Dire que je ne suis pas entièrement d'accord avec vous relève de la litote. Vous instruisez deux procès différents : l'un contre l'organisation politico-administrative de l'Union européenne ; l'autre contre l'idée d'une économie ouverte, telle qu'on la pratiquait depuis la seconde guerre mondiale, et qui n'a pas besoin d'Europe – les Anglais la poursuivent d'ailleurs très bien en dehors du cadre de l'Union. C'est un autre débat, même si, je le reconnais volontiers, le projet européen s'est identifié à cette démarche d'ouverture.
Surtout, je suis en désaccord avec votre conclusion. Non, vous ne construirez pas une France puissante, une civilisation européenne respectée en pratiquant l'inter-gouvernementalisme systématique : 193 États souverains, comme on le voit avec l'ONU, cela ne fonctionne pas pour créer un monde équilibré dans lequel nos intérêts économiques et sociaux comme nos valeurs démocratiques sont défendus face aux Russes, aux Chinois ou aux islamistes.
Toutefois, vous avez raison de dire que ce que nous faisons dans l'Union européenne depuis soixante-dix ans est un travail pénible, poussif, digne de Sisyphe. J'essaie d'imaginer Sisyphe heureux ou, en tout cas, volontaire : pour nous, héritiers d'une histoire occidentale magnifique en dépit de ses pages d'horreur, notamment au siècle dernier, il n'y a pas d'autre issue qu'un mouvement puissant d'organisation. C'est ce que nous tentons de faire. Ceux qui essaient s'exposent aux critiques de ceux qui n'essaient pas, mais ils l'assument.