Sur la question de l'égalité, du rapport égalité /différenciation : en réalité, même dans le cadre de l'article 73, la notion de caractéristiques et contraintes particulières permet déjà beaucoup d'adaptations. Sauf que, bien souvent, la représentation nationale passe au travers, tout simplement. Elle n'aperçoit pas, et le Gouvernement non plus, la nécessité d'adaptation à la situation particulière des outre-mer. Cela vaut même pour les collectivités de l'article 74, ce qui explique le très grand nombre d'ordonnances, de ratifications, prises sur le fondement de l'article 74. Il y a un angle mort des outre-mer. Organisons des rendez-vous dédiés à l'outre-mer régulièrement, mais en réalité, on a déjà un cadre qui peut le permettre. Il faut simplement que la culture outre-mer soit davantage présente dans l'action du gouvernement et dans celle du Parlement. Ces possibilités de différenciation existent pour le meilleur, parfois pour le pire, si on se réfère à ce qui se passe à Mayotte. On peut aller très loin dans la différenciation en s'appuyant sur cette notion de caractéristiques et de contraintes particulières, voire, soit dit en passant, s'éloigner des valeurs les plus fondamentales de la République.
Pour ce qui est de la question du droit européen, notre configuration 73 et 74 – avec une échelle dans le 74, des différences très importantes au sein de 73 – pose un autre problème : elle n'est plus du tout lisible de Bruxelles ou de Strasbourg. Nous sommes le seul pays membre de l'Union européenne à avoir autant de prolongements de la République outre-mer. Onze territoires habités, treize si on compte les deux territoires inhabités, alors que les autres n'en ont plus que deux ou trois et qui sont soit purement et simplement des RUP, soit des PTOM. Nous en avons treize. Certains sont des RUP, d'autres des PTOM. Certains sont dans l'article 73, mais ce sont des PTOM. Allez expliquer cela à un parlementaire européen hongrois par exemple. Ça devient extrêmement difficile et c'est la raison pour laquelle la simplification de notre système national est sans doute nécessaire pour le rendre plus lisible et pour éviter de placer les collectivités dans un choix qui est parfois un choix épineux entre le statut de RUP ou de PTOM.
Pour répondre plus directement à la question de M. Hajjar, c'est vrai que, de ce point de vue, le statut de PTOM, qui fait sortir du marché intérieur, présente un certain nombre d'avantages, notamment en matière fiscale et douanière. C'est ce qu'ont bien compris un certain nombre de collectivités pas très éloignées de la Martinique.
Pour répondre à votre question, monsieur le président, faut-il sortir du cadre ou se contenter de ce qui existe et l'améliorer ? Il est vrai que le cadre existant permet déjà beaucoup de choses. C'est vrai qu'il pourrait encore être amélioré à peu de prix, notamment sur la question des habilitations. Une loi ordinaire ou une loi organique permettrait de gagner de la marge de manœuvre. C'est indubitable. Entre nous, même si je sais que cette audition est enregistrée, je pense qu'on y arrivera à court terme. À mon avis, ce sera le point d'arrivée. Il n'empêche qu'il y a une dimension symbolique très importante, qui ressortait bien des propos du rapporteur et de l'appel de Fort-de-France, à ne pas négliger. Dans l'appel de Fort-de-France, il y a un mot-clé : c'est « émancipation ». Émancipation, ça vient du latin « lâcher la main ». Cette idée de lâcher la main et d'utiliser ses propres mains pour construire son avenir me semble importante. Si la Constitution peut servir à quelque chose, c'est aussi à renvoyer ce message. Je regrette que Michel Verpeaux ne soit plus parmi nous. Il a dit que les Réunionnais avaient fait leur choix. Non, ils n'ont jamais été consultés. Le Parlement a voté la loi, et en l'occurrence la loi fondamentale, mais les Réunionnais n'ont jamais été consultés sur cet alinéa 5 de l'article 73, qui leur renvoie le message consistant à dire : « Vous n'êtes pas capables de recourir à ces habilitations. Donc on ferme le ban. » On retrouve cette dimension symbolique dans d'autres constitutions. Je pense à la Constitution portugaise par exemple, qui dit clairement, pour les deux territoires concernés : « vous avez les clés du camion, vous pouvez rouler ou pas ». Mais on renvoie à leurs responsabilités ces collectivités. Je pense qu'au-delà de la petite mécanique juridique, institutionnelle qui est très importante, la dimension symbolique, et en particulier la dimension symbolique passant par la Constitution, est aussi à prendre en compte.