La proposition de directive CSDD prévoit, dans chaque État membre, la désignation d'une ou de plusieurs autorité(s) administrative(s), chargée(s) du contrôle des plans de vigilance. Il s'agit selon nous de l'un des principaux points d'attention, sur lequel le législateur sera amené à se prononcer. Pour garantir l'effectivité de la loi, nous avons besoin d'une autorité administrative complémentaire, et en aucun cas concurrente, de la voie judiciaire.
Pour ma part, j'émets des réserves sur le possible choix, en France, de l'AMF pour guider et contrôler les entreprises dans l'application du devoir de vigilance. En effet, l'AMF se spécialise davantage dans la protection du marché que dans celle des droits humains et environnementaux. Il me semble dès lors préférable de privilégier la création d'une autorité administrative indépendante ad hoc, dont les pouvoirs d'investigation et d'enquête devront être étendus, comme ceux de l'AMF, et qui pourra travailler en collaboration avec d'autres administrations et autorités. Le plafond des sanctions, fixé par le Parlement européen à « 5 % au moins » du chiffre d'affaires net mondial de l'entreprise, devra être effectivement porté à un niveau élevé pour être dissuasif. Il serait incompréhensible – et tellement européen ! – que les atteintes au droit de la concurrence soient plus durement sanctionnées que les atteintes aux droits humains et environnementaux.
Enfin, si la position du Parlement européen permet aux juridictions de demander aux entreprises de divulguer des preuves lorsqu'un demandeur fournit des éléments suffisants, je suis convaincue pour ma part qu'il aurait fallu aller plus loin. Je me suis entretenue ce 27 juin avec des victimes ougandaises du projet East African Crude Oil Pipeline (EACOP), qui ont mis en lumière l'asymétrie d'information, d'accès à la justice et de ressources entre les citoyens et les multinationales aux pouvoirs phénoménaux. À cela s'ajoute la répression du gouvernement ougandais contre les opposants au projet EACOP, portant directement atteinte aux droits humains.
Dans ce contexte, l'inversion de la charge de la preuve est nécessaire. Il s'agit là d'un point de divergence avec ma collègue, auquel je suis néanmoins attachée, car il convient d'alléger le fardeau de la preuve incombant aux victimes et de répondre à l'asymétrie d'information avec les multinationales.
Ma collègue et moi insistons pour que la directive « CSDD » ne devienne pas une seconde directive de reporting. Au contraire, la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité, dite « CSRD », doit être au service de la directive sur le devoir de vigilance. Les juges pourront s'appuyer sur des définitions précises pour évaluer le respect des obligations. Je salue à ce sujet les propositions du groupe consultatif européen sur l'information financière (EFRAG) qui, j'espère, seront retenues.