Le développement de nouvelles capacités est un élément important de la relance du nucléaire, portée par le Gouvernement, et un pilier de notre politique énergétique. C'est non seulement un enjeu de compétitivité et de pouvoir d'achat pour les entreprises et les Français mais c'est aussi un enjeu de souveraineté et de réindustrialisation pour notre pays. Plus de 95 % de la valeur ajoutée de ces projets est faite en France, dans des entreprises dont l'excellence industrielle n'est plus à prouver. Soyons-en fiers, nous sommes le seul pays qui maîtrise l'ensemble de la chaîne de valeur nucléaire, de l'amont à l'aval du cycle, de la construction à l'exploitation et au démantèlement des centrales. La France ne dépend pas de la Russie pour faire fonctionner ses centrales nucléaires, contrairement à ce que certains détracteurs de l'énergie nucléaire prétendent et dont je ne suis pas certaine que la lutte contre le changement climatique soit leur priorité. Je préfère le répéter pour lever toute ambiguïté.
Je concentrerai mon propos sur le financement des nouvelles capacités nucléaires de forte puissance, à savoir les programmes EPR2 d'EDF. Je compléterai en vous donnant ultérieurement des informations sur le financement des SMR et des AMR (petits réacteurs nucléaires) mais il me semble que ces projets relèvent davantage du financement de l'innovation, en vue duquel est mobilisé France 2030.
Rappelons quelques ordres de grandeur. Un programme de six nouveaux réacteurs coûterait entre 52 et 57 milliards d'euros. Le paiement s'étalerait sur vingt ans et l'infrastructure devrait fonctionner durant soixante ans. Comparons ce qui peut l'être. Le programme coûterait en moyenne 3 milliards d'euros par an, ce qui représente deux fois moins que les investissements consentis pour les réseaux électriques par RTE (Réseau de transport d'électricité) et Enedis, au cours des dix prochaines années. C'est également 40 % de moins que les investissements dans le parc nucléaire existant à leur niveau de 2022. Le nouveau nucléaire, en montant annuel, coûtera donc moins que les investissements dans le parc nucléaire existant, les réseaux ou les énergies renouvelables. L'enjeu est surtout de délivrer ce projet en coût et en délai au plus haut niveau de performance opérationnelle. C'est tout l'objet de la loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes que j'ai soutenue et que la grande majorité d'entre vous a votée : sécuriser et accélérer les procédures administratives, pour ne pas accuser de retard, sans négliger la sécurité. Vous l'aurez compris, chaque mois économisé est un mois qui ne pèse pas sur le coût de la construction, a fortiori lorsque ce coût se double d'un coût du financement indexé sur le temps du projet. Le temps du projet administratif ne doit pas s'additionner au temps du projet industriel. Une revue de programme est en cours, comme le prévoit la loi précitée. Elle fera l'objet d'un rapport au Parlement dans un délai de six mois, soit d'ici à la fin de l'année. Une délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire a été créée pour suivre les grands projets nucléaires dans la durée, de même que le Gouvernement suit les chantiers stratégiques de défense nationale, par exemple. Soyons clairs : ce qui fera le succès ou l'échec de ce programme tient avant tout aux hommes et aux femmes chargés de sa conception et de sa construction, EDF en tête. C'est le plus grand enjeu et il est au cœur du mandat que le Président de la République et la Première ministre ont confié à Luc Rémont. Toute une filière est en train d'être relancée. Je suis à l'initiative d'un véritable plan Marshall des compétences dans la filière. Pas moins de 100 000 nouveaux emplois devront être pourvus dans les dix prochaines années. Nous devrons être à la hauteur de ce colossal défi.
Le défi industriel n'est pas moins essentiel. Notons que, plus l'on construit, plus les risques se réduisent, plus les coûts diminuent. Entre la première tranche de la centrale nucléaire d'Hinkley Point C et la seconde, les gains de performance opérationnelle, et par conséquent les coûts, ont été réduits de 30 %. C'est également la raison pour laquelle le gouvernement britannique mise sur le projet Sizewell C comme une réplique d'Hinkley Point C, ce qui lui permet d'envisager l'apport de fonds privés pour le financer. Ces exemples nous guident et nous conduisent à privilégier une approche de série. Le fait de prévoir la construction de six réacteurs et d'en envisager huit autres supplémentaires est un gage de réussite et de réduction du coût de ce projet. C'est également l'un des enjeux de l'Alliance européenne du nucléaire que j'ai créée en janvier car la relance du nucléaire est européenne. De nombreux États, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Roumanie, ont l'ambition de construire des réacteurs nucléaires. Or développer une flotte de réacteurs de technologie similaire, c'est augmenter le retour d'expérience, l'industrialisation des procédés et les bonnes pratiques. La relance européenne du nucléaire est une opportunité en termes d'activité pour le tissu économique français et notre propre programme nucléaire, qui en bénéficiera comme il bénéficie aujourd'hui de ce que nous avons appris des projets Taishan, Hincley Point C, Olkiluoto et Flamanville.
Venons-en au financement. Le nucléaire est une énergie particulière qui appelle une régulation particulière, pour trois raisons. Tout d'abord, la durée de construction commerciale étant très longue, le risque est étalé, ce qui contraint à choisir des acteurs suffisamment solides financièrement pour en supporter les charges. D'autre part, les projets sont complexes, quelle que soit la technologie sous-jacente. En particulier, leur cadre de sûreté leur est propre et on ne le retrouve que dans très peu de secteurs. Là encore, cette caractéristique suppose de choisir des acteurs capables de supporter un risque sur le long terme. Enfin, la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires EPR2 est prévue pour soixante ans.
Ces particularités font que le coût de financement représente une part très importante du coût total des projets de nouvelles infrastructures nucléaires, du fait de la prise de risque, de la durée de construction et de la durée d'amortissement. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) considère ainsi que les coûts financiers pourraient représenter plus de 50 % du coût total du projet dans certains cas. C'est pourquoi les États interviennent dans la quasi-totalité des projets de nouveau nucléaire, au travers d'une régulation ou d'un financement public, pour diminuer le coût du financement et alléger la difficulté à trouver des acteurs privés prêts à assumer, sur le long terme, un tel niveau de prise de risque.
Par exemple, le projet Hinckley Point C, au Royaume-Uni, est intégralement financé par EDF et son coactionnaire chinois mais le financement s'appuie sur un contrat de différence dans lequel un prix d'achat de l'électricité au mégawattheure a été garanti – près de 120 euros le mégawattheure. Le projet Sizewell C, également au Royaume-Uni, sera financé sur le modèle dit de base d'actifs régulés en plus d'un investissement public de l'État britannique, en tant que coactionnaire. Le projet Paks II, en Hongrie, a reçu un financement public important. Dans son programme national, la Pologne envisage d'accorder un financement public important, tout comme la République tchèque.
Concernant le nouveau nucléaire français, le premier contributeur est le porteur de projet, mais EDF ne pourra pas financer seul l'ensemble du programme. Plusieurs options sont possibles, comme en témoignent les exemples étrangers. Les solutions devront reposer sur quatre principes : inciter EDF à rechercher la meilleure performance opérationnelle, bénéficier aux consommateurs français pour qu'ils paient un prix prévisible et compétitif, donner la visibilité nécessaire à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement nucléaire, et respecter le cadre européen.
À ce sujet, vous savez que je mène un combat au niveau européen pour que les politiques publiques européennes prennent davantage en compte la contribution positive de l'énergie nucléaire. Cela deviendra particulièrement important dans un contexte où le développement des énergies renouvelables posera la question de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. Nous aurons besoin d'une capacité de production en base importante. Le nucléaire le permet. L'inclusion du nucléaire dans la taxonomie était importante pour les questions liées au financement mais aussi à la réforme du marché de l'électricité, du traitement de l'hydrogène bas carbone et du Net-Zero Industry Act. Ces mesures ont des effets directs et indirects pour le financement de nos projets nucléaires. C'est l'une de mes priorités.
Vous pouvez compter sur ma totale détermination pour que la performance opérationnelle soit au cœur du projet d'EDF, de la filière nucléaire et plus largement pour porter la vision d'un mix électrique décarboné en Europe, nucléaire et renouvelable.