Le renseignement est avant tout une affaire de temps long. Pour être efficace, il faut savoir capitaliser les données recueillies et la connaissance élaborée. C'est parfois ce travail sur le temps long qui permet d'être efficace sur le temps très court de la décision politique ou de l'action militaire.
Je cite souvent l'exemple du missile S-300 tombé sur un malheureux fermier polonais en novembre 2022. « Le territoire de l'Otan a-t-il été attaqué ? » m'a-t-on demandé. Je devais répondre le plus rapidement possible pour donner au Président de la République, au ministre et au CEMA les éléments nécessaires pour prendre les bonnes décisions.
Pour répondre à cette question, ce que la DRM a réussi à faire en quelques heures, j'ai utilisé des travaux obscurs et en apparence inutiles, menés pendant de nombreuses années. Il s'agissait d'un travail méthodique de connaissance précise d'un très large panel de matériels et d'armements étrangers, d'une part, et, d'autre part, d'un travail d'identification et de localisation des batteries sol-air d'Europe de l'Est, méthodiquement répertoriées, jour après jour.
De la capitalisation sur le temps long des services de renseignement dépend la capacité à produire du renseignement en un temps très court. Les deux sont nécessaires ; il faut en gérer l'articulation. Il faut donc disposer du meilleur outil de capitalisation possible, en l'espèce Artemis.IA.
S'agissant du recueil des renseignements et des informations, le principal défi auquel nous sommes confrontés est de contenir l'écart croissant entre le volume de données recueillies et le volume de données exploitées. L'outil Artemis.IA de capitalisation des données et des renforts en effectifs devraient nous permettre d'exploiter davantage les données recueillies.
Dès lors que nous travaillons à l'échelle globale, j'ai coutume de dire que je remplis une mission infinie avec des moyens finis par nature. Ma première mission, en tant que DRM, est donc de prioriser la recherche, ce qui suppose d'accepter des renoncements, toujours difficiles, et de gérer les frustrations ainsi que les conséquences induites par cette priorisation.
Dans l'élaboration de notre renseignement, nous utilisons les sources de toute nature, dont les sources ouvertes. Ma mission consiste à diminuer le niveau d'incertitude, la certitude n'existant pas ; c'est la variété de la nature des informations que je croise qui me le permet.
Si je n'ai que du renseignement d'origine image (ROIM) pour me prononcer sur une situation ou porter une appréciation particulière sur un sujet donné, le niveau de certitude est faible. Si en revanche je parviens à croiser les images satellitaires avec du renseignement d'origine humaine (ROHUM), du renseignement d'origine électromagnétique (ROEM), du ROSO et du renseignement d'origine cyber (ROC) issu de recherches approfondies dans des systèmes informatiques, j'aurai un renseignement robuste.
C'est bien le renseignement multi-source, issu du croisement d'informations d'origines différentes, qui permet d'élever le niveau de certitude des appréciations que je fournis. Dans cette optique, chaque plateau que j'ai installé le 1er septembre dernier utilise des renseignements de toute nature dans l'élaboration de ses analyses.
S'agissant des effets en Afrique du coup de force de Wagner fin juin, il y en aura, mais il est un peu tôt pour savoir lesquels. Wagner est en pleine recomposition ; Prigojine négocie avec le Kremlin, qui l'assume.
Ces négociations comportent plusieurs aspects, notamment un volet financier et un volet relatif aux capacités militaires consenties. Il y aura des conséquences en Ukraine, en Biélorussie et en Russie, ainsi qu'en Afrique et en Syrie, où sont déployés les mercenaires de Wagner, laquelle sera certainement amenée à renégocier son soutien avec les pays hôtes et à adapter son dispositif aux moyens dont elle disposera à terme.