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Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du mercredi 12 juillet 2023 à 18h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Je vais essayer, dans le temps qui m'est imparti, de vous délivrer toutes les informations dont vous avez besoin sur le financement des six nouveaux réacteurs nucléaires annoncés par le Président de la République, dans son discours de Belfort.

L'énergie nucléaire revêt un caractère stratégique pour l'économie et la Nation. Elle garantit tout d'abord notre indépendance, au sein d'un continent qui fut trop longtemps dépendant de l'approvisionnement d'énergies fossiles venues notamment de Russie. D'autre part, elle est décarbonée. Enfin, elle assure la fourniture d'un volume suffisant d'électricité dans une Nation qui se réindustrialise et dans laquelle les besoins d'énergie s'élèveront, au minimum, à 750 térawattheures en 2050, contre 450 térawattheures aujourd'hui. C'est le fruit du développement des usages de l'électricité dans notre vie quotidienne, mais aussi de notre détermination à réindustrialiser le pays, à ouvrir des usines, à stocker des données sur notre sol, toutes activités qui consommeront énormément d'énergie électrique. Je pense que la réindustrialisation n'est pas possible sans énergie nucléaire ni accélération du programme de développement de l'énergie nucléaire.

Faire le choix du nucléaire, c'est d'abord faire le choix du climat. Non seulement la France se réindustrialise mais en se réindustrialisant, elle se décarbone, car tous les produits que nous importions, nous pourrons les produire en France, en émettant moins de carbone. Rappelons les chiffres, même s'ils ne font pas toujours plaisir à nos partenaires. La Chine émet 508 tonnes de CO₂ par million de dollars de PIB créé, les États-Unis 229 tonnes, l'Allemagne 149 tonnes et la France 100 tonnes. La désindustrialisation a augmenté les émissions de carbone, la réindustrialisation permettra de les réduire.

Faire le choix du nucléaire, c'est aussi faire le choix de la compétitivité puisque le prix bas de l'énergie nucléaire donne un avantage comparatif à nos industries, notamment les plus consommatrices – batteries, semi-conducteurs, aluminium. Il est clair que des usines comme celles de STMicroelectronics, GlobalFoundries à Crolles ou ACC à Dunkerque, ne se seraient pas installées en France si nous ne disposions pas de cet avantage compétitif.

La France a une excellence, une expérience, une avance historique. Elle doit utiliser la force de l'énergie nucléaire pour prendre toute sa place dans le partage des industries vertes, ce que j'appelle le « Yalta vert », qui rebat les cartes industrielles pour le XXIe siècle.

Dans ce cadre, le Président de la République a pris la décision de lancer le nouveau nucléaire. Il a ainsi dévoilé, lors de son discours à Belfort, les contours du plus grand programme d'augmentation et de modernisation de nos capacités nucléaires depuis des décennies. Ce programme prévoit la création de six nouveaux réacteurs de type EPR2, notamment à Penly, et la mise à l'étude de huit réacteurs supplémentaires. C'est un défi industriel colossal surtout au regard des retards pris pour d'autres constructions d'EPR. Les difficultés opérationnelles et industrielles qu'a connu la filière ont été évaluées et analysées pour en tirer toutes les conséquences dans les prochaines années. La prise de contrôle d'EDF par l'État à 100 % le 8 juin dernier, l'installation d'une délégation interministérielle au nouveau nucléaire, pilotée par Joël Barre, la volonté de s'inspirer des dispositifs utilisés pour les armées en matière de commande publique, nous permettent de définir les orientations technologiques, industrielles et humaines indispensables pour procéder à des investissements d'une ampleur à laquelle la France n'est plus habituée depuis des décennies.

Notre objectif, avec le Président de la République, la Première ministre, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le président-directeur général d'EDF, Luc Rémont, est de construire dans les meilleurs délais et au meilleur coût l'avenir du nucléaire français.

Quel est le coût de ce programme qui devrait s'étaler jusqu'en décembre 2042, soit un quart de siècle ? Le coût total de construction, prévu aujourd'hui, pour ces six nouveaux réacteurs nucléaires, s'élève à 51,7 milliards d'euros. La somme peut sembler très élevée mais que tout le monde se rassure, les décaissements seront progressifs, à hauteur de 2,5 milliards par an durant les premières années. Notre pays en a les moyens.

Dans ces 51,7 milliards d'euros, 43,1 milliards correspondent au coût direct et 8,6 milliards aux provisions pour les risques, le démantèlement et les déchets. À titre de comparaison, rappelons qu'entre 2011 et 2019, nous avons engagé 76 milliards d'euros dans les énergies renouvelables, financés sur fonds privés. L'adaptation du réseau de distribution devrait coûter 100 milliards d'euros entre 2024 et 2040 et le prolongement du parc nucléaire existant également 100 milliards d'euros durant cette même période, financés par EDF. Ces chiffres montrent que, quelle que soit la nature de l'énergie produite, l'unité de compte est la dizaine de milliards d'euros. C'est dans l'ordre de grandeur des autres grandes infrastructures énergétiques que nous avons réalisées.

Comment comptons-nous financer le nouveau nucléaire ? Tout d'abord, sachez que rien n'est arrêté. Nous n'en sommes encore qu'au stade des hypothèses et aucune décision ne sera prise sans avoir consulté les parlementaires. Cette audition est une première étape. Les choix que je ferai avec Agnès Pannier-Runacher, sous l'autorité de la Première ministre et du Président de la République, prendront encore plusieurs mois, le temps d'évaluer la situation, de vérifier des hypothèses et de lancer des débats contradictoires, notamment avec le Parlement.

Le parc nucléaire existant a été financé par EDF, grâce à l'emprunt, à une époque où la santé financière d'EDF était excellente et où EDF bénéficiait de la garantie implicite de l'État, du fait de son statut d'Epic (établissement public industriel et commercial). Il n'aura échappé à personne que la capacité d'emprunt d'EDF s'est extrêmement réduite puisque la dette d'EDF, qui a fortement augmenté à la suite de difficultés opérationnelles, atteint 65 milliards d'euros. L'investissement dans le nouveau nucléaire ne pourra pas être porté par EDF seul. Il serait irresponsable, à supposer que cela soit financièrement possible, d'accroître encore davantage sa dette. Nous devons donc, avant de définir des solutions, déterminer des critères. Trois critères sont essentiels, dont l'un a été rappelé par le président de la commission des finances.

Le paramètre le plus important, pour tout projet de cette ampleur, est celui du coût du capital. L'État emprunte à dix ans à un taux de 3 %. Plus vous investissez tôt, moins le coût du capital est élevé. Il y a donc des choix à faire entre le porteur de l'investissement, le porteur de l'emprunt et la durée de l'emprunt selon la date d'entrée que vous retenez. Plus vous démarrez tôt, plus vous pouvez étaler, plus vous démarrez tard, plus vous reportez la charge du coût du capital.

Le deuxième critère, très important lui aussi, est celui du coût acceptable pour la collectivité, qu'il s'agisse du consommateur ou du contribuable. Lorsque l'emprunt est souscrit par l'État, le contribuable est partie à cet emprunt et l'on pourrait envisager que le consommateur supporte dès le début, par la facture d'électricité qu'il devra régler, une partie du coût du financement du nouveau nucléaire. Ce sont des pistes de réflexion.

Enfin, il est possible d'accorder des subventions mais elles devront être conformes au régime des aides d'État, défini par l'Union européenne.

Une fois ces critères établis, on peut envisager de combiner plusieurs sources de financement. Les ressources d'EDF, même si elles sont limitées, en sont une et nous pourrions en employer une partie, fonds propres ou dette. L'État pourrait également apporter des fonds, investissements en capital, dettes garanties, avances remboursables. Enfin, une partie du financement pourrait être supportée par le consommateur d'électricité, par un mécanisme de base d'actifs régulés qui aurait cours tout au long de la construction des centrales. Ce schéma de régulation et de financement devra être précisé d'ici à la fin de l'année 2024 afin qu'EDF prenne formellement sa décision d'investissement. Le Parlement sera impliqué dans le choix du modèle de financement par l'intermédiaire de la loi de finances ou d'un véhicule législatif ad hoc.

Enfin, EDF aura besoin de l'appui de la filière. Celle-ci doit croître, développer ses activités et ses recrutements pour garantir la bonne exécution de ce projet d'envergure nationale.

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