. En effet, des dispositifs fiscaux légaux concernant notamment les grandes entreprises ont été encadrés et ont contribué au resserrement des écarts de fiscalité : la limitation progressive de la déductibilité des charges financières, notamment par la loi de finances initiale pour 2013 ; l'encadrement des modalités de reports des déficits ( carry back / carry forward ) par les entreprises au début des années 2010 ; le projet BEPS, lancé en 2013 et conduit par l'OCDE, constitué de quinze actions destinées à renforcer la lutte internationale contre les pratiques d'évasion fiscale ; l'évolution du droit fiscal de l'Union européenne, notamment à partir de 2011. Sept directives dites « Dac » sont ainsi venues renforcer le système fiscal européen, en matière d'échange automatique d'informations entre États membres, de lutte contre le blanchiment ou encore d'obligations de transparence pour les entreprises multinationales concernant les déclarations pays par pays.

Par ailleurs, les PME bénéficient d'une fiscalité avec des taux réduits ou des exonérations sur un certain nombre de taxes.

Plus largement, la fiscalité française s'est rapprochée de celle des autres pays européens. Si notre pays reste celui en Europe avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé en 2023, loin du paradis fiscal décrit par certains, il n'en demeure pas moins que la tendance est à la convergence.

Le taux normal d'IS est passé de 33,33 % à 25 % pour se rapprocher de la moyenne européenne. Le bilan comptable de cette réforme est positif : le rendement net de l'IS atteint aujourd'hui des niveaux record, avec 62,1 milliards d'euros en 2022, malgré la baisse du taux. Cette réduction de la charge fiscale a amélioré l'attractivité : pour la quatrième année consécutive, la France est le pays le plus attractif d'Europe pour les projets d'investissements étrangers. Le différentiel de fiscalité, de fait, est quelquefois plus important d'un secteur à un autre, selon le profil d'entreprise au sein d'un même secteur. La corrélation entre la taille d'une entreprise et l'imposition n'est plus aujourd'hui l'élément le plus déterminant.

La question de l'évitement fiscal a bien entendu été traitée dans le cadre de ce rapport. Rappelons à ce titre que la dynamique en matière de lutte contre la fraude fiscale est encourageante : grâce à l'excellent travail de l'administration fiscale et à la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, un montant record de 14,6 milliards d'euros a été récupéré au titre de l'année 2022.

Le plan de lutte contre la fraude, annoncé il y a peu par le gouvernement, traduit notre volonté de renforcer le contrôle fiscal des hauts patrimoines et des grandes entreprises. Augmentation du nombre de contrôles fiscaux, priorité donnée au contrôle des plus grands groupes, hausse des effectifs : jamais autant de moyens et d'ambition n'avaient été mis au service de la lutte contre ces modèles d'optimisation.

Si les études sur lesquelles se base ce rapport pour conclure à la diminution des différentiels de fiscalité entre entreprises ne vont que jusqu'à 2019, il est intéressant de se demander ce qu'il adviendra de ces différentiels par la suite.

Certains éléments pourraient générer une hausse éventuelle de ces écarts : la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés ; l'augmentation des taux d'intérêt depuis l'année 2022, qui aura pour conséquence l'augmentation des charges financières déductibles ; la suppression progressive de la contribution (CVAE), qui doit bénéficier principalement aux ETI, et dans une moindre mesure aux grandes entreprises.

A contrario, d'autres éléments permettent d'anticiper une poursuite du resserrement des différentiels de fiscalité. Je pense notamment aux initiatives en cours issues des travaux de l'OCDE. Le pilier 2, instaurant un taux minimum d'imposition des bénéfices à 15 %, doit être transposé dans notre droit national dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Il convient également d'évoquer la baisse de la contribution foncière des entreprises (CFE), qui devrait bénéficier principalement aux micro-entreprises, ainsi que les mesures récentes en faveur des PME. Le taux réduit de 15 % a été étendu aux entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires n'excédant pas 10 millions d'euros, contre 7,63 millions d'euros antérieurement. Depuis la loi de finances pour 2023, ce taux réduit s'applique désormais à la fraction du bénéfice des PME inférieure à 42 500 euros, au lieu de 38 120 euros précédemment.

La mise en place progressive des directives Dac 6 et Dac 7 instaure respectivement une obligation de divulgation des montages d'optimisation fiscale par les intermédiaires et l'échange automatique de ces déclarations entre les États membres, ainsi que de nouvelles obligations déclaratives pour les opérateurs de plateforme. Je pense donc que nous allons vers un plus grand resserrement, qui se confirmera avec le temps.

Le bilan est positif. Même si ces différentiels se sont considérablement réduits, et même si les efforts d'harmonisation et de lutte contre la fraude fiscale sont au cœur des discussions à l'échelle de l'Union européenne et de l'OCDE, il nous paraît important de rester vigilants. Parce que la fraude et l'optimisation fiscales perdurent et se développent sous d'autres formes, il nous faut amplifier notre lutte contre celles-ci. C'est le sens des douze propositions que nous formulons. Je suis convaincu que les évolutions récentes et à venir en matière de lutte contre l'évitement fiscal et l'optimisation sont à la hauteur de l'enjeu.

Finalement, cette mission d'information permet de rendre justice à des réformes d'ampleur menées ces dernières années aux niveaux international et national, la plupart du temps discrètement sinon dans l'indifférence générale : leur impact sur notre fiscalité des bénéfices a été majeur. En la matière, les pouvoirs publics sont souvent taxés de naïveté, d'aveuglement et d'inaction face aux pratiques des multinationales.

Beaucoup de choses restent à faire et la vigilance et la fermeté doivent être mises en œuvre sans relâche. Mais le constat est en France celui d'une action nationale résolue, volontariste et multiforme depuis une quinzaine d'années pour faire contribuer les plus grandes entreprises à la hauteur de leur profitabilité effective. En matière de lutte contre l'optimisation et l'évasion fiscales, d'imposition minimale et d'égalité des entreprises devant l'impôt, ce rapport montre des progrès importants. Soyons actifs pour les conforter et les amplifier.

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