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Intervention de Catherine Colonna

Séance en hémicycle du lundi 3 octobre 2022 à 16h00
Déclaration du gouvernement relative à la guerre en ukraine et aux conséquences pour la france

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Si tout est permis en Ukraine, tout le sera davantage ailleurs. C'est bien pourquoi cette guerre n'est pas une guerre régionale : elle est l'affaire de tous. Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour le faire valoir auprès de l'ensemble de la communauté internationale, et ces efforts commencent à porter leurs fruits comme nous l'avons constaté lors de l'Assemblée générale des Nations unies, où de nombreux pays tiers, ne faisant pourtant pas partie des traditionnels soutiens de l'Ukraine, ont pris leurs distances vis-à-vis de la Russie en appelant au plein respect des principes fondamentaux de la Charte et en rappelant que l'heure n'était pas à la guerre – je pense, par exemple, à la Chine et à l'Inde. Nous sommes déterminés à poursuivre dans cette voie.

Mesdames et messieurs les députés, vous avez été nombreux à évoquer la lutte contre l'impunité. Nous faisons le choix de la justice en refusant l'impunité des criminels. Je l'ai dit clairement au Conseil de sécurité, dont j'ai présidé, le 22 septembre, la première réunion de niveau ministériel sur la situation en Ukraine depuis le déclenchement de l'invasion : il n'y aura pas de paix sans justice. Les exactions et les crimes de guerre devront faire l'objet de poursuites ; nous y contribuons au sein des organisations internationales comme dans un cadre bilatéral. À ce titre, notre pays a envoyé depuis le mois d'avril, certains d'entre vous l'ont rappelé, trois équipes spécialisées de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, la dernière d'entre elles étant arrivée mardi dernier. Celle-ci aidera la justice ukrainienne à faire toute la lumière sur les atrocités découvertes à Izioum, comme l'ont déjà fait les autres équipes à Boutcha. La justice doit passer.

La question des sanctions et de leur impact a aussi été évoquée. Nous faisons, comme l'a souligné Mme la Première ministre, le choix de la fermeté face à un agresseur qui menace la stabilité de notre continent et la sécurité de l'ensemble de la communauté internationale. C'est ainsi qu'avec une célérité inédite, nous avons mis en œuvre, avec nos partenaires européens et internationaux, une politique de sanctions d'une rigueur sans précédent. Ces sanctions ont un but clair : asphyxier l'effort de guerre russe et appliquer une pression maximale sur les fauteurs de guerre.

D'ores et déjà, l 200 individus et plus de 100 entités russes y sont soumis. Ces sanctions sont réfléchies et appropriées. Elles sont efficaces et auront un impact massif et durable sur la machine de guerre russe, comme l'a rappelé Mme la Première ministre : le PIB de la Russie va reculer de six points en 2022 et retomber, d'ici à deux ans, à son niveau du début des années 2000… vingt ans en arrière. Nous asséchons aussi ses revenus tirés des hydrocarbures. Et l'accès aux technologies dont elle a besoin est déjà mis en cause dans des secteurs aussi stratégiques que sont l'aéronautique, l'automobile et l'armement. Nous ne faiblirons pas. La France souhaite, vous le savez, l'adoption rapide d'un nouveau paquet de sanctions européennes, lequel devrait être finalisé dans les tout prochains jours.

Qu'il s'agisse des sanctions, du soutien à l'Ukraine – y compris par l'envoi d'équipements militaires –, de l'aide humanitaire massive, de l'accueil des réfugiés, de l'isolement de la Russie ou des exportations de céréales de l'Ukraine, toutes mesures que vous avez citées, l'Union européenne a agi vite, clairement et de façon unie. Oui, nous sommes au rendez-vous de nos valeurs humanistes lorsque nous accueillons au sein de l'Union plusieurs millions de réfugiés ukrainiens. Oui, nous sommes au rendez-vous de l'Histoire lorsque nous octroyons à l'Ukraine le statut de candidat à l'Union européenne à l'unanimité, lui offrant ainsi un avenir européen. Cette unité fait notre force collective face à une Russie dont l'isolement est chaque jour plus manifeste. Nous sommes unis et nous le resterons.

Vous avez été nombreux à vous exprimer sur le soutien à l'Ukraine, sur ses différentes composantes et sur ses conséquences. Je tiens à le redire : nous avons fait le choix d'apporter à ce pays un soutien déterminé et constant. Et je veux être très claire : ni la France, ni aucun pays européen, ni aucun État membre du G7 n'est en guerre avec la Russie. Nous aidons un pays agressé, l'Ukraine, à exercer son droit à la légitime défense, conformément au droit international, en particulier à la Charte des Nations unies.

Nous avons réaffirmé ce soutien il y a quelques jours à l'Assemblée générale des Nations unies, par la voix du Président de la République, et au Conseil de sécurité : il est à la fois politique, diplomatique, humanitaire, économique et financier. Il représente un effort national de 2 milliards d'euros auquel s'ajoutent, d'une part, notre aide militaire, dont le ministre des armées va vous exposer l'ampleur, sachant qu'une partie sera prise en charge par la facilité européenne pour la paix, et, d'autre part, l'aide européenne, à laquelle notre pays contribue.

J'ai à nouveau témoigné de notre soutien au Président Zelensky et à mon homologue Dmytro Kuleba à Kiev, la semaine dernière, à l'occasion de mon troisième déplacement en Ukraine. À Kiev, à Hostomel, à Boutcha comme à Irpin, j'ai vu l'ampleur des destructions causées par les bombardements russes et pu mesurer la bravoure, la détermination et l'esprit de résistance intacts du peuple ukrainien. Je sais que plusieurs d'entre vous ont accompagné en Ukraine Mme la présidente de l'Assemblée nationale. Je me félicite que la représentation nationale et l'exécutif, unis, aient ainsi témoigné sur place de la solidarité de la France.

Nous sommes solidaires de la cause que défend le peuple ukrainien, solidaires du combat qu'il mène pour les valeurs démocratiques qui sont aussi les nôtres, ce combat pour la paix et pour la liberté, solidaires de ses souffrances. Et nous l'aidons, comme nous l'avons encore montré le 28 septembre en envoyant, depuis Marseille, plus de 1 000 tonnes de fret humanitaire, rassemblées grâce aux contributions de l'ensemble des forces de notre société : l'État et ses opérateurs, les collectivités locales, les acteurs privés et les ONG. La France est aux côtés de l'Ukraine depuis le début de l'agression, et elle le restera non seulement jusqu'à ce que ce pays retrouve sa pleine souveraineté et son intégrité territoriale, mais aussi après la guerre – car il y aura un après.

Sur le terrain, l'armée russe a subi ces dernières semaines son troisième échec tactique. En février, elle prenait l'Ukraine en tenaille sur trois axes, au nord, à l'est et au sud, cherchant clairement à prendre Kiev pour y renverser le président légitimement élu par le peuple ukrainien, mais en avril, incapable de prendre cette ville, elle s'est retirée du nord du pays. Incapable également de s'emparer rapidement de l'ensemble du Donbass malgré le concours de ses supplétifs séparatistes, elle a dû reculer dans la région de Kharkiv. À la mi-septembre, une contre-offensive l'a prise de court, les Ukrainiens regagnant 9 000 kilomètres carrés de territoire.

Hier, l'Ukraine résistait ; aujourd'hui, elle reprend l'initiative, grâce à la détermination de ses soldats, à la qualité de son commandement et à l'élan de tout un peuple qui se bat pour son pays, grâce aussi aux équipements que nous lui avons livrés avec nos partenaires et qui prouvent leur efficacité.

Le constat est clair : la Russie s'est enfoncée dans une triple impasse, à commencer par une impasse sur le terrain comme le montrent ses récents reculs. C'est aussi une impasse vis-à-vis de la communauté internationale au sein de laquelle la Russie est de plus en plus seule, et enfin dans une impasse vis-à-vis de sa population depuis la décision de mobilisation partielle, une décision lourde de conséquences qui a été prise contre l'opinion d'une population qui comprend de moins en moins pourquoi elle doit subir les conséquences d'une guerre inutile, illégale et injuste, une guerre qu'elle n'a pas choisie.

La fuite en avant de la Russie a été soulignée au cours de ce débat. Mais il va falloir tenir dans la durée, ne nous y trompons pas, Mme la Première Ministre l'a dit cet après-midi à plusieurs reprises. En effet, Moscou a choisi la fuite en avant politique – les déclarations du président russe vendredi dernier n'en sont que le dernier exemple. Elle a pris la responsabilité d'un chantage à la sécurité alimentaire, auquel nous avons réagi en permettant à l'Ukraine d'exporter à nouveau ses céréales. Dans l'esprit de l'initiative Farm que le Président a lancée depuis le printemps, notre pays vient aussi de participer, avec l'Allemagne, au cofinancement du transport et de la distribution par le Programme alimentaire mondial (PAM) de 50 000 tonnes de céréales données par l'Ukraine pour l'Éthiopie et pour la Somalie car la corne de l'Afrique est particulièrement touchée par la crise alimentaire.

Il y a aussi un chantage à la sécurité énergétique par la coupure des vannes du gaz alors que nous sommes témoins de mystérieuses explosions en mer Baltique. Quant au chantage à la sécurité du site de la centrale nucléaire de Zaporijjia, il nous a conduits à soutenir fortement les efforts du directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour réduire les tensions et le risque d'un accident nucléaire, efforts qui se poursuivent en ce moment même.

La Russie a aussi choisi la fuite en avant militaire en annonçant une mobilisation partielle de sa population. Par la décision de mobiliser, pour la première fois depuis 1941, la Russie prend un grand risque. Nous y voyons avant tout un aveu de faiblesse, une reconnaissance de l'incapacité de ses forces armées à remplir les objectifs fixés par le Kremlin. L'impact de cette mobilisation sur le terrain est de surcroît très incertain, l'armée russe ayant fait preuve de graves lacunes logistiques depuis le début du conflit, lacunes qui ne disparaîtront pas en envoyant de force au front une population dont tout montre qu'elle ne souhaite pas cette guerre – en atteste le départ du pays de plusieurs centaines de milliers de personnes ces derniers jours, ou encore les scènes de protestations dont nous avons été témoins dans plusieurs régions russes. Quoiqu'en dise la propagande, il n'y a aucun élan patriotique, mais une mobilisation subie.

Enfin, la fuite en avant est également rhétorique : les menaces irresponsables proférées dans le but de nous intimider en sont le signe. Nous ne céderons pas, mais nous ne tomberons pas non plus dans le piège : nous continuerons, pour notre part, à faire preuve de la responsabilité qui doit incomber à une puissance dotée de l'arme nucléaire.

Enfin, s'agissant de la reconstruction, le premier orateur, comme d'autres par la suite, en a évoqué la nécessité. Je souligne que ce n'est pas à nous de déterminer quand cette guerre prendra fin et qu'il appartiendra alors à l'Ukraine seule de décider à quel moment, dans quelles conditions et dans quels termes elle pourra envisager un dialogue visant à l'ouverture de négociations. Mais il y aura bel et bien un après, j'en suis convaincue. Et c'est à nous et à nos partenaires qu'il appartiendra alors de fournir à l'Ukraine les moyens de se reconstruire. Nous nous y sommes engagés et commençons déjà à le faire en vue de l'arrivée de l'hiver puisque, parmi les biens envoyés dans notre cargaison humanitaire le 28 septembre figurait notamment du matériel de réhabilitation d'urgence, à savoir plus de six ponts de 20 à 60 mètres de long qui participeront à la reconstruction de la région de Tchernihiv, région où vous vous êtes rendus, madame la présidente, messieurs les présidents de commission.

Mesdames et messieurs les députés, je conclurai en rappelant qu'en aidant l'Ukraine, nous faisons notre devoir de solidarité, notre devoir d'humanité, et nous continuerons à le faire aussi longtemps que nécessaire.

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