En décembre 2021, devant cette même commission, mon collègue Dominique Potier et moi-même avions présenté une proposition de résolution appelant à « inscrire parmi les priorités de la présidence française de l'Union européenne l'adoption d'une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales ». En janvier 2022, cette résolution avait été adoptée à l'unanimité en séance publique.
En février 2022, la Commission européenne a publié une proposition de directive encourageante, portée par le commissaire à la Justice Didier Reynders. Cette proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – dite « CSDD » – tire son inspiration de la loi française pionnière du 27 mars 2017, dite loi Potier, tout en visant à combler certaines de ses lacunes et en approfondissant son champ.
Selon ce texte, les entreprises européennes ou issues de pays tiers, répondant à des conditions de seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires, devront mener des opérations de « diligence raisonnable » sur leur chaîne d'activité, afin d'identifier, de prévenir et de remédier aux atteintes aux droits humains et environnementaux.
Il y a dix ans, l'effondrement du Rana Plaza causait la mort d'au moins 1127 ouvriers de l'industrie textile. La passivité complice et le silence de grandes marques occidentales face à l'absence de respect des normes de sécurité élémentaires par leurs sous-traitants avaient été largement soulignés. Le découplage entre leur responsabilité juridique et leur responsabilité morale était apparu comme particulièrement choquant.
L'Allemagne et les Pays-Bas se sont récemment dotés de législations sur le devoir de vigilance, et des débats législatifs ont lieu dans plusieurs États membres. Il était donc grand temps que l'Union européenne adopte un cadre ambitieux, pour mettre fin aux modèles d'affaires irrespectueux des droits humains et environnementaux.
L'enjeu est que nous tenions pleinement compte, à chaque fois que nous achetons un article textile ou un appareil, des conséquences du modèle d'affaires sur les conditions de travail et sur l'environnement.
À l'orée des trilogues, l'avis politique que nous portons avec ma collègue vise à envoyer un signal fort aux co-législateurs européens. La présidence espagnole du Conseil, qui débute le 1er juillet 2023, doit être l'occasion de rapprocher les positions divergentes des co-législateurs, sans renoncer à l'ambition de la directive.
En adoptant son mandat le 1er juin 2023, le Parlement européen a porté une vision équilibrée, tout en renforçant l'ambition du texte sur des questions cruciales telles que l'accès à la justice ou encore l'inclusion de certaines institutions financières dans le champ des obligations de vigilance. Au Parlement européen, le responsable du dossier pour le groupe Renew a salué « un texte équilibré » qui « concilie la liberté et la compétitivité économique avec la responsabilité et la protection ».
Néanmoins, le Conseil a porté une vision beaucoup moins ambitieuse au travers de son orientation adoptée le 1er décembre 2022. Regrettant le manque d'ambition du texte, certains États membres n'ont pas soutenu l'orientation soumise au vote, en particulier la Belgique, qui s'est abstenue, et les Pays-Bas, qui ont voté contre.
L'Assemblée nationale a une forte légitimité pour donner un avis politique éclairé, ce d'autant que les députés français ont été à l'origine de la loi française du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance, et que nous avons désormais un certain recul sur ses atouts et ses faiblesses.