À la question de la qualification terroriste d'une action violente, légitime en démocratie, je réponds non seulement en praticien, mais aussi comme personne ayant autorité sur le service judiciaire de la direction générale de la sécurité intérieure, amené à travailler sous l'autorité de magistrats.
D'abord, c'est un acte grave de se rendre à une manifestation avec des armes dont tout laisse penser qu'elles ont été fabriquées pour tuer – la sophistication des armes utilisées à Sainte-Soline laisse peu de doutes. Qu'une infraction ne soit pas qualifiée de terroriste ne signifie pas qu'elle est bénigne, ni considérée banale par la justice. L'auteur du triple assassinat dont je parlais tout à l'heure encourt la réclusion criminelle à perpétuité en application d'une infraction de droit commun.
Quant au cadre juridique dans lequel nous agissons, il inclut des dispositions procédurales applicables aux infractions terroristes qui facilitent le travail des services d'enquête, relatives notamment à la durée de la garde à vue. La réflexion sur le cadre applicable à certaines infractions ne signifie pas qu'il faut faire basculer celles-ci dans le terrorisme pour faire évoluer celui-là. Une autre piste de réflexion pourrait amener à donner plus de facilités aux services sur d'autres champs infractionnels.
Ensuite, ce n'est pas parce que les services ne travaillent pas sur certains individus susceptibles de représenter une menace terroriste qu'ils n'ont pas les moyens de travailler. La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement énumère les finalités de notre activité. La prévention du terrorisme est la finalité n° 4 ; celle des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique la finalité n° 5c.
La supervision de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement s'exerce, ce qui est légitime en démocratie, de façon plus approfondie sur les individus dont nous considérons qu'ils peuvent commettre des violences collectives que sur ceux suspectés de se livrer à des actes terroristes. Nous n'en sommes pas moins en capacité de travailler. Les taux de refus sur les demandes de techniques de renseignement relevant de la finalité 5c présentées par la DGSI sont de l'ordre de 6 %. Ce chiffre est supérieur à celui constaté pour les autres finalités mais il signifie que, dans 94 % des cas, il est estimé que nous sommes fondés à travailler.
Il est normal, en démocratie, de se demander ce que l'on qualifie de terroriste, de trouble grave, d'intimidation et de terreur. Certes, le cadre juridique applicable aux infractions terroristes donne aux services des capacités d'action que n'offre pas le droit commun. Mais, en matière de renseignement, la loi permet de travailler à la prévention de l'action des mouvances, que nous les rangions ou non dans la catégorie des infractions terroristes.