Monsieur Sitzenstuhl, vous m'avez demandé comment assurer la souveraineté alimentaire. Il me faudrait deux heures, même deux ans pour vous répondre ! Cette souveraineté est multifactorielle.
La souveraineté alimentaire, c'est d'abord la capacité de nos systèmes à disposer de facteurs de production, de moyens de lutte contre les maladies et d'accès à l'eau, dans des conditions à déterminer pour garantir leur durabilité, au-delà d'un simple droit de tirage. La souveraineté alimentaire doit être pensée au moins au niveau européen. Compter uniquement sur soi-même est un risque, en cas d'accident climatique ou de maladie.
La souveraineté alimentaire, c'est ensuite la capacité à assurer les interdépendances et à faire en sorte que les facteurs de production soient majoritairement produits à l'intérieur nos frontières, afin que nous ne soyons pas soumis à la fluctuation des prix de l'énergie ou aux desiderata de tel ou tel chef d'État.
La souveraineté alimentaire, c'est enfin la nécessité de penser le système comme durable. La notion de durabilité ne s'oppose pas à celle de souveraineté : si nos écosystèmes se dégradent trop, si l'on ne préserve pas la ressource en eau, si l'on ne pense pas en système plutôt qu'en filière, et si l'on n'est pas capable de se diversifier, alors certains secteurs iront dans l'impasse. Il est frappant d'entendre certains agriculteurs indiquer qu'ils ne savent plus trop quoi planter. Nous avons la responsabilité de trouver des solutions à ce problème, alors que le dérèglement climatique va encore compliquer les choses. Sans durabilité dans le temps moyen, voire court et certainement long, il n'y aura pas de souveraineté.
S'agissant de la production de betteraves, je veux lever un malentendu. La Cour de justice de l'Union européenne n'a pas pris une décision : elle a simplement rappelé les tenants et les aboutissants d'une décision de la Commission européenne, en l'occurrence qu'il n'était pas possible d'accorder de dérogation pour les produits interdits. Qui plus est, elle ne s'est prononcée que sur les néonicotinoïdes en enrobé, et pas en pulvérisation foliaire. De fait, il n'existe pas d'interdiction européenne du foliaire. Certains pays n'ont donc aucun mal à respecter la décision de la Cour de justice, puisqu'ils procèdent à des traitements par voie foliaire.
Ma position n'est pas populaire, mais je considère que rouvrir le débat sur la réintroduction du foliaire est une erreur. Tout d'abord, il faut s'assurer que tout le monde respecte la décision de la Cour de justice – c'est plutôt le cas, mais le foliaire permet de se substituer à l'enrobé. Ensuite, malgré les contraintes qui pèsent lourdement sur le secteur betteravier, il faut travailler avec la filière pour trouver des solutions de remplacement, d'autant que la dérogation accordée prend fin cette année et qu'une interdiction européenne des néonicotinoïdes en foliaire s'imposera probablement assez rapidement aux autres pays. Les instituts techniques considèrent que nous ne sommes pas loin de trouver des solutions : la difficulté est de passer le cap. Cette année, la situation est plutôt sous contrôle. On considère qu'il faut traiter les pucerons, mais il faut en réalité traiter la jaunisse. La voie des semences et des recherches génétiques est intéressante, de même que celle des éléments combinatoires – je pense aux plantes compagnes, aux cultures parcellaires. Cela a plutôt bien fonctionné cette année, mais nous devons rester très prudents : le contrôle permanent sur des parcelles tests a permis de bien doser les traitements encore utilisables. Les deux ou trois prochaines années seront sans doute un peu compliquées, mais nous devons poursuivre sur cette trajectoire. Jusqu'ici, nous n'avions pas de solution : c'est la raison pour laquelle nous avions besoin de la dérogation, et je regrette que nous n'ayons pas pu la prolonger d'un an.
Madame Mélin, la souveraineté nationale ne peut pas être complètement déliée de la souveraineté européenne. Ce n'est pas « d'abord la France, ensuite l'Europe », mais « l'Europe, dans laquelle la France joue sa partition en disposant de grands atouts ».
Si notre filière porcine est encore assez dynamique, bien qu'elle connaisse des hauts et des bas, c'est parce qu'elle est exportatrice. La souveraineté ne peut pas être unilatérale. Si l'équilibre se fait par l'export, comme c'est le cas pour le porc, le lait ou les céréales, il faut accepter d'être en concurrence. Les Chinois ne pourront pas produire autant de porcs qu'ils le veulent, et plusieurs pays aux frontières sud de la Méditerranée ne pourront pas produire autant de céréales qu'ils le souhaitent. Nous avons donc intérêt à ne pas nous enfermer.
Le modèle localiste ne me choque pas, ne serait-ce que parce que le circuit court permet le dialogue entre agriculture et société. Mais nous ne couvrirons pas tous les besoins par les seuls circuits courts, notamment en cas d'accident climatique. Le jour où ma commune sera frappée par la grêle, qui me nourrira ? Là encore, nous avons besoin d'interdépendances.
Quant au renouvellement démographique, c'est à la fois un sujet de rémunération – cela explique ce que nous avons fait dans la loi Egalim, même si ce n'est pas encore abouti – et d'image des métiers de l'agriculture. Quand une partie de la société passe son temps à traiter les agriculteurs de pollueurs, d'assassins et de criminels, elle ne donne pas aux jeunes envie de s'impliquer. Les mots comptent.
Certes, il existe des situations d'impasse. Des filières, des secteurs et des zones géographiques connaissent de lourdes difficultés du fait du dérèglement climatique. Si nous parvenons à présenter un nouveau modèle et à les y accompagner, nous donnerons envie à des agriculteurs de s'installer.
Monsieur Amard, j'aimerais avoir autant de certitudes que vous. Vous savez tout, vous nous expliquez tout…