Nos échanges montrent qu'il existe entre le rapporteur, l'ensemble des groupes et moi-même une totale convergence sur l'intérêt d'une mobilisation des forces du groupe de la Banque mondiale à Paris.
Le rapporteur a évoqué les aspects techniques ou pratiques, ce qui ne m'a pas étonné, car la philosophie politique qui l'inspire a toujours été très attentive au poids des infrastructures dans le développement des sociétés. En l'occurrence, les infrastructures plaident plus que l'idéologie pour baser la Banque mondiale en France. Nous restons une plaque tournante essentielle à l'égard de l'Afrique mais aussi de l'Europe de l'Est et du Moyen-Orient. Si nous sommes la cible de beaucoup d'agressions, nous sommes en même temps le foyer de beaucoup de progrès potentiels.
Notre rapporteur a développé avec talent les critiques qu'il souhaitait faire mais je tiens à attirer l'attention sur la complexité de ces questions sur le plan idéologique.
Tout d'abord, j'aimerais qu'on m'explique un jour la différence entre le néolibéralisme et le libéralisme tout court. J'ai étudié Jean-Baptiste Say et Milton Friedman : je n'ai pas vu de divergences idéologiques très profondes entre eux. Parler de néolibéralisme n'est qu'un tic verbal.
Ensuite, le contexte dans lequel la Banque mondiale s'est insérée a connu des évolutions sur le plan idéologique.
Ce qui caractérisait les années 1950, c'était en premier lieu la confiance, partagée par la Banque mondiale, dans la libéralisation des échanges, que vous avez critiquée. Je comprends qu'on le fasse à propos de la monoculture, comme celle du cacao, mais on ne produit pas de cacao en Sibérie et il est assez normal que le chocolat que nous consommons soit issu de la Côte d'Ivoire. D'autre part, la libéralisation des échanges a été une réponse très profonde des sociétés démocratiques occidentales aux pratiques autarciques des années 1930 qui ont conduit à la guerre. Enfin, Mme Esther Duflo a expliqué ici même, il y a quelques semaines, que cela avait permis au bout du compte une réduction des inégalités de développement et de la pauvreté. On peut d'ailleurs se demander si la rechute très forte sur ce dernier plan n'est pas aussi une conséquence, directe ou indirecte, de la fragmentation politique et économique du monde. La question que vous avez très légitimement posée, monsieur le rapporteur, mérite donc de faire l'objet de réflexions complémentaires.
Le deuxième principe au cœur des années 1950 était l'économie keynésienne, c'est-à-dire l'idée que le développement permettait de produire des ressources, notamment budgétaires, grâce auxquelles on pourrait atteindre un équilibre ultérieur. C'est ce que Paul Samuelson enseignait, avec d'autres. Des évolutions assez profondes ont suivi en la matière, moins du côté de la Banque mondiale que du FMI. En effet, même si le consensus de Washington était largement partagé, il y avait vraiment une différence d'approches entre ces deux organismes. Le FMI a eu tendance à pratiquer, jusqu'à l'arrivée de M. Blanchard et de Mme Lagarde, une politique qu'on pourrait qualifier d'un peu « bête et méchante ». En particulier, je vous suis volontiers en ce qui concerne l'illusion que la privatisation des services publics apportait en soi un bénéfice absolu. En réalité, les problèmes de sous-développement des services publics vont bien au-delà du fait qu'ils sont un peu corrompus par des bureaucraties abusives. Il faut adopter une approche relativement nuancée et il reste encore beaucoup de travail à mener pour trouver la juste voie qu'il faudrait suivre.