« Que pouvez-vous bien trouver à faire à la campagne ? Tout. Excepté le temps de le faire », disait Kipling. Le temps, dans nos petits villages, ne va pas aussi vite qu'ailleurs. Je pense aux kilomètres de routes sinueuses qu'il faut emprunter pour rejoindre l'école des enfants, quand leur classe n'a pas fermé, le bureau de poste ou le commerce le plus proche ; à l'attente avant d'avoir enfin un rendez-vous médical ; au temps nécessaire, quand on est un maire rural, pour intervenir à chaque urgence – il n'y a bien qu'eux qui peuvent le faire ; au temps pour qu'un animateur d'une maison France Services, à trente kilomètres de là, puisse vous dépêtrer d'un dossier d'aide ; au temps de la connexion internet par le réseau téléphonique. Le seul temps qui est finalement bien raccourci dans nos campagnes, c'est, de la façon la cruelle, celui de la vie. L'espérance de vie y est, en effet, de deux ans inférieure à celui des villes.
On n'a pas le droit aujourd'hui de ne pas être radicalement ambitieux pour nos campagnes. On n'a pas le droit de lâcher quelques millions d'euros, 100 chefs de projet de France ruralités dans quelques sous-préfectures, quelques médicobus et une aide pour entretenir les monuments aux morts, et se dire que le travail est fait. Je sais, madame la ministre déléguée, que le sujet vous tient à cœur et j'aimerais tant, quand je rentre dans ma circonscription, entre Lus-la-Croix-Haute, Mirabel-aux-Baronnies et Grignan, pouvoir dire à toutes celles et à ceux qui y vivent que nous comptons autant que les habitants des villes, au cœur de la République. Nous ne demandons pas l'aumône.
Pourtant, nous avons l'impression que la France est à deux vitesses. En matière de mobilité, tandis que nos concitoyens vivant dans les métropoles ont le choix entre le vélo, la marche et les transports en commun, et que 35 milliards d'euros seront investis dans le Grand Paris Express, vous consacrez seulement 30 millions d'euros, soit un peu plus d'un euro par habitant, à la mobilité dans les campagnes, en laissant la gestion d'un service public absolument essentiel à des associations de bénévoles. Il faut encore deux jours, en comptant les correspondances, pour faire les 88 kilomètres qui séparent Crest de Nyons en transport en commun. Dans le domaine du logement, les opérations de revitalisation de territoire (ORT) sont une première étape bienvenue, mais l'« Airbnbisation » est rampante, les terrains s'achètent à prix d'or et les enfants du pays ne peuvent plus se loger dignement. Rien n'est prévu, ou si peu, en ce qui concerne l'énergie, la fracture numérique, l'aide à l'installation paysanne et le tourisme durable.
Pourtant, je crois sincèrement que l'avenir se joue dans ces 88 % de la France. Nous en avons marre de vivre sous cloche ou d'être misérabilisés. Nous voulons des politiques climatiques et écologiques ambitieuses pour les ruralités, tout aussi ambitieuses que pour les villes, pour qu'enfin on ait aussi le temps de changer le monde à la campagne.