Lors de la contestation de la réforme des retraites, le refus de chaque mouvance extrême de laisser la rue à l'autre est l'une des causes du regain de violence que nous avons constaté. J'en vois deux autres.
La première d'entre elles tient au cycle électoral. Dans une démocratie, les périodes électorales sont toujours plus calmes sur le plan des troubles à l'ordre public : aucune réforme n'est engagée et les débats constituent une forme de canalisation des énergies. Six à huit mois après les élections, un effet de déception peut se faire sentir. De surcroît, la violence verbale qui règne dans le débat public, que vous connaissez mieux que moi, peut être interprétée comme une légitimation de l'action violente. Certains propos assez violents, peut-être légitimes en démocratie, expriment une attitude décomplexée à l'égard de la violence. Trois facteurs de violence relèvent donc de ce premier ordre de causes : la réforme des retraites qui a joué le rôle d'élément déclencheur ; un effet de déception à l'égard de la stratégie électorale des partis les plus revendicatifs ; le climat politique ambiant.
J'évoquerai en tant que citoyen davantage qu'en tant que directeur général de la sécurité intérieure la dernière de ces causes, sous la forme d'une question que vous auriez pu me poser : pourquoi l'alliance constatée au début du mouvement des gilets jaunes ne s'est-elle pas reformée, dès lors que les motions de censure déposées par les oppositions ont été votées par les tenants de lignes idéologiques variées et que la réforme ne convenait ni à l'extrême gauche ni à l'extrême droite ? La raison en est, au moins en partie, que la rhétorique et la violence verbale déployées par les oppositions d'extrême droite et d'extrême gauche contre la réforme des retraites étaient différentes.
Quant à savoir si des événements sont susceptibles d'agréger les deux mouvances, je l'ignore. Une motion de censure, par définition, s'inscrit dans le jeu démocratique. En cas d'adoption, les oppositions seraient sans doute satisfaites d'avoir renversé le gouvernement, mais elles ne s'allieraient pas pour autant.
Considérons un instant la situation sociale des deux dernières années. Elle est caractérisée par une crise sanitaire et une inflation inédite à l'échelle de plusieurs décennies. Le litre d'essence se négocie à plus de deux euros ; en dépit des aides du Gouvernement, il est bien plus cher qu'il y a trois ans car il coûtait 1,50 euro au début du mouvement des gilets jaunes. Pourtant, l'explosion sociale redoutée à la sortie du confinement n'a pas eu lieu.
Que le Gouvernement, depuis la crise sanitaire, n'ait pas nié les difficultés mais les ait mises en mots, qu'il ait souligné les efforts demandés aux Français et qu'il ait multiplié les mesures d'aide, a eu un impact indéniable. Cela n'en a aucun sur les quelques dizaines de milliers de personnes décidées à en découdre, mais cela évite qu'elles n'en entraînent des centaines de milliers dans leur sillage comme en 2018.