À travers cette communication, j'ai essayé d'être le plus objectif possible, autour de deux concepts que nous utilisons beaucoup dans nos discussions budgétaires : l'autonomie financière et l'autonomie fiscale, sur lesquels je souhaite faire un état des lieux et vous proposer quelques recommandations. Il s'agit là d'une logique de clarification et d'objectivation de nos débats.
L'autonomie financière est à la fois définie et protégée par la constitution, qui indique dans son article 72-2 que les collectivités disposent librement de leurs ressources, dont une part déterminante doit être constituée de ressources propres. Ces dernières incluent l'ensemble des impôts locaux, mais également la fiscalité partagée avec l'État après une clarification du Conseil constitutionnel dans une décision de 2004. Il s'agit notamment de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) ou de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
En revanche, les concours de l'État, notamment la dotation globale de fonctionnement (DGF) et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ne sont ni des impôts locaux, ni des impôts partagés. Évidemment les recettes tarifaires participent également à cette autonomie financière.
Chaque année, la direction générale des finances publiques (DGFIP) communique les niveaux d'autonomie financière, avec ce plancher qui date de sa constitutionnalisation en 2003. L'autonomie financière est en hausse tendancielle pour toutes les catégories de collectivités. Entre 2004 et 2021, l'autonomie financière a augmenté de plus de 10 points de pourcentage pour le bloc communal (de 61 % à 71 %), de 16 points pour les départements (de 58,6 % à presque 75 %) et de 36 points pour les régions (de 42 à 78 %).
Les principales causes de l'évolution favorable de l'autonomie financière sont à la fois positives et négatives. Les ressources propres augmentent avec le dynamisme des bases fiscales locales, mais aussi, paradoxalement, quand la DGF diminue. En effet, puisque l'autonomie financière est un ratio, lorsque la DGF diminue, elle augmente mécaniquement.
Les départements et les régions ont reçu des ressources propres importantes et dynamiques : la TSCA et l'accise sur l'essence et le gazole (l'ancienne TICPE) pour financer les transferts de compétences notamment. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), départements et régions ont en outre reçu des fractions dynamiques de TVA en compensation de la suppression de la DGF pour les régions et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En résumé, l'autonomie financière augmente objectivement pour les collectivités territoriales année après année, quel que soit leur niveau.
Contrairement à l'autonomie financière, l'autonomie fiscale n'a pas de définition pratique et n'a jamais été consacrée au niveau constitutionnel. Je me suis appuyé sur les travaux effectués dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales par nos collègues Charles de Courson et Christophe Jerettie qui, il y a quelques années, avaient proposé trois niveaux possibles d'autonomie fiscale. Je suggère qu'un travail soit réalisé avec la direction générale des collectivités locales (DGCL), le comité des finances locales (CFL) et les associations d'élus, pour essayer d'établir une définition commune de l'autonomie fiscale.
S'agissant de l'autonomie fiscale, je propose de m'appuyer sur la définition qui me paraît aujourd'hui la plus simple à comprendre, c'est-à-dire le ratio entre l'ensemble des ressources locales et l'ensemble des recettes fiscales sur lesquelles les élus ont un pouvoir de taux.
Certains points de cette définition peuvent être discutés, dans la mesure où les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) rentrent dans cette dernière, puisque les départements ont le pouvoir de taux. Il en va de même pour la part majorée de la TICPE, même si, aujourd'hui, pour ces deux impositions, la très grande majorité des collectivités territoriales sont au taux plafond. Cependant, l'autonomie est aussi la faculté de faire baisser les taux.
Pour respecter la proposition que je formule, je mets l'accent volontairement sur des éléments qui peuvent faire l'objet de discussions après ma présentation. D'ailleurs, rien ne nous empêche d'augmenter ces plafonds, les départements le souhaitent toujours pour les DMTO, ce qui leur permettrait de moduler le taux en fonction de leurs besoins.
Ensuite, la notion de territorialité doit également être mentionnée. Dans cette optique, Pourquoi ne pas inclure des recettes territorialisées, qui emportent donc des incitations au niveau local, même sans pouvoir de taux ? Cela serait possible et concernerait essentiellement la CVAE. Cependant, la CVAE est en voie d'extinction et j'ai préféré établir une définition plus simple, celle d'une recette sur laquelle il existe un pouvoir de taux.
Dans le cadre de cette proposition de définition d'autonomie fiscale, j'ai recensé vingt-trois taxes locales qui sont assorties d'un pouvoir de taux. Elles concernent essentiellement les communes, tandis que l'autonomie fiscale du côté des départements (DMTO et taxe d'aménagement) et des régions (taxe sur les certificats d'immatriculation et majoration de TICPE) est très différente. De plus, le pouvoir de taux des élus sur le bloc communal ne se réduit pas à la taxe foncière : il existe au total seize taxes, auxquelles il faut rajouter trois taxes existantes dans des territoires spécifiques : la taxe sur les remontées mécaniques dans les territoires de montagne, et la taxe sur les carburants et l'octroi de mer en outre-mer.
Pour l'ensemble des collectivités territoriales, le produit des vingt-trois taxes avec pouvoir de taux est de plus de 80 milliards d'euros d'autonomie fiscale (sur 272 milliards de ressources totales hors emprunt). Le bloc communal dispose de 61 milliards d'euros d'autonomie fiscale, dont la moitié est représentée par la taxe foncière (34 milliards). Il convient néanmoins de mentionner également la taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères (7,5 milliards), la cotisation foncière des entreprises (7 milliards) et le versement mobilité (4,7 milliards).
L'autonomie financière est calculée chaque année par les services de l'État, mais ce n'est pas le cas de l'autonomie fiscale, en l'absence de définition. Cependant, la méthode proposée conduit à constater en 2021 des taux d'autonomie fiscale de 35,8 % pour le bloc communal, de 21,8 % pour les départements et de 9,8 % pour les régions. Sur une dizaine d'années, ce taux a diminué pour le bloc communal (de plus de 40 % à 35,8 %) et les départements (de 30,2 % à 21,8 %) et il est demeuré stable pour les régions, mais à un niveau faible. Nous sommes donc très loin des niveaux observés en matière d'autonomie financière.
Les ressources globales des collectivités s'élèvent à 272 milliards d'euros, là où leurs dépenses sont de l'ordre de 300 milliards. Le périmètre d'autonomie financière est de l'ordre de 200 milliards et celui de d'autonomie fiscale est de l'ordre de 80 milliards.
Ensuite, toujours dans un objectif d'objectivation, j'ai récapitulé l'ensemble des modifications qui ont été réalisées lors des différentes réformes fiscales ces huit dernières années, en commençant par le relèvement du plafond des DMTO. La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) des communes a été neutre sur leur autonomie financière et fiscale, car elle a été compensée par un autre impôt local avec pouvoir de taux, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).
En revanche, la suppression de la THRP des EPCI a été neutre sur l'autonomie financière (compensation en TVA) mais négative sur l'autonomie fiscale, à travers la perte d'un pouvoir de taux. La division par deux des valeurs locatives des établissements industriels pour la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la taxe foncière sur le bâti des communes et EPCI et sa compensation par des prélèvements sur recettes (PSR) a entraîné un double effet négatif sur l'autonomie financière et l'autonomie fiscale. Le transfert de la TFPB des départements aux communes a été neutre sur l'autonomie financière des départements (compensation en TVA) mais négatif sur leur autonomie fiscale (perte d'un pouvoir de taux). Enfin, la suppression de la CVAE pour les régions, les départements et les EPCI a été neutre sur l'autonomie financière (compensation en TVA) mais aussi sur l'autonomie fiscale, car il n'y avait pas de pouvoir de taux sur cet impôt.
Ensuite, il faut souligner que les élus locaux ont le sentiment légitime d'être dépossédés d'une partie de la maîtrise de leurs recettes. En réalité, l'autonomie fiscale a baissé de 5 points pour le bloc communal, mais l'autonomie financière a augmenté. Fondamentalement, les élus constatent que le levier fiscal est éloigné : ils ont effectivement un pouvoir de taux sur la taxe foncière, mais ils considèrent que le poids des impôts sur leurs concitoyens est à un niveau maximum acceptable et ils ne l'utilisent pas, dans la mesure du possible.
Sur le long terme, les élus du bloc communal ont perdu des leviers d'action fiscaux avec la suppression de la taxe professionnelle (TP) et de la THRP. Le niveau d'autonomie fiscale du bloc communal porte sur environ 36 % des recettes, soit un niveau nettement inférieur à celui de l'autonomie financière. La baisse de la DGF de 11 milliards d'euros (25 %) entre 2014 et 2017 a certainement laissé des traces, puisqu'elle a dramatiquement réduit l'autofinancement, l'investissement et les marges de manœuvre financières des élus. Enfin, sur certaines recettes fiscales, les taux sont déjà au niveau du plafond légal.
Pour achever cette communication, je souhaite à présent vous faire part de quatre conclusions et de trois propositions. S'agissant des conclusions, la première souligne que l'autonomie financière, la seule définie et protégée par la constitution est en croissance continue depuis 2003 pour les trois niveaux de collectivités. Ensuite, l'autonomie fiscale n'a en revanche pas d'existence constitutionnelle ni de définition officielle. Je propose une définition fondée sur le pouvoir de taux. Selon cette définition, l'autonomie fiscale a tendance à baisser.
Troisièmement, les réformes de la fiscalité locale ont eu dans l'ensemble un impact plutôt négatif sur l'autonomie fiscale. En revanche, cet impact a été neutre sur l'autonomie financière, voire légèrement positif, et n'a pas affecté le dynamisme des recettes locales. Dernière conclusion : un sentiment global de perte de maîtrise de leurs recettes anime malgré tout les élus. Il importe d'en comprendre les raisons, qui peuvent pour certaines être indépendantes de la fiscalité locale. Je pense notamment à la baisse de la DGF.
Les recommandations sont au nombre de trois. La première vise à convenir d'une définition claire et précise de l'autonomie fiscale fondée sur le pouvoir de taux. Je propose de la définir comme le ratio entre, d'une part, les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités disposent d'un pouvoir de taux et, d'autre part, l'ensemble de leurs ressources.
La deuxième recommandation vise à étudier la pertinence et les modalités de la constitutionnalisation d'un niveau minimal d'autonomie fiscale. La troisième et dernière recommandation a pour objet d'inscrire la réflexion sur l'autonomie financière et l'autonomie fiscale dans une réflexion globale sur le financement des collectivités, pour leur garantir plus de résilience et plus de visibilité, afin de leur permettre de déployer pleinement leurs politiques publiques.