Nous avons mené de nombreuses auditions de personnalités diverses, à Paris et à Bruxelles, qui nous ont convaincues que la position des eurodéputés était bien plus pertinente que celle du Conseil pour assurer l'effectivité du devoir de vigilance. Avec Mireille Clapot, nous sommes tombées d'accord sur l'essentiel des recommandations présentées dans le rapport d'information et l'avis politique, même si nous avons aussi quelques points de divergence.
La directive européenne peut avoir un effet systémique, ce qui explique notre engagement sur le sujet. Or, sur plusieurs points essentiels, l'orientation du Conseil risque d'édulcorer le texte, voire de le vider de sa substance.
En particulier, l'exclusion des services financiers du champ des obligations de vigilance n'est pas acceptable : les députés européens, de Renew jusqu'au Groupe de la Gauche (GUE), souhaitent donc les y inclure. Pour rendre la législation opérante, et rester fidèle à ses objectifs, l'inclusion du secteur financier ne saurait être une simple option à la discrétion des États membres, une sorte de devoir de vigilance « à la carte » comme le propose le Conseil.
La position française à ce sujet est ambivalente, mais peut être assez compréhensible lorsque l'on sait que les fonds de pension ont été exclus du champ des obligations de vigilance, ce qui est bien regrettable. Pour autant, il convient de ne pas céder au très fort lobbying des grandes banques systémiques.
À mon sens, la position du Parlement aurait certes pu être plus ambitieuse. Pour l'heure, seuls les clients directs de certaines institutions financières seraient concernés par les obligations de vigilance, et les fonds de pension en seraient exemptés.
Par ailleurs, et nous nous en inquiétons toutes les deux, l'orientation du Conseil retient une conception plus restrictive des conditions d'engagement de la responsabilité civile des entreprises. Le Conseil a en effet introduit les notions « d'intentionnalité et de négligence », ce qui constitue un recul par rapport à la proposition initiale de la Commission. Ceci peut s'expliquer par le fait que la tradition juridique de certains États membres s'éloigne de la conception défendue par la France. Par exemple, la loi allemande sur le devoir de vigilance ne prévoit pas d'engagement de la responsabilité civile des entreprises : seule une autorité administrative, dont l'indépendance est contestée, est chargée de la bonne application de la loi.
En outre, nous regrettons que le Conseil entende décharger les administrateurs de leurs responsabilités dans la mise en œuvre des mesures de vigilance énoncées dans la directive. Au Parlement européen, un amendement de dernière minute, porté par des membres du Parti Populaire européen (PPE), suite à un lobbying très agressif, a conduit à supprimer le principe d'une rémunération variable des administrateurs en fonction de la bonne application du devoir de vigilance, qui avait pourtant fait l'objet d'un accord au sein de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen.