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Intervention de Thibault de Montbrial

Réunion du jeudi 29 juin 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Thibault de Montbrial, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure :

Il n'existe pas beaucoup de façons d'interdire de manifester. Si l'on considère une interdiction de manifester abusive, comme nous vivons dans un État de droit, on peut la contester devant une juridiction. Et, exactement pour la même raison, l'interdiction de manifester doit être motivée. Il incombe à l'autorité qui l'a prise de détailler de façon convaincante les raisons pour lesquelles elle porte atteinte à la liberté fondamentale de manifester. Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Il faudrait presque interroger les personnes qui sont fondées à prendre de telles décisions sur les critères qu'elles emploient !

J'appelle l'attention de la commission d'enquête sur une difficulté commune aux différents sujets évoqués ainsi d'ailleurs qu'aux affaires de terrorisme. De nombreux éléments sont transmis au ministère de l'intérieur par la voie du renseignement. Ces informations sont recueillies, acquises et transmises, mais pas judiciarisées. Elles ne sont pas inscrites dans un procès-verbal susceptible de figurer dans une procédure judiciaire à l'appui d'une poursuite pénale engagée par le parquet.

Ces notes blanches, ou « blancs », contiennent souvent des informations issues de services partenaires, c'est-à-dire étrangers, qui ont leurs raisons de ne pas vouloir qu'elles apparaissent dans une procédure judiciaire et d'éviter que la défense y ait accès. Donc, on sait mais on a du mal à prouver. En tant qu'avocat, je prends la mesure de cette difficulté. Les préfectures s'y heurtent souvent lorsqu'une manifestation s'annonce qui doit rassembler de nombreuses personnes violentes.

S'agissant des interpellations dites abusives et de la proportionnalité, une constante explique pourquoi il m'a semblé intéressant de faire le lien. Dans les affaires qui nous occupent, caractérisées par des violences contre les personnes et les biens, nous savons, en tant que citoyens et observateurs de la vie publique, que ceux qui s'y livrent tentent de se soustraire à leurs responsabilités. Non seulement ils ne se laissent pas interpeller, mais ils essaient de se dissimuler. Aucun ne donne son nom et son numéro de téléphone avant de se filmer en train de commettre des exactions. Ce sont des gens qui connaissent nos modes de sécurisation de ce genre d'événement et qui s'y préparent en amont. Pour ce faire, ils utilisent de nombreuses techniques qui vont de la dissimulation du visage et des vêtements de rechange à l'utilisation de parapluies et au pré-positionnement de matériel dans le périmètre de la manifestation, parfois plusieurs jours auparavant. Cette façon de faire, soit dit en passant, est l'un des enjeux majeurs de la sécurisation des prochaines Olympiades. Tous ces modes opératoires concourent à empêcher l'identification de ceux qui se livrent à des exactions. En conséquence, lorsque des gens sont arrêtés, avant d'être excellemment défendus par mes confrères que vous avez auditionnés ce matin, ils déclarent tout de go n'avoir rien à voir avec les faits. Et comme c'est à l'accusation qu'il appartient d'apporter la preuve, ce qui est bien normal en démocratie, elle a souvent du mal à le faire.

En effet, comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Quand vous êtes dans un groupe de policiers ou de gendarmes, vous subissez. Vous prenez sur vous. Puis ordre est donné de prendre une mesure tactique, un bond offensif par exemple, pour reconquérir du terrain. À ce moment-là, le premier rang du cortège, composé d'émeutiers qui vous jettent dessus tout ce qu'ils peuvent, déguerpit derrière les véritables manifestants qui, littéralement à leur corps défendant, empêchent les forces de l'ordre de passer, non par malice, mais parce qu'ils sont au mauvais endroit. Ces gens honnêtes reçoivent d'abord de la part des émeutiers qui les bousculent, ensuite de la part de la police qui essaie de faire attention. Certes, ils sont secoués et ne devraient pas l'être, mais il est plus difficile d'esquiver dans la réalité que dans un jeu vidéo.

Quand vous arrivez au contact des émeutiers, vous voulez les interpeller. Cela ne se passe pas comme dans une cour de récréation. L'émeutier n'enlève pas sa cagoule, beau joueur, en comptant les pavés qu'il a eu le temps de lancer. Non, il ne se laisse pas saisir. Il utilise la violence et d'autres accourent pour le dégager. Dans cette mêlée dont témoignent les nombreuses vidéos qui existent, il est difficile de faire la part des choses. Vous saisissez des individus dans la nébuleuse, vous les extrayez de la manifestation et vous les emmenez. Ils sont placés en garde à vue et le parquet se retrouve dans une position difficile car la charge de la preuve incombe à l'accusation. En effet les personnes mises en cause nient et il faut des éléments pour les confondre. Le policier, lui, est entendu huit heures après les faits. Pendant ce temps, il a souffert. Il n'a ni mangé ni bu, il n'est pas passé aux toilettes et il a reçu cinquante pavés. Il devrait parler de celui qu'il a interpellé dans la mêlée à treize heures douze, qui était vêtu de noir comme tous les autres, et qui mesure un mètre quatre-vingt comme la moitié du défilé. Le policier dresse de bonne foi un procès-verbal. Le parquet regrette alors un propos qui n'est pas assez catégorique. Comment pourrait-il l'être ?

Les avocats font leur travail. Je ne les critique pas : il faut simplement comprendre les conditions dans lesquelles chacun intervient. Ils objectent que leur client n'a pas été formellement reconnu et qu'il a déjà passé six ou huit heures en garde à vue. Souvent, il n'est même pas déféré, il est remis en liberté sans attendre. On entend souvent parler du ratio entre le nombre des interpellations et celui des remises en liberté. C'est le signe que le système fonctionne, sans poursuite abusive ni condamnation abusive ! De la même façon, le fait que, beaucoup soient relaxés parmi les déférés est encore un signe à interpréter positivement.

En revanche, il y a une conséquence du point de vue de l'efficacité policière de la sécurisation des manifestations. Lorsque les forces de l'ordre font un bond offensif et qu'elles saisissent une quinzaine de suspects, dont il est clair pour tout le monde que quatorze sont des émeutiers tandis que le quinzième est le proverbial innocent qui ne faisait que passer, les six ou sept heures de leur garde à vue garantissent au moins qu'ils ne sont pas en train de harceler les policiers, de brûler des banques ou de détruire des établissements de restauration rapide. La question de l'interpellation abusive ne peut être abordée, me semble-t-il, que sous cet angle. Il s'agit d'un malentendu entre l'exigence de précision de l'accusation, normale en démocratie, et la quasi-impossibilité pratique d'y satisfaire. Toutefois, si les policiers arrivent, par un bond offensif, une charge ou une action spécifique, à extraire des gens qui se sont montrés violents, quand bien même ils ne parviennent pas à le prouver par la suite, ils ont tout de même concouru à l'objectif final : la sécurisation de la manifestation et la sécurité des personnes qui y participent, qu'il s'agisse des manifestants, par définition pacifiques, ou des forces de l'ordre.

La proportionnalité est une question vieille comme la violence. Elle est inséparable de celle de l'usage de la force légitime, régi notamment par les articles L. 211-9 et L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Certains émeutiers jettent des pavés, des boules de pétanques, de l'acide ou des projectiles agrémentés de lames de rasoir. Début mai, les policiers de la préfecture de police m'ont montré ce qu'ils ont collecté : ce sont des armes par destination, fabriquées pour estropier et dont certaines peuvent tuer. Un sénateur également, qui se trouvait en observateur avec un chef de groupe lors de la manifestation au cours de laquelle mon client a été brûlé, s'est publiquement exprimé sur ce qu'il a vu et ressenti : il n'en revenait pas. Il avait beau connaître cette réalité de l'extérieur, il l'a vécue autrement de l'intérieur.

Comment définir la proportionnalité quand vous êtes victime de ce qui relève objectivement de la tentative de meurtre ? Car si les faits ne sont pas qualifiés comme tels, ils procèdent bien d'une intention homicide. Au demeurant, l'information judiciaire relative aux faits dont a été victime mon client ayant pris feu est ouverte pour tentative d'homicide. Nous verrons si elle le reste, personne n'ayant été interpellé. Mais l'auteur est finalement identifié, le débat sera intéressant.

J'en profite pour soulever une question juridique fréquemment posée : jeter un coquetel Molotov sur quelqu'un, est-ce une tentative d'homicide ? Il me semble que si, un jour, un député devait être victime d'un jet de coquetel Molotov, puisque depuis quelques années vous êtes malheureusement pris à partie violemment jusque dans vos circonscriptions, il semblerait normal au Parlement dans son ensemble d'y voir une tentative de meurtre. Or aujourd'hui, les lancers d'engins incendiaires sur les policiers, hormis quelques cas très particuliers, ne sont pas poursuivis sur cette base.

Je pose la question sans malice, à l'aune de ce qui pourrait se produire : un policier ou un gendarme qui ouvre le feu sur un individu qui lui jette dessus un coquetel Molotov est-il en légitime défense ? Pour ma part, je suis certain que oui. Voir comment les choses se passeraient, en fonction des circonstances, n'est pas dénué d'intérêt.

Ainsi la question de la proportionnalité dans le maintien de l'ordre est-elle complexe. Au moment où les forces de l'ordre chargent, celui qui vient de lancer le pavé n'a jamais rien fait. Au demeurant, les policiers et gendarmes sur le terrain sont quasi unanimement favorables à un maintien de l'ordre bien plus impactant. Si leurs chefs ne vous l'ont pas dit, je me fais leur intermédiaire. Ils considèrent que cela permettrait de régler le problème bien plus rapidement et d'assurer par la suite le calme de la manifestation. D'après eux en effet, dès qu'ils vont au contact, s'agissant en particulier des blacks blocs, c'est la débandade. Les émeutiers ne tiennent pas le choc, au sens propre. Le changement de doctrine qui a eu lieu entre le 1er et le 8 décembre 2018, dans les conditions dont chacun se souvient, avec la création des brigades de répression de l'action violente et des pelotons d'intervention motorisés de la gendarmerie, s'inscrit donc dans une logique rationnelle. Cette évolution n'est pas allée à son terme pour une raison politique, en considération du risque de blesser des gens. Je laisse le problème en suspens en invitant chacun à se demander, sachant ce que les émeutiers font aux policiers, si la force légitime de l'État doit se contraindre à chaque fois qu'elle risque de blesser un peu ceux qui tentent de blesser beaucoup, voire de tuer les membres des forces de sécurité intérieure.

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