Je commencerai par répondre à vos questions, monsieur le président. S'agissant de la contre-performance, c'est une question de spécialisation de l'économie pour chaque pays. La France fait presque aussi bien que l'Italie (+1 %), mieux que l'Allemagne (+0,6 %) ou l'Espagne (-1,3 %) mais moins bien que les Pays-Bas, la Belgique ou l'Autriche. Cette érosion s'explique par des pertes de parts de marché des exportations plus importantes, en particulier dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique, particulièrement touchés par la crise sanitaire. En France, la demande intérieure a soutenu le PIB de 2022, à hauteur de 3,3 points au total, sur quatre ans. C'est l'un des effets du « Quoi qu'il en coûte ». Remarquons tout de même que, s'agissant des dépenses publiques, les niveaux sont comparables dans tous les pays de l'Union européenne. Les finances publiques n'étaient pas toutes dans le même état initialement. La demande extérieure a fait baisser le PIB de 2,1 points durant la même période. Les pays qui ont obtenu de meilleurs résultats que la France sont les exportateurs nets. Votre dernière réflexion mérite d'être approfondie. Les dépenses publiques peuvent bien évidemment être perçues comme un amortisseur social et l'État comme l'assureur en dernier ressort, mais il ne faut pas oublier un facteur, celui de la spécialisation. Le niveau de la croissance allemande s'explique en partie par son modèle de production, qui a pu faire sa gloire dans le passé mais qui souffre plus que le nôtre dans la situation que nous traversons. La demande est un critère important mais il ne doit pas occulter celui de l'offre, que nous devrions étudier de très près. Pour redistribuer et dépenser, il faut produire.
Vous regrettez la dégradation du service public. Le solde public ne s'est pas dégradé, il s'est amélioré, passant de moins 6,5 % à moins 4,7 %. Ce niveau est encore trop élevé et les résultats auraient pu être meilleurs car les recettes ont été exceptionnellement dynamiques en 2022. Le déficit est le résultat de la différence entre les recettes et les dépenses mais, en l'espèce, la dynamique de la dépense a pesé sur le déficit et non l'anémie des recettes. La baisse des prélèvements obligatoires a amputé les recettes de 9,4 milliards en 2022 et de 5,2 milliards supplémentaires en 2023, ce qui contribuerait à détériorer le solde structurel de 0,5 % de PIB en 2023 par rapport à 2021. Il est plus difficile d'évaluer les effets des mesures discrétionnaires jusqu'en 2027 car nous n'avons pas les documents nécessaires. Lorsque viendra le moment d'examiner la loi de programmation, nous devrons en disposer pour mesurer le chemin des dépenses publiques. J'en profite pour rappeler plusieurs recommandations. Les hausses d'impôt ne pourraient qu'être ponctuelles et ciblées, ce qui signifie qu'il ne faut pas en attendre un rendement. Elles peuvent se justifier par des raisons politiques ou sociales, par exemple pour financer un mécanisme de transition énergétique. Je ne suis pas opposé à l'utilisation de l'impôt mais je crains que nous n'ayons atteint le niveau maximal des prélèvements obligatoires et que les Français ne consentent plus à une nouvelle hausse. D'autre part, de nouvelles baisses d'impôt doivent être compensées par la réduction des dépenses. Nous n'avons plus les moyens d'accorder des baisses d'impôt sèches. Cela fait un an que je le dis. Une baisse d'impôt non compensée, dans un contexte où la croissance est faible mais les dépenses élevées, se traduirait par un surcroît de déficit.
Les recettes attendues de la contribution sur les rentes inframarginales et de la contribution au service public de l'énergie, qui permet de subventionner les fournisseurs d'électricité renouvelable, sont très sensibles à l'évolution des prix de l'électricité sur les marchés. Ces derniers ont été divisés par trois depuis le pic de l'été 2022, les recettes attendues ont été revues à la baisse. Suite à ces évolutions, il ne ressort pas de notre analyse que la prévision de recette du Gouvernement soit trop optimiste. Au contraire, il est apparu en 2021 et 2022 qu'elle était trop prudente, ce qui a conduit la Cour des comptes à prévoir, dans son programme de travail pour la fin de l'année, une enquête sur les modalités de prévision de recettes de l'État. Ne voyez pas de jugement moral dans l'emploi de l'adjectif « prudente ». Je vous le dis très simplement, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, mais depuis trois ans que j'occupe ce poste, le HCFP a anticipé le dépassement des objectifs de recettes.
Concernant le déficit et la dépense, s'il suffisait de maintenir ou d'augmenter le niveau des dépenses publiques pour soutenir la croissance, notre croissance serait supérieure à celle des autres pays européens. Il ne s'agit pas de baisser le niveau des dépenses. La Cour des comptes n'est pas une institution qui proposerait une austérité brutale, bête et méchante. Il s'agit, plus simplement, de la faire progresser moins vite qu'à l'accoutumée. De surcroît, nous proposons une nouvelle méthode pour réaliser une revue des dépenses, afin de réaliser des économies intelligentes, plutôt qu'un rabot aveugle, ce qui éviterait de peser sur le potentiel de croissance.
Enfin, il est impératif de réduire le déficit pour garantir la soutenabilité de la dette publique. La charge de la dette s'est établie à 53 milliards d'euros en 2022 alors que la hausse des taux n'avait pas encore produit ses effets. Espérons qu'elle ne devienne pas le premier budget de l'État avant longtemps et ne supplante jamais celui de l'éducation nationale ! En 2027, nous devrions dépasser les 70 milliards d'euros, soit le triple par rapport à 2021, compte tenu de l'inflation et de la hausse des taux. Je ne sais pas, pour tout vous dire, comment l'on finance une politique de croissance dans ces conditions.
Vous me demandiez, monsieur le président, si la solution ne se trouvait pas du côté des dépenses fiscales : oui et non. Oui parce que les dépenses fiscales sont des dépenses. Non parce que cela ne suffirait pas. Nous présenterons une note à ce sujet la semaine prochaine.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé à propos du rapport remis par M. Pisani Ferry et Mme Mahfouz qui a le mérite d'aborder le sujet dans sa globalité et de donner des chiffres qui sont assez peu discutés – une soixantaine de milliards d'euros de dépenses publiques annuelles, à partager entre le public et le privé. À mon avis, il faudrait débattre de cette question sans tabou. Je sais que le ministre des finances n'a pas choisi cette voie. La dépense en faveur de la transition écologique est nécessaire. Nous ne pourrons en faire l'économie. En revanche, nous pouvons nous demander comment la financer. La Cour des comptes considère que s'il faut augmenter une partie de la dette à cette fin, il faut la réduire ailleurs, pour ne pas nous endetter encore davantage. Ce n'est pas en dérogeant à la règle des 3 % que nous tiendrons le potentiel de croissance. Si nous continuons à aggraver la dette, le potentiel d'investissement sera très réduit. Le jour où la dette publique atteindra 75 milliards d'euros, les pouvoirs publics souffriront ! Lorsque j'étais ministre des finances, en 2013 et 2014, la situation était difficile. Avec 5 % de déficit, 0 % de croissance, sans parler des contraintes européennes, nous ne pouvions engager aucune dépense ! Si vous n'atteignez pas vos objectifs de désendettement, vous ne financerez pas la transition écologique. Pour y parvenir, il faudra prendre le temps de tout mettre à plat et de mener un travail en profondeur. Je suis donc bien évidemment favorable à un débat démocratique. Je ne peux pas préconiser l'ouverture pour les revues de dépenses et ne pas vouloir engager une réflexion sur les recettes. Cela ne signifie pas que j'adhère à cette proposition mais l'évacuer d'un revers de la main ne serait pas une bonne idée.
Pour ce qui est du financement des collectivités locales, nous publierons le fascicule 1 du rapport sur la situation des finances publiques locales la semaine prochaine. La question des agrégats est légitime, y compris dans le cadre de la revue des dépenses publiques. À ce propos, la RGPP et la Map ne sont pas des revues de dépenses, telle que la pratiquent plusieurs de nos partenaires, en particulier l'Allemagne, la Suède ou le Canada. Une revue de dépenses suppose de tout mettre à plat, démocratiquement : les données de toutes les administrations, de toutes les politiques publiques doivent être mises à disposition pour que l'on puisse identifier ce qui ne marche pas et améliorer le fonctionnement afin de le rendre plus performant, plus efficace, plus juste et dégager des économies. Ce n'est pas un exercice budgétaire. La finalité ne l'est pas, même si le résultat l'est. Si on ne le fait pas, on n'atteindra pas nos objectifs budgétaires, ou seulement partiellement. Je ne suis pas pour une logique budgétaire a priori mais pour un bilan a posteriori d'une économie qui résulte d'une amélioration des politiques publiques. C'est la leçon que nous tirons de notre propre exercice thématique – non pas des chiffres, car ce n'est pas notre rôle. Je ne suis pas partisan du gouvernement des juges ni des experts. Il appartient au Gouvernement de faire des choix budgétaires. Vous voulez proposer : c'est à vous de voter. Pour notre part, nous pouvons aider à la décision.
S'agissant des OATi, nous avions demandé que l'Agence des participations de l'État (APE) revoie sa doctrine. C'est vrai, elles représentent une part importante de la dette mais je fais confiance à l'Agence France Trésor (AFT) pour la gérer du mieux possible. Je ne suis pas certain que l'AFT puisse se passer des OATi qui permettent de répondre aux besoins de la Caisse des dépôts, laquelle est en partie chargée de gérer l'épargne réglementée des Français et doit rassurer les investisseurs. Il faut préserver l'équilibre.
Pour ce qui est des aides économiques, je vous apporterai la même réponse que pour les collectivités locales : nous y reviendrons la semaine prochaine.
Nous rédigerons également une analyse du budget vert.
Monsieur Holroyd, je ne suis plus un homme politique mais le Premier président de la Cour des comptes, ce qui m'impose d'être impartial et indépendant. Je me garde bien de tenir la main du Gouvernement. C'est à vous de savoir pourquoi vous n'êtes pas satisfaits.
Je crois très profondément que le Parlement peut faire plus. Peut-être est-ce une question de moyens et de capacité d'analyse indépendante. Certes, nous ne sommes pas dans un système parlementaire. J'ai moi-même été député et membre de la commission des finances et je sais que vos bureaux sont plus petits que ceux de vos homologues à Washington et que vos équipes sont plus réduites, même quand vous exercez des fonctions particulières. Chaque sénateur américain s'appuie sur cinquante personnes. Votre commission dispose de moyens, mais ils sont plus modestes. Or c'est bien de cela qu'il s'agit : être à même de pousser dans leurs retranchements l'administration et l'expertise de la grande citadelle de Bercy – que je suis fier d'avoir dirigée –, sans pour autant la défier.
Je voudrais souligner – car peut-être ne le mesurez-vous pas suffisamment – que la Cour des comptes, depuis la réforme de 2008, et le HCFP se tiennent à égale distance du Parlement et du Gouvernement. Je ne cesse de dire que notre capacité d'expertise est à votre service. Nous sommes objectivement vos alliés parce que ne faisons pas de politique. En revanche, l'expertise qui découle de nos travaux est une aide dont vous pouvez vous saisir afin de mieux argumenter avec le Gouvernement.
Si je me bats avec autant d'acharnement pour renforcer les moyens du HCFP, c'est précisément pour disposer, comme nos partenaires étrangers, de l'indépendance suffisante pour pouvoir discuter avec le Gouvernement et mettre en cause ses chiffres. Il manque au pays la culture de partage et d'équilibre des pouvoirs, ainsi que de dialogue avec l'exécutif. J'étais déjà arrivé à cette conclusion lorsque j'étais ministre de l'économie et des finances. C'est la raison pour laquelle j'ai créé le HCFP. Je regrette de ne pas lui avoir donné suffisamment de moyens. Mon administration ne le souhaitait pas vraiment à l'époque, mais c'est fondamental.
Monsieur Holroyd, vous travaillez sur la révision des règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance. À la suite de notre rencontre à ce sujet, je vais vous écrire un courrier pour préciser mes convictions. Si nous renforçons les autorités et l'expertise indépendantes ainsi que la capacité collective du Parlement, de la Cour et du HCFP à faire valoir des chiffres et des faits, le débat public s'en portera mieux. C'est également l'une des conditions pour réussir la revue des dépenses publiques.
Je crois à cet exercice, que nous n'avons encore jamais réalisé en France. Le faire sera beaucoup plus intelligent que je ne sais quelle démarche strictement budgétaire. Cela nous permettra d'obtenir de meilleurs résultats en matière de finances publiques, et surtout de qualité des dépenses et du service public – ce qui satisfera le citoyen usager, pour lequel nous travaillons tous.