Je suis heureux de vous rendre compte de l'activité du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire dans sa dimension européenne. L'agriculture est la première politique à ce point intégrée, dont la PAC constitue l'une des pierres angulaires.
Signe de leur puissance, les principes de la PAC posés en 1962 constituent encore la référence. Certes, le dérèglement climatique perturbe structurellement la situation, mais les grandes intentions des fondateurs de cette politique restent d'une modernité criante.
La nouvelle PAC est entrée en vigueur en 2023 : seul un bilan provisoire peut donc être dressé. Dans son volet économique, elle réserve 15 % de l'enveloppe aux aides couplées. Dans son volet social, elle introduit une conditionnalité sociale, qui touche au respect de la réglementation européenne en matière de travail. Elle intègre aussi la notion de droit à l'erreur et prévoit des crédits pour l'installation des jeunes agriculteurs sur les premier et deuxième piliers.
La PAC comporte aussi un volet environnemental. Les crédits relatifs à l'aide à la conversion en bio progressent de 36 %, passant de 250 à 340 millions d'euros. Le budget réservé aux mesures agroenvironnementales est en hausse de 10 millions. Les exigences sont renforcées au travers de la conditionnalité et des normes réglementaires applicables en matière de gestion, de respect de l'environnement, de santé publique, de santé des végétaux et de bien-être animal.
La PAC prévoit aussi un écorégime représentant 25 % des paiements directs, que les États peuvent décliner de manière différenciée. En France, l'écorégime représente 1,7 milliard d'euros par an, avec plusieurs niveaux et voies d'accès. Notre objectif est l'instauration d'une stratégie d'inclusivité, pour permettre à un maximum d'agriculteurs d'entrer dans une démarche de réflexion autour des écorégimes et de la nécessité des transitions. D'autres pays ont fait un choix très restrictif, en s'adressant aux agriculteurs les plus avancés. J'estime cependant qu'en matière de transition, l'objectif n'est pas d'emmener 50 000 agriculteurs, mais 400 000. Je suis bien sûr ouvert au débat, mais je pense que la démarche dans laquelle nous nous sommes engagés est pertinente.
Concernant le déploiement de la PAC, je salue le travail des services du ministère de l'agriculture et les travaux conduits en bonne intelligence avec les régions. Changer de PAC n'est pas une mince affaire en matière d'informatique, de logistique et de répartition des compétences entre les régions et l'État. J'avais demandé un rapport relatif au transfert des personnels, auquel je me suis référé pour développer des moyens complémentaires. Même s'il existe des difficultés dans quelques régions, les moyens sont au rendez-vous du transfert de la compétence. Nous avons été l'un des cinq ou six premiers pays dont le plan stratégique national (PSN) a été approuvé. Cette situation est suffisamment rare pour être soulignée ! Cela nous a permis de mieux nous préparer et de mieux préparer les agriculteurs, en faisant de la pédagogie. Le plan allemand a été l'un des derniers à être validé. Cela montre que nous avons bien travaillé. Je partage ce résultat avec Julien Denormandie, qui a beaucoup œuvré sur ce dossier.
Un premier point de vigilance consistait à faire en sorte que le système informatique fonctionne, en tirant les leçons de l'épisode douloureux de 2015 concernant la télédéclaration et les paiements. Une télédéclaration compliquée et des retards de paiement peuvent assez vite mettre les campagnes en éruption ! Nous nous sommes donc mobilisés pour lancer une première campagne de télédéclaration au 1er janvier pour les animaux, puis jusqu'au 31 mai pour les autres filières. J'ai annoncé très tôt qu'un délai supplémentaire de quinze jours serait accordé, parce que les outils informatiques étaient en cours de déploiement : cela a permis d'accompagner les demandeurs d'aides de façon rapprochée.
Cette nouvelle PAC est assez complexe, parce que nous l'avons voulue comme telle. On pointe souvent du doigt l'Europe, mais la France a choisi d'avoir des dispositifs mieux différenciés, notamment pour tenir compte des différentes filières et natures de sol.
De façon inédite, les agriculteurs ont largement sollicité les chambres d'agriculture et les réseaux chargés de les accompagner dans la télédéclaration. À la fin de la période de télédéclaration, 315 000 dossiers ont été signés. Ce nombre est en diminution, compte tenu de l'évolution démographique mais aussi du changement de statut d'actif agricole, qui vise à éviter que des agriculteurs disposent de droits à la retraite tout en exerçant une activité agricole, afin d'assurer la fluidité du système.
Je me suis engagé devant les professionnels à dresser un bilan très précis de nos actions. Je note déjà un point de satisfaction : plus de 90 % des agriculteurs se sont inscrits dans l'écorégime. Mes collègues allemands, qui ont fait un choix plus restrictif, observent au contraire une très nette sous-consommation des enveloppes, lesquelles risquent d'être perdues. Pour notre part, nous avions assez bien calibré les enveloppes, et notre stratégie de massification a fonctionné.
La nouvelle phase qui s'ouvre est celle du paiement, à la date totem du 16 octobre. Un dispositif de suivi est en cours d'élaboration. Nous aurons bientôt plus de visibilité sur les éventuelles difficultés que nous pourrions rencontrer au cours de l'été. Nous procéderons à des ajustements, le cas échéant.
Nous sommes aussi dans la période annuelle à laquelle il est possible de modifier le PSN. Les ajustements seront mineurs, puisque la résolution de l'équation budgétaire et les éventuelles refontes de projets et programmes interviendront plutôt en 2025, à la date du point d'étape. Il serait hasardeux de modifier un plan qui vient d'être déployé. Nous avons cependant procédé à quelques modifications légères visant à résoudre des difficultés techniques ou d'appropriation.
Par ailleurs, nous nous étions engagés, dans le cadre du PSN, à développer des programmes opérationnels spécifiques pour certaines filières. Nous en avons proposé cinq, autour des protéines végétales, de l'horticulture, des veaux sous label, du riz et de la filière lapin, notamment dans son volet de transition pour sortir des dispositifs de cages.
J'en viens à mes activités de ministre. Vous avez mentionné des textes importants. Je me suis rendu dans plusieurs pays et j'ai souhaité nouer rapidement des relations avec l'ensemble de mes collègues européens. Il ne s'agit pas tant d'avoir raison que de partager des points de vue. Nous ne décidons pas seuls – c'est le principe de la construction européenne –, il est donc essentiel d'avoir une stratégie d'alliance sur les éléments de doctrine et les textes qui nous sont soumis.
La révision de la directive relative aux émissions industrielles, dite IED, a été rejetée hier par le Parlement européen, qui a préféré maintenir le statu quo. Cette directive ne concerne pas seulement l'élevage, mais toutes les activités industrielles. Les filières volaille et porc y sont déjà soumises : la discussion portait, d'une part, sur son extension à la filière bovine, et d'autre part, sur la fixation des seuils. Je considère, pour ma part, que l'augmentation de ces derniers aurait démontré le caractère atypique de notre modèle d'élevage dans l'espace européen, au contraire de ce que l'on entend parfois, et mis en avant les aménités positives de l'élevage dans de nombreux territoires. Je ne vilipende pas les autres modèles, mais compte tenu de la taille de notre pays, nous avions la capacité de valoriser le nôtre. Faute d'accord sur des seuils satisfaisants, le Parlement européen a cependant décidé de maintenir le statu quo. Il n'y a donc pas de changement pour les éleveurs français : ceux qui étaient concernés par la directive IED le restent, et les autres n'entrent pas dans son champ d'application. Le leitmotiv du statu quo n'est, à mes yeux, pas satisfaisant. En tout état de cause, nous avons travaillé à montrer que tous les élevages ne sont pas de même nature et ne relèvent pas du même registre de délibération. Le vote au Parlement n'est pas l'aboutissement du processus : le trilogue se poursuivra. Dans les négociations sur les seuils et sur les règles d'exploitation, je veillerai à ce que l'épure reste conforme à la philosophie générale de la directive. De façon générale, dans le cadre d'un marché unique et ouvert, les règles doivent être européennes : tout acte apportant une contrainte supplémentaire au niveau national serait contre-productif et contreviendrait à notre volonté de parler en Européens et de ne pas créer de sources de distorsion.
Il me semble également important de lier la loi relative aux nouvelles techniques génomiques avec le règlement pour une utilisation durable des pesticides, dit SUR, qui vise à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. En la matière, la position française a toujours été la même. Nous sommes opposés à toute mise sous cloche : les territoires classés en zone fragile ne peuvent être contraints de rentrer dans une logique de zéro pesticide. À l'époque du zonage Natura 2000, l'État s'est engagé à soutenir des démarches volontaires et non contraignantes : si nous n'étions pas capables de confirmer cette trajectoire, il y aurait une rupture de confiance avec le monde agricole. Nonobstant cette remarque, j'estime que nous avons besoin d'une doctrine européenne, qui peut tout à fait être exigeante, dont l'absence heurterait l'esprit européen et affaiblirait notre capacité de souveraineté. Fixer les exigences au niveau européen permet de mettre tout le monde à niveau, et nous ne sommes pas les plus en retard en la matière. Il y a un intérêt, y compris de compétitivité, à aligner tout le monde.
Les nouvelles techniques génomiques (NGT pour new genomic techniques et NBT pour new breeding techniques ) marquent une rupture avec la technologie classique des organismes génétiquement modifiés (OGM). Certains voudraient les associer ; or ce ne sont pas du tout les mêmes technologies. Les NGT et NBT ne consistent pas à créer un gène exogène, mais à accélérer des processus qui se produiront de toute façon, car la mutation génétique est un phénomène naturel. Nous sommes tous des NBT, si je puis dire ! L'accélération de certaines mutations génétiques présente un intérêt dès lors qu'elle facilite la transition écologique, en réduisant l'utilisation des produits phytosanitaires, et renforce notre résilience face à la sécheresse. Telle est la position constante de la France. Avec plusieurs collègues européens, j'ai fait en sorte que la loi relative aux nouvelles techniques génomiques soit posée sur la table en même temps que le règlement SUR, afin que les restrictions et la solution soient présentées simultanément. Je n'ai pas dit que toute la solution résidait dans les NBT et les NGT, mais que ces technologies pouvaient apporter une partie de la réponse aux défis auxquels nous faisons face.
Le paradigme européen n'est plus tout à fait le même depuis la crise du covid et la guerre en Ukraine. La première a soulevé la question de l'organisation de la sécurité alimentaire – plus que de la souveraineté alimentaire – quand les frontières se ferment, donc des fragilités du système et de la dépendance aux autres. Quant à la guerre en Ukraine, elle a mis en exergue le fait que certaines personnes pensent le temps long. En l'occurrence, le président Poutine avait pensé deux sujets il y a vingt ans, l'énergie et l'alimentation, en considérant qu'il tiendrait ainsi une partie de l'équation mondiale et pourrait faire de la géopolitique. Nous n'aurions pas tous parié là-dessus ! Cela nous invite à sortir de la naïveté et à être lucides. Je considère que l'alimentation devrait être une arme de paix, mais d'aucuns en ont fait une arme de guerre. La guerre en Ukraine montre également l'extrême dépendance énergétique et aux engrais d'une partie de nos systèmes agricoles. Cela doit nous pousser à renforcer notre souveraineté, y compris dans un processus de décarbonation qui évitera que les décisions de Poutine affectent les nôtres. Cette stratégie pour la souveraineté alimentaire s'inscrit dans le temps long et ne peut être qu'européenne, au même titre que nous avons besoin de souveraineté européenne en matière de défense, de matériaux, d'intelligence artificielle, d'aéronautique et de batteries.
Un autre sujet est celui de la solidarité. La France, comme tous les pays européens, a exprimé la sienne par des mesures de libéralisation des échanges avec l'Ukraine, pour trouver des destinations aux productions qui étaient bloquées. Pour autant, cela peut déstabiliser certains marchés. Il convient donc de trouver une tension, au bon sens du terme, entre le soutien à l'Ukraine et le maintien de l'édifice européen. Les pays frontaliers ont pris des mesures unilatérales, contraires aux traités ; or de telles mesures peuvent conduire au démantèlement de la lettre et de l'esprit de l'aventure européenne. Si chacun décide de mesures unilatérales au gré de ses intérêts, il n'y a plus d'Europe. Aussi ai-je pris l'initiative, assez rare dans l'enceinte feutrée et diplomatique – c'est un compliment – des ministres de l'agriculture, de rappeler à la Commission qu'elle devait être garante de l'unité européenne, du respect des traités et de la transparence de la prise de décision. Nous avons embarqué avec nous quatorze ou quinze ministres, ce qui a également permis de délivrer un paquet d'aides « réserve de crise ».
L'enveloppe de réserve de crise agricole de 530 millions, qui a été délibérée hier, nous dote de moyens qu'il conviendra de ventiler, durant l'été, entre les secteurs touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine ou de la sécheresse, la filière cerise, la filière noix, et d'autres encore.
La souveraineté ne signifie pas l'autarcie et le repli sur soi ; c'est la capacité à structurer des interdépendances choisies et non subies. En l'occurrence, nous aurons besoin d'échanges en raison de dérèglements à la fois géopolitiques et climatiques, sur tous les continents, qui pourraient se traduire par des tensions sur les marchés mondiaux. Il s'agira de veiller à ce que la majorité des territoires du monde puissent se nourrir, en particulier à nos frontières, puis de savoir qui nourrit qui. De fait, celui qui nourrit un continent ou un pays le tient. Ne soyons pas naïfs : l'alimentation est une affaire de géopolitique et de souveraineté. Je préfère que nous puissions pourvoir à l'alimentation de pays qui en sont incapables, pour des raisons météorologiques ou structurelles, comme les pays du sud de la Méditerranée, plutôt que de laisser M. Poutine s'en charger. Si ces pays risquaient de manquer de nourriture, les conséquences ne s'observeraient pas chez M. Poutine, mais sur le continent européen. Nous avons besoin de poser l'équation ainsi. Ce n'est pas simple et les voies ne sont pas tracées, mais il s'agit là d'un élément important.
Le fait que la souveraineté ne soit pas l'autarcie pose également la question des accords internationaux. La France veille à certains sujets que vous avez rappelés, monsieur le président. Au-delà des paroles, il y a des actes.
D'une part, les accords internationaux ne sont pas seulement des accords européens. Le ministère de l'agriculture doit essayer d'en conclure lors de chaque déplacement international – je pense aux accords avec la Chine sur le porc, signés sous l'impulsion du Président de la République, et à ceux à venir. Il faut aussi se poser la question des relations bilatérales avec tel ou tel pays. Là encore, tout est affaire de géopolitique.
D'autre part, la France n'oppose pas d'obstruction systématique ou dogmatique aux accords internationaux, sous réserve qu'ils respectent un certain nombre de règles, à commencer par les accords déjà signés – je pense en particulier à l'accord de Paris. Cela explique la position que le Président de la République a récemment réaffirmée concernant l'accord entre le Mercosur et l'Union européenne, ou le fait que l'accord entre l'Australie et l'Union européenne n'ait pas abouti – ce qui ne signifie pas que nous refusons un accord dans l'absolu, mais qu'en l'état, celui qui nous est proposé ne nous satisfait pas. La principale difficulté vient du fait que, si certaines filières sont structurellement plutôt bénéficiaires, d'autres sont malheureusement en permanence déficitaires. Or ces dernières sont les principales concernées, comme les filières bovine et ovine, ce qui peut susciter des inquiétudes et requiert notre vigilance. Je travaille beaucoup avec mon collègue Olivier Becht sur ce sujet.
Je conclus en évoquant les clauses miroirs et la réciprocité. Le chemin est long car nous partons de rien : la doctrine de la Commission, établie depuis des années, était qu'il fallait signer des accords internationaux. Nous ne ferons pas tout en une fois, mais nous incrémenterons ce qui peut l'être, notamment ce que nous avons fait pour l'accord avec la Nouvelle-Zélande, même si j'entends que cela n'est pas satisfaisant.